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Jours tranquilles à Paris
16 février 2020

Critique - Dans « L’Institut », Stephen King maltraite les surdoués

Par François Angelier, Collaborateur du "Monde des livres"

Des jeunes dotés de superpouvoirs sont férocement exploités par de sadiques bureaucrates. Le King signe un nouveau roman hallucinant et politique.

stephgen

« L’Institut » (The Institute), de Stephen King, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Albin Michel, 608 p., 24,90 €

Dans D’après une histoire de Stephen King (Hachette Heroes, 2019), Matthieu Rostac et François Cau notaient que les grandes orgues du récit kingien s’autorisent d’une trentaine de voix fixes et récurrentes qu’elles registrent et harmonisent à chaque roman de façon variable. Celles-ci vont de l’Apocalypse à l’éthylisme du héros, de l’emprise des forces occultes à la technophobie.

Si L’Outsider (Albin Michel – comme tous ses livres depuis 1982 –, 2019), Sleeping Beauties (avec Owen King, 2018) et Fin de ronde (2017) mobilisaient l’infiltration sourde du mal, l’affirmation de la puissance féminine ainsi que l’intraitable vieillard enquêteur, L’Institut, nouveau roman du maître de Bangor (Maine), table sur l’entrecroisement de quatre thématiques fortes : les hyperpouvoirs mentaux paranormaux (un classique de son inspiration depuis Carrie, 1976, et Shining, 1979), les sociétés enfantines (notamment dans Ça, 1988, et Dreamcatcher, 2002), l’enfance violentée (dans Doctor Sleep, 2013) et la riposte à certaines menaces planétaires (Le Fléau, 1981), réelles ou supposées.

Pouvoirs terroristes

Enlevé en pleine nuit, dans le Minnesota, par un commando d’inconnus qui exécutent froidement ses parents, Luke Ellis, jeune surdoué de 12 ans doté de pouvoirs télékinétiques, est interné dans un mystérieux « Institut » installé depuis la guerre froide aux confins des forêts du Maine.

Il s’agit d’un centre d’expérimentation gouvernemental secret doublé d’un bagne à la fonction claire : travailler et enrichir, à grand renfort d’injections hypodermiques, de chocs lumineux et d’une atmosphère terrifiante, la puissance mentale d’enfants aux capacités psychiques surnaturelles ; pouvoirs notamment télépathes dont l’usage terroriste, à distance et clandestin, s’avère la finalité la plus opaque des Etats-Unis et de leurs alliés.

Luke, qui s’y lie avec d’autres détenus mineurs, filles et garçons, tous forts de « talents » extraordinaires et également arrachés à leurs familles, découvre d’abord les maîtres de l’endroit, une petite bureaucratie infernale, sadique, amère et désenchantée, régentant, à l’aide d’une escouade de matons, une chiourme d’enfants rebelles ou traumatisés.

Le sinistre des locaux sera sa seconde découverte : cellules ternes, salles de jeux, corridors, tunnels et salles opératoires, technologie quasi obsolète. L’on y suit, entre séances de traitement et moments de détente, un parcours exténuant qui mène, après l’Avant et l’Arrière, de niveau en niveau, à Gorky Park, une déchetterie humaine où les cobayes à bout de neurones s’entassent dans un sous-sol fétide.

Luke, à l’issue d’un long périple et avec l’aide imprévue de Sudistes, parviendra à s’extraire de cet enfer clinique, apprenant sans vraiment y croire que, de ce massacre programmé d’enfants et d’adolescents, dépendent, au dire de ceux qui l’ont planifié, l’ordre et la sécurité du monde.

Une petite clique de bourreaux routiniers

Un roman, moins d’action et d’épouvante que de réflexion politique, qui vaut avant tout pour la peinture hallucinante de l’effroyable petit monde confiné de l’Institut où, loin de toute terreur gothique et de savants fous, s’affaire au quotidien une petite clique de bourreaux routiniers trompant leur ennui par l’administration d’une discipline atroce.

C’est plus l’écrivain-citoyen responsable que le conteur fantastique qui se manifeste dans ce roman. Stephen King y analyse en effet, à travers les manigances en roue libre de certaines agences occultes, la dérive paranoïaque et totalitaire d’Etats contemporains.

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