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Jours tranquilles à Paris
2 février 2020

Portrait - Billie Eilish, “la pop star dont le monde entier a besoin”

THE DAILY TELEGRAPH (LONDRES)

La chanteuse américaine à la carrière météorique est devenue la porte-parole d’une profonde angoisse générationnelle. À tout juste 18 ans, Billie Eilish sait aussi jouer de son maître atout : une originalité qui n’a rien de superficielle.

Billie Eilish est un sacré numéro. Jusqu’à présent, vous étiez peut-être passé à côté du phénomène, mais maintenant il devient presque impossible d’y échapper. Dimanche [26 janvier] soir, aux Grammy Awards, cette très jeune femme, auteure-compositrice aux cheveux verts, hyperangoissée, au look gothique, a raflé tous les prix.

Eilish a fêté ses 18 ans en décembre. Elle est la plus jeune lauréate à avoir remporté en une seule fois cinq Grammy Awards importants, et la plus jeune à avoir décroché le prestigieux “album de l’année”. Et cela à peine une semaine après qu’on a eu appris qu’Eilish allait être la plus jeune musicienne à composer et à chanter un thème de James Bond.

La pop est un secteur tourné vers les jeunes, mais Eilish est si jeune que même les milléniaux peuvent se sentir vieux par comparaison. Elle n’a obtenu son permis de conduire que l’année dernière et elle vit encore chez ses parents dans la petite maison de Los Angeles où elle a grandi. Elle a entièrement écrit et enregistré dans sa chambre l’album qui lui a valu sa première sélection aux Grammy Awards, When We All Fall Asleep, Where Do We Go ?

Brute de décoffrage

Eilish est l’emblème pop de la génération Z [née entre 1995 et 2010], elle brouille les frontières entre les genres musicaux et véhicule des messages sombres, d’une grande sensibilité. Or ce qui est vraiment frappant, ce n’est pas tant sa jeunesse que son talent. Il n’y a rien d’espiègle, de mignon chez elle. Ce n’est pas une hyperactive sirupeuse, un pur produit du show-business lancé comme une savonnette par une camarilla de la pop agissant dans l’ombre. Eilish est une artiste brute de décoffrage, elle est entière, originale, passablement excentrique.

Ses chansons mêlent R’n’B, technopop, éléments de folk et de jazz, airs de comédies musicales. Sa musique est à la fois moderne et hors du temps. Ses paroles sont sombres mais pleines d’esprit, à la fois sérieuses et enjouées. Elle y fait le grand écart entre le nihilisme et la joie, tout en se colletant avec les angoisses de l’époque troublée où nous vivons. Son style vocal peut passer en un instant de la coquetterie à l’agressivité, de l’ironie à la sincérité, avec un art de la litote qui la fait paraître d’une maturité qu’on n’attendrait pas d’une fille de son âge.

Et pourtant Eilish n’est pas non plus tout à fait un petit prodige aux dons surnaturels, comme on pourrait le croire. Elle est en fait le produit de deux talents, qui l’un et l’autre ont grandi dans une atmosphère créative, comme sous une serre, et qui ont toujours travaillé main dans la main. Ses parents sont à la fois acteurs et musiciens. Maggie Baird et Patrick O’Connell ont toujours vivoté dans leurs professions (“On était surtout au chômage”, selon son père). Ils sont crédités en fin de générique dans des émissions de télévision et des films, notamment The X-Files, Six Feet Under et À la Maison-Blanche.

Un succès commencé sur Internet

Leur maison est un pavillon avec deux chambres, situé dans le quartier de Highland Park, à Los Angeles, en voie de boboïsation. Eilish a un temps partagé sa chambre avec son frère Finneas O’Connell, de quatre ans son aîné. “On était une famille hyperprogressiste, un peu baba cool”, selon Finneas. Eilish et son frère étaient scolarisés à domicile, sans programme officiel, ils allaient régulièrement dans des musées et étaient encouragés dans leurs activités créatives.

La musique a toujours été la passion d’Eilish. Elle a écrit sa première chanson à l’ukulélé lorsqu’elle avait 4 ans, et elle est entrée dans le Chœur pour enfants de Los Angeles quatre ans plus tard. Elle a suivi des cours de danse, jusqu’à une blessure invalidante à la hanche, survenue à 14 ans. Mais c’est son frère Finneas qui a mené activement une carrière dans la musique. À l’adolescence, il est aussi apparu comme acteur dans quatre épisodes de la dernière saison de Glee (il y tient le rôle d’Alistair), tout en dirigeant un groupe local, The Slightlys. Auteur-compositeur, chanteur, multi-instrumentiste, Finneas a produit et enregistré en 2014, sur ordinateur portable, sa sœur qui chantait l’une des chansons de son groupe, Ocean Eyes. Il s’agissait initialement d’un projet pour le cours de danse d’Eilish. “Au départ, nous avions un gros son de guitare électrique et de batterie, qui enflait”, raconte le frère d’Eilish, mais finalement le morceau a été simplifié pour devenir cette balade rêveuse, éthérée, qui dégage une puissance tranquille.

