Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
24 février 2020

Nécrologie - Hervé Bourges, ancien patron de TF1 et de France Télévisions, est mort à l’âge de 86 ans

Par Alain Beuve-Méry

Figure des médias français, l’ancien président du Conseil supérieur de l’audiovisuel, est mort dimanche. Homme d’action et de persuasion, il adorait le pouvoir et a été un fidèle de François Mitterrand, puis de Jacques Chirac, lorsqu’ils occupaient l’Elysée.

« Je suis le seul qui ait fait un parcours dans l’audiovisuel en le réussissant » ou « je préfère commander que subir. J’ai le goût du pouvoir, être numéro 2 ou 3 ne m’intéresse pas ».

Voici quelques-unes des confidences qu’Hervé Bourges a distillées au gré de sa longue et riche carrière de journaliste. Celle-ci l’a conduit jusqu’à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), après avoir dirigé (entre autres) France Télévisions, TF1, RMC, RFI, Canal+ Afrique, l’Ecole de journalisme de Lille ou celle de Yaoundé au Cameroun, qu’il a aussi fondée.

Hervé Bourges, qui vient de s’éteindre, dimanche 23 février, à l’âge de 86 ans, dans un hôpital parisien, ne manquait ni d’autorité ni de charisme, sans compter l’idée, haute, qu’il avait de lui-même. Homme d’action et de persuasion, il adorait le pouvoir et a été un fidèle de François Mitterrand, puis de Jacques Chirac, lorsqu’ils occupaient l’Elysée.

Patron pendant six années de l’autorité indépendante chargée de réguler l’audiovisuel français, il n’a pu qu’apprécier le titre que Le Monde lui a consacré, le 23 janvier 2001, alors qu’il s’apprêtait à tirer sa révérence : « Le CSA, c’est moi », tant il a régné en maître sur l’institution, se révélant aussi comme un véritable « apôtre du dialogue et du consensus », autre facette de sa personnalité.

Mutisme éloquent

Depuis, le potentat des médias s’est muré dans un mutisme éloquent, ne daignant sortir de sa réserve que pour parler de son autre grande passion, le continent africain, qu’il a découvert au moment de la décolonisation, au début des années 1960.

Ainsi, après deux années de recherches et d’introspection dans ses souvenirs, il a signé en 2017, dans la célèbre collection des dictionnaires amoureux chez Plon, celui dédié à l’Afrique. Il y explique avoir « connu les artisans des indépendances africaines, comme les dirigeants et les opposants, les artistes, les intellectuels et les journalistes » et surtout, en observant l’évolution actuelle du continent, il assure vouloir n’entretenir « aucune chimère tiers-mondiste » et témoigner de son grand attachement aux Africains.

Car au fond, retracer la vie d’Hervé Bourges revient à raconter de manière entrelacée deux histoires françaises passionnantes et compliquées, sur près d’un demi-siècle : les relations que la France entretient avec l’Afrique, depuis le général de Gaulle et ses successeurs, mais aussi les transformations du paysage audiovisuel français, sur la même période. Le tout, avec le prisme du journaliste, le métier qu’il s’est choisi.

Né le 2 mai 1933 à Rennes, Hervé Bourges est l’aîné d’une famille de sept enfants. Du côté paternel, par lequel il cousine avec Yvon Bourges (1921-2009), maire de Dinard (Ille-et-Vilaine) et plusieurs fois ministre des gouvernements de droite sous la Ve République, tout comme du côté maternel, les Desjeux, il appartient à un milieu catholique, bourgeois, où les liens de famille demeurent étroits. Au gré des affectations de son père, ingénieur chimiste, travaillant pour Gaz de France, il fréquente le collège Saint-Louis de Gonzague de Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), puis le lycée jésuite de Reims (Marne).

Elève brillant, il développe une passion pour le théâtre et, grâce aux bons pères dont l’éducation était « étonnamment moderne », dit-il, il a la chance de mettre en scène et de jouer Monsieur de Pourceaugnac et Georges Dandin, les comédies de Molière. Animateur du Ciné-Club de Reims, il se lie d’amitié à cette époque avec les frères Stasi, Bernard, le futur ministre (1930-2011) et Mario, le bâtonnier (1933-2012).

