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Jours tranquilles à Paris
22 février 2020

Reportage - Dans les campagnes chinoises, les paysans se barricadent contre le coronavirus

coronavirus66

SANLIAN SHENGHUO ZHOUKAN (PÉKIN)

Dans les régions rurales proches de Wuhan, les habitants bloquent les routes d’accès à leurs villages, empêchant tout échange de produits agricoles. Ce magazine pékinois s’est rendu sur place.

Zhou Ping travaille comme camionneur à Xiantao [à environ 70 kilomètres au sud-ouest de Wuhan, dans la province du Hubei]. Il livre surtout de la nourriture pour volaille aux éleveurs des environs. Le 30 janvier, avec des représentants de ces derniers, il s’est rendu à la mairie pour alerter les autorités sur le problème posé par le blocage des routes en milieu rural, qui empêche toute livraison de nourriture, avec le risque de voir les poules et poulets mourir de faim.

Le 23 janvier à 10 heures du matin, Wuhan a été placée en quarantaine, et d’autres villes de la province se sont également repliées sur elles-mêmes, en limitant leurs accès. Ainsi, dans la municipalité de Chibi, toutes les routes nationales, provinciales et de préfecture ont été interdites à la circulation.

À l’intérieur de l’agglomération, des contrôles ont été mis en place sur les trois grands ponts : seuls peuvent passer les véhicules autorisés à assurer l’approvisionnement, ceux qui font des interventions d’urgence et les cars de ramassage des services de prévention de l’épidémie. Tout contrevenant s’expose à une amende allant de 200 à 2 000 yuans [de 26 à 260 euros] et un placement en détention pouvant aller jusqu’à quinze jours.

Des tranchées creusées dans la chaussée

Outre les arrêtés de limitation de la circulation, les villageois ont installé des barrages sur toutes les petites routes qui relient les villages au chef-lieu de préfecture.

“Depuis le nouvel an [chinois, le 25 janvier], les routes menant à tous les villages ont été fermées par des amas de terre ou par des gros camions agricoles mis en travers ; en d’autres endroits, on a posé des barrières. Comme les véhicules n’ont plus le droit de passer, les gens ne peuvent que sortir à pied ou à vélo. C’est impossible de se rendre en ville, et même au bourg, on ne voit personne dans les rues, et il n’y a plus aucun magasin d’ouvert ni de vendeurs de petit déjeuner”, explique Guoguo, qui est venu passer les fêtes du nouvel an chinois à la campagne près de Chibi.

Une fermeture raisonnable des routes peut effectivement contribuer à stopper la transmission de la pneumonie à nouveau coronavirus, mais en certains endroits, les gens ont carrément creusé la chaussée pour empêcher tout passage, gênant considérablement les agriculteurs.

Zhou Ping explique : “En temps normal, les éleveurs de volaille stockent suffisamment d’aliments pour couvrir la période allant du 24e jour du 12e mois lunaire au 10e jour du 1er mois de la nouvelle année. Cette année, on a appris qu’il y avait une épidémie à Wuhan le 28e ou le 29e jour du 12e mois lunaire, et le 1er, les routes ont été brusquement coupées. Personne n’a pu anticiper une telle situation pour les stocks de nourriture.”

Il habite dans un village situé à dix kilomètres du chef-lieu de préfecture, et à quelques kilomètres seulement de la banlieue de Wuhan, mais les deux voies d’accès étant bloquées, il ne peut pas sortir avec son camion pour aller livrer des aliments ni se faire approvisionner de l’extérieur. Il risque d’enregistrer de lourdes pertes si cela continue. “Il faut compter six sacs de nourriture par jour pour 10 000 poules. Habituellement, je livre aux aviculteurs des environs 1 600 tonnes d’aliments par mois. On est une dizaine de chauffeurs comme moi dans la région”, précise M. Zhou.

Les éleveurs de langoustes très inquiets

Le cas des aviculteurs n’est qu’une petite illustration de la situation. Si la fermeture des routes devait durer, elle causerait des problèmes dans de nombreux secteurs. Ainsi, la province du Hubei est renommée dans toute la Chine pour ses langoustes, mais les éleveurs nous ont confié :

En plus des difficultés rencontrées par le personnel pour venir travailler, la fermeture des routes a surtout pour conséquence aujourd’hui d’empêcher les livraisons de nourriture. Heureusement qu’en ce moment ce sont les vacances de la Fête du printemps, mais si cela devait durer jusqu’à fin février début mars, ce serait très embêtant pour l’élevage des langoustes.”