Quand ils postent la chanson sur Sounclound, un site de musique en ligne, la chanson se taille un beau succès avec des dizaines de milliers de clics en quelques semaines. Finneas a 18 ans et Eilish seulement 14 ans.

Imposer ses codes

Finneas fait alors appel à un manager qu’il connaît et commence à démarcher les maisons de disques. Tout aurait pu très mal se passer ou être écrit d’avance. Dans le monde moderne de la musique, la formule éprouvée consiste à envoyer les nouveaux talents en studio avec une équipe d’auteurs et de producteurs chevronnés. Comme le raconte Eilish :

C’était affreux. On nous bassinait avec ces vieux qui avaient prétendument écrit des tubes planétaires alors qu’en fait c’était des nases. Pour moi, leurs chansons avaient cent ans, et j’avais très envie de leur dire.”

Le frère et la sœur sont alors retournés dans leur chambre, et Finneas a continué de nourrir les dons lyriques et mélodiques de sa sœur. Le fait de vivre coupés du monde a contribué à la création de quelque chose d’unique, qui repose sur la voix particulière et la personnalité originale d’Eilish. Leurs chansons ayant été écoutées des milliards de fois en streaming sur Spotify avant même la sortie de leur premier album, le duo familial a pu s’émanciper et faire de la pop comme ils l’entendaient.

Eilish a des côtés très particuliers. Quand elle était enfant, on lui a diagnostiqué un syndrome de Gilles de la Tourette, modéré certes mais qui se manifeste par des tics quand elle est stressée, comme les yeux exorbités et des mouvements involontaires de la tête. Elle est aussi atteinte de synesthésie, un trouble neurosensoriel qui mélange les sens. Quand on lui demande de décrire la chanson Bad Guy qui lui a valu un Grammy, Eilish peut déclarer : “Elle est jaune, mais aussi rouge, et au nombre de sept. Elle n’est pas brûlante mais réchauffante comme un four. Et elle sent bon les cookies.”

Refus de toute sexualisation

L’audace d’Eilish est le reflet de l’environnement qui permit à son talent de s’épanouir. Elle a beau être très jolie, elle a évité le piège de la sexualisation à outrance dans laquelle tombent les jeunes stars féminines de la pop. Exhiber son corps dans des vêtements microscopiques ou moulants, ou tourner des vidéos à caractère presque pornographique ? Très peu pour elle. Son style bien à elle la porte plutôt vers des vêtements très amples et colorés et un maquillage gothique prononcé : un style XXL, tape-à-l’œil, androgyne et malin. Elle considère la mode comme un “mécanisme de défense” qui lui permet d’éviter les remarques sur son corps. Pour une génération nourrie aux réseaux sociaux et où la dysmorphophobie [obsession pour un trait physique perçu comme un défaut] est une pathologie de plus en plus en plus répandue, le refus d’Eilish de jouer la carte du glamour est une libération. “Personne ne peut dire que je n’ai pas de fesses ou qu’elles sont trop grosses puisque personne n’en sait rien.”

Comme de nombreux adolescents, Eilish a connu des épisodes dépressifs et des crises d’angoisse. Et ce sont ces thèmes et ce genre d’émotions qu’elle veut explorer frontalement dans ses chansons, au lieu de se cantonner à des histoires à l’eau de rose comme la plupart des stars de la pop. Pourtant, loin d’être moroses ou plaintives, ses chansons sont pleines de bons mots et d’empathie, avec une sacrée dose d’humour noir et d’impertinence. Dans la chanson All the Good Girls Go to Hell, Eilish se prend pour Dieu “elle-même” et se penche sur le sort de l’humanité. “Tu ne donnes plus le change, toi l’homme, une espèce d’idiot, pourquoi voudrais-je son salut / Ils s’empoisonnent tout seuls / Et nous appellent à l’aide ensuite / Les collines brûlent en Californie / J’en ai fini de m’inquiéter pour toi / Et ne dis pas que je ne t’ai pas prévenu.” Sa pop provocatrice et culottée a un temps d’avance sur ses contemporains. Jeune, intelligente et vraiment talentueuse, Billie Eilish est la pop star dont le monde entier a besoin.

Neil McCormick

Cet article a été publié dans sa version originale le 27/01/2020.

Source

The Daily Telegraph

LONDRES http://www.telegraph.co.uk

Atlantiste et antieuropéen sur le fond, pugnace et engagé sur la forme, c'est le grand journal conservateur de référence. Fondé en 1855, il est le dernier des quotidiens de qualité à ne pas avoir abandonné le grand format.

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