Cherche son chemin

Pourtant, à l’heure des choix professionnels, ce n’est pas vers les planches mais vers le journalisme que le jeune homme se tourne, même si un peu plus tard, faisant son service militaire en Algérie, il montera Antigone, devant le général Salan, se réservant le rôle de Créon, le roi autoritaire de Thèbes. Diplômé de l’ESJ en 1956, major de sa promotion, il décline une proposition du Figaro, et préfère devenir rédacteur en chef de Témoignage chrétien. Il a 23 ans. Le catholicisme social de gauche est sa fibre du moment, les deux Georges, Suffert et Montaron ont su capter son attention.

Un nouveau changement de cap le fait entrer le 1er juillet 1960, au cabinet d’Edmond Michelet, alors garde des sceaux du général de Gaulle. Quoique brève, l’expérience de treize mois est décisive pour le jeune homme qui cherche son chemin. Au sein du cabinet du ministre démocrate-chrétien, Hervé Bourges a notamment pour rôle de s’occuper d’Ahmed Ben Bella, l’un des dirigeants de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, alors détenu dans les prisons françaises. Par son comportement, il gagne l’estime des chefs du FLN, mais suscite la vindicte des partisans de l’Algérie française qui plastiquent son domicile parisien.

En 1962, après les accords d’Evian qui scellent l’indépendance algérienne, il est appelé par Ben Bella, devenu président de la jeune République et devient son conseiller chargé de la presse et de la jeunesse. Officiellement numéro trois du cabinet présidentiel, il y gagnera, auprès de ses détracteurs, le surnom de « Mohammed Bourges », mais contrairement à une légende tenace colportée par ses adversaires, il n’avait été précédemment ni « porteur de valises » ni agent du FLN pendant le conflit. Lui-même l’a démenti et les réseaux pro-FLN n’ont jamais donné son nom. Sur place, il travaille aux côtés d’Abdelaziz Bouteflika, alors ministre de la jeunesse et des sports, mais l’expérience se termine brutalement avec le coup d’Etat de Houari Boumediene en 1965.

Même s’il préfère rester pudique sur cet événement, Hervé Bourges sera torturé par les services de sécurité algériens. Le plus pénible, confessa-t-il plus tard, dans sa biographie De mémoire d’éléphant (Grasset, 2000), « ce ne furent pas les épreuves physiques ou psychologiques auxquelles j’étais soumis, mais l’humiliation que je ressentais à devoir remonter et tenir à deux mains mon pantalon, dès que je me levais. » Grâce aux interventions du cardinal Duval, archevêque d’Alger et d’Edmond Michelet, il peut revenir dès 1966 en France, où il vient de se marier avec Marie Lapouille, une agrégée de lettres classiques, un temps professeur de français à Alger. Le couple n’aura pas d’enfants.

Les réseaux « Bourges 

De son aveu, « tricard » à son retour, il passe les événements de mai 1968 dans les bureaux de l’Institut français de presse, logé rue Saint-Guillaume, à deux jets de pavés des barricades du Quartier latin, et publie dans la foulée, un livre intitulé La Révolte étudiante, où il interroge les trois leadeurs du mouvement, Daniel Cohn-Bendit, Jacques Sauvageot et Alain Geismar.

Mais alors que la France bouge, Hervé Bourges s’ennuie. Souhaitant s’engager en faveur du développement des pays africains, il rencontre Léopold Sédar-Senghor, mais c’est par l’entremise du président du Cameroun que sa vie change. Ahmadou Ahidjo l’invite à venir former des journalistes africains, sur place. Une révélation.

Pendant six ans, il fait la navette entre Paris et Yaoundé, où il dirige l’école internationale de journalisme destinée à tous les étudiants africains francophones. Il découvre et sillonne l’Afrique. C’est la naissance des « réseaux Bourges ». Nombre de ses anciens élèves deviendront ministres. Lui-même devient l’intime d’une liste impressionnante de chefs d’Etat ou parfois de dictateurs africains : Abdou Diouf, Paul Biya, Omar Bongo, etc. Il est alors affublé d’un deuxième surnom : « Un tiers-mondiste, deux tiers mondain. »

A partir de là, le parcours de l’homme qui s’est pris de passion pour les éléphants ne sera plus qu’ascensionnel. En 1976, il revient à Lille, la ville de Pierre Mauroy pour y diriger l’ESJ, « son » école de journalisme, un poste qui lui sert de tremplin lors de son retour dans le monde médiatique parisien en 1981. Lorsque la gauche arrive au pouvoir, ses relais dans les médias sont minces. Hervé Bourges fait partie de ceux-là. Il est proche du nouveau premier ministre, de son directeur de cabinet Michel Delebarre, mais aussi de Georges Fillioud, ministre de la communication.

