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Jours tranquilles à Paris
7 février 2020

LA HARDIESSE — LA FAB.

la fab agnes

Ce dimanche s’ouvrait La Fab., nouveau lieu d’art à Paris imaginé par l’une de ses plus grandes figures, agnès b. qui y présentera, durant les années à venir sa collection. Derrière une telle promesse, la déception de cette première présentation est à la hauteur de l’excitation qu’elle a pu susciter.

« La hardiesse — Dans la collection d’art contemporain d’agnès b. », La Fab. jusqu'au 30 avril.

La naissance d’un nouveau lieu d’art à Paris est toujours un événement. La Fab., consacrée à la collection d’œuvres d’agnès b., qui a soutenu et accompagné des artistes majeurs de la scène contemporaine l’est plus encore. Un ensemble d’œuvres formidable fait de rencontres, d’histoires d’amitié mais plus encore d’un singulier goût pour l’art qui passe chez cette créatrice par l’émotion et l’empathie. Il faut ainsi la voir évoquer, dans l’un des entretiens avec Hans Ulrich Obrist retranscrits dans le catalogue consacré à sa collection1, l’acquisition d’une peinture de Klossowski avec une humanité et une drôlerie qui ne peuvent que toucher, se refusant à laisser seule cette œuvre qui plierait bagage après avoir été exposée tout au long de la FIAC. De même la prégnance des visages, des regards, des êtres, célébrités ou non dans sa collection. C’est peut-être précisément cette empathie et cette affection bien sensibles dans son rapport aux œuvres qui perturbent les lignes de lecture d’une exposition qui aligne des formes, des intentions et des problématiques contradictoires dans un parcours dont le thème, pourtant précis, échoue à faire sens et à révéler son véritable potentiel.

Le long de deux grandes salles en enfilade ponctuées par d’étonnantes colonnes sur socles aux accents rococos, l’espace d’exposition de La Fab. oscille entre minimalisme bienvenu et kitsch inattendu, la faute certainement à une hauteur sous plafond qui écrase la perspective et accentue les lignes parasites pour faire des timides cimaises disposées en angle droit le support fragile d’œuvres qui se perdent dans le flot de leurs voisines. Mais l’architecture, toujours modulable, n’est ici que le symptôme d’une présentation abrupte d’œuvres qui, dès l’entame, trahissent la discrétion de leurs échos. Si l’énergie est bien là (on pense notamment à la belle promesse initiale avec une œuvre éclatante des Frères Ripoulin), l’audace aussi parfois avec les Gilbert & George de différentes époques que la présentation confronte à John Giorno dans un dialogue réussi (le seul), les pièces les plus intimistes (des dessins de Warhol, Basquiat, Bourgeois, les photographies de et avec Warhol encore ou le polaroid de Tracey Emin — une superbe œuvre au demeurant) viennent contrebalancer l’éclatement des formes attendu sans aucune justification et desservent un ensemble qui aurait pu conjuguer les histoires.

Plus donc que la qualité intrinsèque des œuvres historiques de cette première partie du parcours (même si deux dessins de Warhol et Basquiat ne manqueront pas de laisser dubitatifs quant à leur présentation dans un parcours payant), c’est bien la superposition de signes, de narrations, de liens confinés dans le secret et l’absence de tout matériel curatorial (aucun cartel, aucune introduction et surtout aucune intention formulée) qui fait de cette promesse une proposition dont les fils se perdent dès l’entame. La seconde partie, à l’étage, dont on ne comprend guère si elle poursuit ou offre un contre-pied à la présentation du rez-de-chaussée accumule les réunions d’œuvres (intéressantes par ailleurs pour la plupart) sur un plan purement formel qui multiplie les îlots dans un archipel bien trop chargé pour l’espace. Un paradoxe de plus à mettre au crédit de cette inauguration de La Fab. tant l’impression qui domine après avoir parcouru en tous sens ses espaces est de n’en avoir pas vu assez. Sentiment largement inattendu quand on connaît la générosité et les réussites foisonnantes dont était capable la galerie du Jour, même avec un nombre moins élevé d’œuvres.

Ce si joli mot de « hardiesse », choisi pour la première présentation (qui a vocation à se décliner en d’autres volets plus rapidement que les usuelles expositions permanentes d’institutions analogues, rappelons-le) peine ainsi à trouver son reflet exact dans l’amoncellement de pièces comme réduites à leur vocation de citations plus que mises en avant pour leur radicalité (il faut voir le sort réservé à la toile de Calder accrochée comme en urgence au pied d’un escalier qui empêche tout recul) et se perd dans une linéarité dont seule la découverte d’œuvres méconnues relève la valeur. La faute à un commissariat proprement déficient, semblant répondre plus à un cahier des charges qu’à une attention exprimée. Une ligne bicéphale donc qui, du portrait d’une collection, balance avec le portrait en creux d’une collectionneuse. Et si l’on ne peut que reconnaître son investissement et son empathie auprès d’artistes qu’elle a toujours défendus, l’ensemble ne suffit pas à créer une bonne exposition. La multiplication des propositions n’arrive jamais à véritablement habiter le lieu et, dans cet espace sans anfractuosité prononcée, difficile, hors de toute invention narrative qu’un véritable travail de curateur aurait pu implémenter, d’y faire naître alors un esprit, à défaut d’une âme qu’il reste à bâtir.

On espère donc un sursaut pour les présentations à venir et l’on conseille fortement à tous les visiteurs de profiter de la première semaine de gratuité de cette institution pour se confronter à ses plus belles pièces.

 

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