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Jours tranquilles à Paris
10 février 2020

Le coronavirus scruté à l'institut Pasteur : « on reçoit 10 échantillons par jour »

Coronavirus : au cœur du laboratoire de l’Institut Pasteur qui traque le virus

Nous avons pu pénétrer dans le laboratoire où les chercheurs analysent les prélèvements réalisés sur les cas suspects. À eux de déterminer si les malades sont touchés ou non par le nouveau virus.

Par Elsa Mari

« On a reçu les prélèvements de la nuit? » Une secrétaire acquiesce d'une voix calme. Ce matin-là, 9h30, le facteur est bien passé à l'Institut Pasteur à Paris. Trois colis blancs attendent déjà sur une étagère du Centre national de référence des virus des infections respiratoires, au 4e étage d'un immeuble en verre, ultra-sécurisé. C'est ici que, depuis des semaines, les scientifiques unissent leurs forces pour gagner le combat contre le nouveau coronavirus chinois, provisoirement baptisé 2019-nCoV, qui affole le monde.

« Bip », la porte s'ouvre sur un laboratoire très confidentiel auquel nous aurons accès durant une heure. Loin de la panique et des rumeurs, le long des couloirs, des blouses blanches concentrées, l'œil sur un microscope ou leur ordinateur, sont sur le pont jour et nuit depuis le début de l'épidémie. À ce jour, onze cas de contamination ont été recensés en France, dont cinq ce week-end dans la station de ski des Contamines (Haute-Savoie), toujours hospitalisées.

À l'intérieur des paquets, protégés d'un triple emballage et livrés par des transporteurs spécialisés, les chercheurs récupèrent des prélèvements respiratoires ou des échantillons de sang, d'urines, de selles, de patients peut-être infectés par le coronavirus.

Sont-ils contaminés ? Aux chercheurs de réaliser les tests. Leur mission, signaler le plus rapidement une infection. Surtout éviter la propagation. « Ce sont des échantillons suspects, envoyés par des hôpitaux, prévient Vincent Enouf, le directeur adjoint du centre, petites lunettes rondes sur le nez. On a besoin de quatre heures pour dire si la personne est positive ou non ». Cinq malades ont déjà été diagnostiqués par cette équipe de sept personnes à Pasteur.

pasteur coronavirus

« On prend toutes les précautions »

Il faut faire vite, d'autres colis arriveront dans la journée, une dizaine en moyenne. Pas une seconde à perdre. Derrière une baie vitrée, on aperçoit Maxence, un des quatre techniciens, méconnaissable dans la combinaison blanche qui le couvre de la tête aux pieds. C'est lui qui, le premier, va être confronté à l'échantillon suspect.

Le laboratoire est de sécurité niveau 2, le port du vêtement, lui, est de catégorie 3, employé pour approcher les virus les plus dangereux : « Comme on ne connaît pas bien ce coronavirus, on prend toutes les précautions pour protéger le personnel », prévient Vincent Enouf.

Rodé aux gestes de haute précision, Maxence a d'abord enfilé sa tenue en papier, couvert ses pieds et enfilé deux paires de gants dans un sas où l'air filtré ne ressort jamais. Un rempart contre une éventuelle contamination.

Quelques minutes plus tard, le technicien, assis à sa paillasse commence par inactiver le virus du prélèvement au cas où l'ennemi s'y trouverait ! On l'observe derrière une vitre. « Ce qu'il y a dans son tube ne sera plus vivant, il ne risque pas d'attraper le coronavirus », précise le directeur adjoint.

Si Maxence veille à se protéger, il fait de même avec son prélèvement qui doit rester intact. Jamais il ne met ses mains, mêmes gantées, au-dessus des tubes. Chaque geste est millimétré grâce à des heures d'apprentissage.

Deuxième étape, dans une autre pièce il va désormais extraire le génome du virus, son information génétique. « J'imagine que vous allez me poser la question mais non, ils n'ont pas peur, ils ont l'habitude, anticipe Vincent Enouf. Ils ont travaillé sur d'autres virus comme le H1N1 en 2009, le Sras, le Mers ». Fin du travail pour Maxence. Pour des raisons de sécurité, un collègue prend le relais. À ce dernier de mélanger ce génome avec un liquide réactionnel qui permet de révéler la présence du virus.

