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Jours tranquilles à Paris
28 janvier 2020

A Auschwitz, la commémoration très politique des 75 ans de la libération du camp d’extermination

Par Romain Su, Auschwitz, Pologne, envoyé spécial

Le président polonais Andrzej Duda a revendiqué pour son pays la « vérité » sur la Shoah et attaqué sans la citer la Russie de Vladimir Poutine.

Auschwitz peut-il être un lieu apolitique, un simple musée tourné vers le passé et muet sur le présent et l’avenir ? Quatre jours après la tenue à Jérusalem d’un Forum mondial de l’Holocauste marqué par les controverses, les commémorations organisées en Pologne, lundi 27 janvier, sur le site même du camp d’extermination nazi à l’occasion du 75e anniversaire de sa libération n’échappent pas davantage aux accusations de politisation, malgré une forme et un contenu différents.

Maître des cérémonies et rare institution du paysage culturel polonais à bénéficier d’un consensus transpartisan, le Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau s’était pourtant efforcé de mettre les survivants, derniers témoins directs de la Shoah et presque tous âgés de plus de 80 ans, au centre de l’attention. Le directeur de l’institution, Piotr Cywinski, en avait d’ailleurs fait un élément de différentiation vis-à-vis des organisateurs du Forum de Jérusalem, auxquels il reproche « d’essayer depuis des années de créer un événement commémoratif alternatif ». A Auschwitz, promettait-il, les principaux invités et orateurs seraient les rescapés, et « non les politiques, les têtes couronnées et les chefs de gouvernement ». Cela n’a pas empêché les discours des uns et des autres d’être très chargés politiquement.

Représentant du pays hôte et seul dirigeant politique à avoir pris la parole, le président polonais Andrzej Duda a certes commencé par adresser ses premières salutations aux « survivants, témoins de l’Holocauste ». Plutôt que de répondre directement aux attaques de son homologue russe Vladimir Poutine, qui a plusieurs fois depuis décembre 2019 mis en cause l’antisémitisme et la responsabilité de la Pologne dans le déclenchement de la seconde guerre mondiale, il s’en est tenu à une lecture « standard » de l’histoire, quoique pas unanimement acceptée par ses concitoyens.

« Le plus terrible des crimes dans l’histoire de l’humanité »

Andrzej Duda a ainsi reconnu que les prisonniers d’Auschwitz avaient été « libérés par les soldats de l’Armée rouge » et que « l’Holocauste était un crime exceptionnel, le plus terrible des crimes dans l’histoire de l’humanité ». Il a également souligné que parmi les 1,3 million de victimes d’Auschwitz, « il y avait des Polonais, des Roms, des prisonniers de guerre soviétiques, mais surtout des juifs ». Or, d’après des sondages, une importante proportion de Polonais continue de croire, conformément à l’enseignement de l’époque communiste, que ce sont surtout les Polonais « non juifs » qui ont perdu la vie à Auschwitz.

Il a ensuite évoqué la place particulière des Polonais dans l’histoire de la seconde guerre mondiale, notamment par le nombre de victimes, l’ampleur du mouvement de résistance et de l’engagement militaire, « le secours apporté aux juifs au péril de leur propre vie » et le rôle de leurs messagers dans la transmission aux Alliés d’informations sur la Shoah, pour « renouveler l’engagement de toujours entretenir la mémoire et défendre la vérité sur ce qu’il s’est produit ici ». « En Pologne, a-t-il expliqué, nous connaissons bien la vérité sur ce qui s’est passé ici car nos compatriotes, à qui les Allemands avaient tatoué des numéros de matricule, nous l’ont racontée. »

Le rôle des Polonais pendant la guerre avait aussi été rappelé, quelques heures plus tôt, au président israélien Réouven Rivlin qui avait ouvert le Forum mondial à Jérusalem. Alors qu’Andrzej Duda lui avait fait publiquement part de ses griefs envers la fondation organisatrice de l’événement pour « avoir complètement ignoré la participation, parmi les Alliés, des Polonais dans la lutte contre l’envahisseur, l’occupant hitlérien allemand », son invité israélien avait rétorqué « se souvenir que le peuple polonais a combattu avec force et courage contre l’Allemagne nazie, mais aussi que beaucoup de Polonais sont restés spectateurs, voire ont prêté assistance aux meurtres de juifs ».

« Auschwitz n’est pas tombé du ciel »

Le président polonais a en revanche eu moins de difficultés à s’entendre avec son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky, également convié à une rencontre bilatérale en amont des commémorations principales. C’est à ce qu’il considère comme leur adversaire commun – la Russie – qu’Andrzej Duda a dédié la conclusion de son intervention : « Falsifier l’histoire de la seconde guerre mondiale, dénier des crimes de génocide [en référence à la grande famine orchestrée en 1932-1933 en Ukraine par le régime stalinien], nier l’Holocauste et instrumentaliser Auschwitz à quelque fin que ce soit, c’est profaner la mémoire des victimes dont les cendres sont ici dispersées. »

Si les survivants ont par la suite occupé le devant de la scène, cela n’a en rien atténué le caractère très engagé, voire conflictuel des discours. Fortement applaudi, le journaliste Marian Turski, 93 ans, s’en est ainsi pris à mots couverts au pouvoir polonais actuel, dont le mélange de politique sociale et d’attisement de la fierté nationale a été comparé au régime nazi des années 1930. La rhétorique anti-migrants du gouvernement a quant à elle été mise en parallèle avec les discriminations qui ont progressivement exclu les juifs de la société.

« Ne soyez pas indifférents, a-t-il appelé, lorsque vous voyez que le passé est manipulé pour les besoins courants de la politique. Ne soyez pas indifférents lorsqu’une minorité, quelle qu’elle soit, est discriminée. L’essence de la démocratie est que la majorité gouverne, mais dans le respect des droits des minorités. (…) Auschwitz n’est pas tombé du ciel, il s’est rapproché à petits pas jusqu’à ce qu’arrive ce qui est arrivé ici. »

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