Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
30 janvier 2020

Actuellement au Centre Pompidou

bol22

Pourquoi il faut aller voir l'expo de Christian Boltanski au Centre Pompidou 

Au Centre Pompidou, la rétrospective “Faire son temps” consacrée au plasticien français parcourt cinquante années de création réunies dans une scénographie immersive invitant à effectuer sa propre traversée initiatique.

A l'instar de la pollution lumineuse qui masque les étoiles depuis les grands centres urbains, le bain perpétuel d'images oblitère le mystère éternel de l'existence humaine. Et pourtant, quelque chose palpite encore. Quelque chose de primordial. Des peurs enfouies, des émotions fragiles, des mythes ancestraux. Qui, pour peu que l'on ose regarder sous la surface, et au plus profond de soi, persistent comme au premier jour, révélant un substrat d'humanité ténu comme une lueur vacillante aperçue au creux de l'obscurité, ou encore comme le battement sourd d'une pulsation cardiaque.

Pour les retrouver, ces sensations enfouies sous la carapace de l'homme moderne bardé d'extensions technologiques, il suffit de peu. De franchir un seuil, à partir duquel serait conclu un pacte : nul ne pénètre ici s'il n'est disposé à se retrouver seul avec soi-même, à accueillir sa part d'ombre, et les spectres et fantômes qui la peuplent. D'ailleurs, la mise en garde est explicite.

Au-dessus de l'accueil de l'exposition de Christian Boltanski au Centre Pompidou, le début du parcours est épelé en ampoules rouges : "DEPART". Il y aura une "ARRIVEE" (ampoules bleues), mais avant cela, avant de revenir à la lumière ordinaire, il faudra s'être immergé dans le royaume des ombres, se soumettre au périple initiatique. Se souvenir, dériver, plonger, flotter, mourir un peu.

Fil d'Ariane

Faire son temps, le titre de l'exposition, réunit quarante œuvres du plasticien français déjà consacré par Beaubourg il y a trente-cinq ans. Le parcours est chronologique, ou s'ouvre du moins par ses toutes premières œuvres. L'une des rares peintures que l'on connaisse de l'artiste, La Chambre ovale (1967), rappelle son parcours d'autodidacte. A l'époque où il réalise cette toile, il a 23 ans et tourne définitivement le dos à la peinture. Déjà, on reconnaît certaines de ses obsessions.

Sur une étendue lunaire baignée d'une lueur rouge est assise une figure noire oblongue, seule, pensive. Plate comme une poupée de chiffon, elle ne peut marcher, enfermée dans l'antichambre de la mémoire. L'introspection peut commencer.

En vis-à-vis, quelqu'un dans la vidéoL'homme qui tousse (1969) éructe bruyamment. Le périple ne sera pas simple, mais pour l'instant, c'est un homme qui se fait le passeur, et le guide. La série de photographies en noir et blanc 27 Possibilités d'autoportraits (2007) le rappelle, il sera d'abord question d'emboîter le pas à l'artiste, de suivre sa propre quête initiatique, lui dont les battements de cœur semblent résonner tout au long du parcours comme un fil d'Ariane.

Il y a, en effet, dans la production de plus d'un demi-siècle de l'artiste, trois grandes périodes. La première commence par les bricolages et reconstitutions du tournant des années 1970, les Essais de reconstitution ou les Vitrines de référence qui touchent à sa propre enfance.

ChristianBoltanski-2.jpg“Animitas Blanc”, 2017, Christian Boltanski © DR/Adagp, Paris, 2019

Dans des vitrines grillagées, Christian Boltanski s'y livre à des tentatives de gripper la disparition de ses premiers souvenirs, en pâte à modeler (un train électrique, une bouilloire) ou en rassemblant de menus objets (brindilles, photos, gribouillages). De ce musée individuel, il augmente peu à peu l'ampleur. Parler de soi certes, mais pour parler des autres, et de tous. En cherchant le commun, l'artiste élague, précise, synthétise son vocabulaire.

Rapidement, on perd le fil chronologique, emporté par la scansion des motifs qui font de son parcours artistique non pas une ligne droite, mais un cycle. A se perdre, à tourner en rond, à errer parmi les voiles de gaze (Les Regards, 2011) et les théâtres d'ombres (Théâtres d’ombres, 1984-1997), la scénographie y invite. Plongé dans la pénombre, on suit la lumière ronde et douce qui provient des œuvres elles-mêmes.

En 1989, après la mort de ses parents, l'artiste entre dans une seconde phase de création, centrée autour de la généalogie. A celle-ci succédera une troisième, élargissant encore, par cercles concentriques, à l'invention de mythes et de paraboles. Sans surprise, Christian Boltanski ne cite pas ou peu d'artistes plasticiens parmi ses sources d'influence, préférant inscrire ses recherches sous l'égide des arts de la scène : la danse (Pina Bausch) et le théâtre (Tadeusz Kantor).

bol20

La cohorte des disparus

Au Centre Pompidou, chacune des œuvres vaut moins par elle-même qu'elles n'appellent ensemble une ritournelle. Des photographies de l'artiste, de sa famille ou de celle de ses proches on passe aux noms et visages des mineurs qui travaillaient entre 1920 et 1940 au Grand-Hornu (Les Registres du Grand-Hornu, 1997) et aux cohortes des disparus, nazis et victimes de la Shoah réunis par la mort (Menschlich, 1994).

Visages, regards, lueurs d'ampoules, registres administratifs de vies vécues, boîtes de biscuits à souvenirs, mais aussi une montagne de vêtements empilés, ici d'un noir charbon (Le Terril Grand-Hornu, 2015), rappelant ceux de Personnes de la Monumenta au Grand Palais en 2010 ou de Take Me (I'm Yours)à la Monnaie de Paris en 2015.

Peu à peu, on s'oublie, et l'on se réhabitue à imaginer l'autoportrait sans le selfie, la mémoire sans le moteur de recherche, la mort sans le transhumanisme. Il est alors presque temps de se reconnecter au monde réel, tel qu'il va ici-bas, aujourd'hui, dehors. Mais pas avant de s'être accordé un ultime moment de grâce, par l'entremise du point d'orgue ménagé par les deux œuvres les plus récentes de l'artiste : les Animitas (2014 et 2017), tournées l’une dans le désert d’Atacama, au Chili, l’autre dans nord neigeux du Québec, où tintent doucement les clochettes d'âmes disparues.

Faire son temps jusqu'au 16 mars au Centre Pompidou, Paris

bol21

Voir et lire mes précédents billets sur Christian Boltanski : http://jourstranquilles.canalblog.com/tag/christian%20boltanski

 

Publicité
Commentaires
Publicité