Il est clair que l’épidémie risque de poser de nombreux problèmes économiques. Ce n’est qu’en garantissant l’approvisionnement en nourriture et le bon fonctionnement du réseau logistique qu’on pourra éviter d’abattre de nombreuses bêtes faute de pouvoir les alimenter et les vendre normalement. Il ne faut pas laisser la situation se détériorer davantage.

Avec la propagation de l’épidémie, d’autres régions en dehors du Hubei ont également décidé de fermer les routes. Funan est la préfecture la plus peuplée de la province de l’Anhui, c’est également une grande exportatrice de main-d’œuvre vers les autres provinces.

Or, le 25 janvier, le bourg de Zhuzhaizhen a ordonné la suspension du service de bus et de cars reliant les zones rurales à Funan. Le 26, les petites routes entre les villages ont été bloquées par des monceaux de terre, chaque village ne laissant libre qu’une ou deux artères pour aller à la ville afin d’acheminer des marchandises et de pouvoir les utiliser en cas d’urgence, par exemple pour emmener un malade.

Les zones rurales vulnérables

Tous les villages ont instauré des points de contrôle sur les grandes routes menant à la ville. Il s’agit en général de quelques véhicules mis en travers, avec parfois une tente pour s’abriter. Seuls les véhicules des habitants du lieu sont autorisés à passer, personne ne peut venir du dehors faire ses civilités de nouvel an. En arrivant au village, les conducteurs du cru doivent montrer leurs papiers et se soumettre à un contrôle de leur température.

On commence cependant à trouver sur [la plateforme de microblogging] Weibo des messages de mécontentement face à une telle situation. Une villageoise du district de Yang, dans la province du Shaanxi [dans le nord de la Chine], qui devait se rendre à l’hôpital pour un suivi de grossesse, a été obligée de rebrousser chemin après s’être retrouvée bloquée lorsqu’elle a voulu prendre un raccourci en passant par d’autres villages.

Par rapport à l’épidémie de Sras (en 2003), la menace qui pèse sur les campagnes est aujourd’hui beaucoup plus forte. Cette fois, l’épidémie est en effet survenue en pleine période de grandes migrations des villes vers les campagnes à l’occasion de la Fête du printemps, alors que le Sras s’était déclaré après le nouvel an chinois et avait touché surtout les citadins.

Lors de sa conférence de presse le 26 janvier, le maire de Wuhan, Zhou Xianwang, a déclaré que 5 millions de personnes avaient quitté l’agglomération [avant la mise en quarantaine de la ville, le 20], en particulier de nombreux travailleurs migrants d’origine rurale qui étaient rentrés dans leurs familles.

Des installations médicales précaires

Le nombre de cas diagnostiqués reflète bien cette réalité : ainsi, dans la province de l’Anhui, proche géographiquement de celle du Hubei, on constate une explosion du nombre de cas diagnostiqués, avec parmi eux un fort pourcentage de ruraux, de personnes âgées ou d’âge moyen, ainsi que de commerçants et de travailleurs migrants.

Par rapport à celui des villes, le système de prévention des épidémies en milieu rural est très fragile. Fin 2018, 46 bourgs de Chine [de 10 000 à 100 000 habitants] étaient toujours dépourvus de tout centre de soins ; 666 centres de soins fonctionnaient sans médecin généraliste ou simple praticien ; 1 022 villages administratifs [2 000 habitants en moyenne] n’avaient pas de dispensaire et 6 903 dispensaires ne disposaient que de “médecins” non qualifiés.

Nous avons rencontré l’un de ces “médecins” dans la province du Henan [limitrophe du Hubei]. Deux fois par jour, sans aucun équipement de protection, il se rend au village voisin pour prendre la température des habitants, qui ne portent pas non plus de masque. Sa fille, qui travaille dans une grande agglomération, lui en a bien rapporté, mais il a eu vite fait d’épuiser son stock.

Il en a commandé à l’étranger par l’intermédiaire d’amis, mais les livreurs ne vont pas plus loin désormais que le chef-lieu de préfecture, à plus de 10 kilomètres de là. “Les routes sont toutes fermées et aller à pied jusque là-bas n’est pas possible”, explique sa fille.

Parcours du combattant

Dans les campagnes, compte tenu de l’état actuel du réseau de soins et de prévention des épidémies et de l’insuffisance des installations médicales de base, la fermeture des routes est la solution la plus économique et la plus efficace. Les citadins trouvent très bizarre que les paysans bloquent les routes avec des tas de terre ou des engins agricoles, mais ils ne font qu’utiliser avec astuce les ressources dont ils disposent gratuitement.