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Afin de connaître le résultat, il faut introduire dans une grosse machine la plaque où se trouve le mélange. Pour cela, direction une pièce à l'autre bout du couloir. De chaque côté d'un ordinateur, des sortes de grandes imprimantes apparaissent. Dans une fente semblable à un lecteur CD, la plaque est introduite.

« Voilà, on attend une heure trente et si des courbes rouges sont visibles sur l'ordinateur, cela veut dire que le virus est bien là, sinon l'écran reste blanc », raconte Vincent Enouf qui, en cas de contamination, doit tout de suite appeler les autorités de santé.

Si des courbes rouges sur l’ordinateur confirment la présence du coronavirus, le centre doit immédiatement alerter les autorités de santé./LP/Guillaume Georges

Si des courbes rouges sur l’ordinateur confirment la présence du coronavirus, le centre doit immédiatement alerter les autorités de santé./LP/Guillaume Georges 

Outre cette dizaine de vérifications quotidiennes, les chercheurs continuent d'analyser, plusieurs fois par jour, les prélèvements des malades français. Objectif, suivre leur évolution. Si le virus disparaît deux jours de suite de leur organisme, ils pourront quitter l'hôpital. Pour l'instant, aucun des six premiers patients infectés, isolés dans des chambres d'hôpitaux parisiens et bordelais, n'a pu en partir.

« En Chine, on a observé qu'il fallait entre 10 et 14 jours pour que le coronavirus ne soit plus détecté dans l'organisme. Cela peut aller jusqu'à 20 ! Voilà pourquoi ils ont dû construire deux hôpitaux en dix jours, poursuit le spécialiste. C'est totalement justifié ! »

« On est à flux tendus depuis trois semaines »

Les chercheurs de Pasteur croulent aussi sous le travail. « Il y a tellement la queue pour faire les tests sur les machines qu'on nous en a prêté une autre », poursuit le spécialiste alors que derrière lui ronronnent de gros réfrigérateurs à −80 degrés. C'est ce qu'on appelle la virothèque, la bibliothèque de virus. Une partie de chaque prélèvement est mise au frigo comme une archive que l'on garderait. On appelle ça « les réserves absolues ». « Je reviens », s'interrompt le directeur adjoint, dérangé à nouveau par un appel urgent.

Malgré le calme ambiant du labo, les traits des visages commencent à se tirer, les organismes à flancher. « On est à flux tendu depuis trois semaines, les équipes démarrent vers 8 heures et finissent à 23 heures, concède-t-il. On a dû demander du renfort ! Il faut gérer les départs en vacances, l'épuisement… ».

Alors quand on demande à parler à d'autres chercheurs, la réponse est d'abord catégorique : « Prenez ce qu'on vous donne », réagit-on, déjà chanceux, nous fait-on comprendre, de pénétrer dans ce labo qu'une centaine de journalistes du monde entier demande à visiter chaque jour. L'heure s'achève comme prévu, pas plus ! Avec le coronavirus, les chercheurs du centre des virus respiratoires doivent également surveiller la grippe, actuellement en pleine épidémie. « On vit une situation exceptionnelle », reprend Vincent Enouf.

Devant un microscope, casque sur les oreilles, un doctorant étudie justement la grippe. « Il y a toujours beaucoup de travail, lâche-t-il. Une pandémie peut se déclarer n'importe quand. » En face, dans un bureau, Flora, 30 ans, jongle d'un virus à l'autre : « On a tellement de prélèvements, entre l'épidémie de grippe et le coronavirus, que je fais aussi les tests de détection pour aider mon équipe », lâche cette ingénieure qui tient grâce « au café ». « C'est dans mes missions, dépanner en cas de besoin ».

D'autres travaillent sur le nouveau coronavirus que les chercheurs parisiens ont réussi à isoler et à multiplier afin d'en obtenir une grande quantité pour mieux l'étudier, le connaître, l'analyser. Où est-il? Peut-on le voir? Interdit. Le labo, lui, ne peut être visité. Une mesure pour éviter que le coronavirus ne soit volé sur ce site sensible. Par crainte, sait-on jamais, du bioterrorisme.

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