Cependant, ils doivent avoir conscience qu’en même temps qu’ils empêchent l’épidémie de se répandre, ils font aussi obstacle au bon fonctionnement de la société. Le directeur adjoint d’une société du Hubei qui s’occupe de la commercialisation d’œufs et de nourriture pour animaux explique que le transport des œufs est devenu un vrai casse-tête ces derniers temps :

Il y a deux jours, nous avons dû acheminer des œufs d’un chef-lieu de district situé dans le sud du Hubei jusqu’à Wuhan, soit sur une distance d’environ 120 kilomètres. Il nous a fallu pour cela procéder en cinq étapes : notre camion est allé jusqu’à un premier barrage, où on a dû transvaser les œufs dans un autre véhicule qui attendait de l’autre côté du tas de terre, et ainsi de suite à chaque barrage. Cinq fois au total ! Finalement on a pu livrer le supermarché à Wuhan, mais en ayant recours à beaucoup de personnel.”

Si les villages n’hésitent pas à se replier sur eux-mêmes, c’est parce qu’ils sont capables de vivre longtemps en cercle fermé. Mais le réseau ramifié des petites routes qui relient ces villages conditionne le bon fonctionnement de la société. Le fait de ne permettre qu’aux gens de son propre village d’y accéder peut avoir de lourdes conséquences.

Ainsi, Xiantao est au Hubei un important lieu de production d’œufs. “80 % de la production d’œufs de Xiantao est écoulée dans la province du Hunan, une petite partie étant vendue directement dans les supermarchés ou sur les marchés de Wuhan. En temps normal, trois ou quatre jours après le nouvel an [chinois], on se remet à distribuer nos œufs, mais cette année, les villages se sont repliés sur eux-mêmes et, à ce jour, aucun des aviculteurs que je connais n’a réussi à vendre ses œufs,” explique Li Qiang, un éleveur de poules.

En dehors de ces clients du Hunan qui ne peuvent plus recevoir les œufs de Xiantao, leur distribution dans la province-même du Hubei se heurte à de nombreux obstacles. “Toutes les voies d’accès au village sont fermées, les ouvriers ne peuvent pas venir travailler et on ne peut pas livrer les œufs”, explique Li Qiang. En fait, à supposer qu’il ait pu transporter les œufs en dehors du village, de toute façon, il n’aurait pas pu prendre l’autoroute, car il faut une autorisation pour cela, et celle-ci n’est délivrée qu’aux véhicules de secours.

Pas de commande depuis le 19 janvier

Tout le secteur du transport de marchandises est quasiment paralysé à cause de la fermeture des routes. Le chef d’une gare de chargement du Hubei nous a expliqué que, “comme les chauffeurs et les camions ne peuvent pas sortir, certains camionneurs se sont proposés pour des opérations de bénévolat à l’intérieur de la province, mais dans leurs villages, on ne les a pas laissés partir, de peur qu’ils ne rapportent le virus”.

Le Hubei n’est pas la seule province à être touchée par le blocage des routes. M. Yuan, qui habite à Bozhou, dans l’Anhui, est spécialisé dans la livraison de matières premières pour une chaîne de restauration rapide. Sa dernière commande remonte au 19 janvier, avant les vacances du nouvel an ; il était allé la livrer à Pékin, puis était rentré dans sa famille dans l’Anhui pour y passer les fêtes.

À ce moment-là, l’épidémie de pneumonie s’était étendue à tout le pays : “Dès le lendemain du nouvel an, les villages se sont repliés sur eux-mêmes. Dans notre village, les personnes extérieures n’ont plus eu le droit d’y pénétrer, et les habitants d’en sortir. Normalement, je n’y séjourne pas ; j’y vais juste pour passer le réveillon. Mais, de toute façon, même si je pouvais sortir du village, je ne pourrais pas accepter des commandes, car il y a des barrages routiers un peu partout, et l’autoroute, on ne peut qu’y entrer, pas en sortir. J’ai dû annuler des commandes à destination de Pékin, Wuhan et Canton qui devaient être livrées après le nouvel an,” raconte M. Yuan.

Yang Lu

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Source

Sanlian Shenghuo Zhoukan

PÉKIN http://www.lifeweek.com.cn/

Très lu par les jeunes intellectuels de la capitale, ce magazine d'informations générales, créé en 1996, se veut l'héritier d'une tradition journalistique chinoise remontant aux années 1920. L'une des publications qui reflètent le mieux l'évolution sociale et culturelle des citadins.

Magazine plutôt culturel à l'origine, il est passé d'une périodicité bimensuelle à hebdomadaire, en orientant son contenu vers une approche plus journalistique et sociétale. Il se fixe pour objectif de devenir le Time de Chine.

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