Alors qu’il est porte-parole de l’Unesco, Michèle Cotta, patronne de la CNCL (l’ancêtre du CSA) lui servira à deux reprises de bonne fée. Il est d’abord nommé en 1981, à la tête de Radio France Internationale (RFI) pour redresser l’audience de la station, avant d’être envoyé en juillet 1983 au chevet de TF1, qui connaît alors un sérieux trou d’air face à Antenne 2, dirigé par Pierre Desgraupes. Historiquement, la première chaîne de télévision était celle du pouvoir, alors que sa concurrente avait une image plus jeune et anticonformiste, et reflétait une plus grande diversité éditoriale. TF1 était aussi resté un fief du pouvoir gaulliste, y compris à l’époque du pouvoir giscardien.

Privatisation, déréglementation

A TF1, Hervé Bourges chasse en bande et s’entoure de jeunes et fidèles collaborateurs qui sont liés à ses amitiés nordistes et socialistes, que ce soit Pascal Josèphe, fils du président de la région Pas-de-Calais, ou Alain Denvers dont le père était un important élu du Nord. Il est surtout à l’origine d’un concept qui fera florès : « Promouvoir une télévision populaire de qualité. » Sous son commandement, le paquebot est remis à flot, mais si l’audience remonte, c’est aussi grâce à la diffusion de Santa Barbara ou de « La Roue de la fortune. »

Au mitan des années 1980, la télévision entre dans une ère de privatisations et de déréglementation, avec l’arrivée de nouvelles chaînes voulues par le pouvoir socialiste, Canal+, la Cinq, TV6. Toutes les occasions sont ouvertes. Il assiste aux premières loges à la privatisation de TF1, achetée 3 milliards de francs par le géant du bâtiment Francis Bouygues, en 1987, en pleine première cohabitation entre François Mitterrand et son premier ministre de droite Jacques Chirac.

Doté d’un humour féroce, Hervé Bourges se délecte et sait manœuvrer en ces périodes troubles. Il a une vision claire et incisive des hommes et des enjeux stratégiques, et « se lâche » uniquement en privé. Jean-Noël Jeanneney, historien, ex-président de Radio France, qui le connaît bien, l’a d’ailleurs un jour pointé avec humour, après un léger accident de santé du président : « Hervé Bourges va mieux, il recommence à dire du mal de tout le monde. »

France Télévisions

La fête pharaonique organisée le 15 avril 1987 au parc de Port-Marly (Yvelines) pour célébrer le passage de TF1 du public au privé est restée incrustée dans la rétine de tous les invités. Bourges, Bouygues le repreneur, et son associé le milliardaire Robert Maxwell, trois hommes grands et massifs trônent en majesté. Mais pour le PDG de TF1, ce sera un jeu de dupes, car il est rapidement contraint à la démission, alors que son souhait était de rester.

Mais la traversée du désert de celui qui fait déjà figure d’éléphant blanc dans le paysage audiovisuel français est de très courte durée. Il s’associe avec Robert Maxwell pour créer Media Connection International, avant d’être nommé, en 1989, patron de la Sofirad, la société qui gère les participations de l’Etat dans l’audiovisuel. Et il garde un œil sur le continent africain, où André Rousselet, autre « big five » du PAF lui confie de 1988 à 1991 la présidence de Canal+ Afrique puis Horizons, une chaîne de télévision diffusée au Proche-Orient et en Afrique.

Le vrai rebond intervient en 1990, lorsqu’il est désigné par le CSA pour assurer la présidence de France Télévisions, après la démission de Philippe Guilhaume. C’est sous son égide que seront conduits les changements de nom d’Antenne 2 et de FR3 en France 2 et France 3, et la volonté de créer un grand service public de l’audiovisuel. Le président, qui aime toujours la lumière, délègue tout, sauf la communication. Les fidèles reprennent du service à ses côtés : Martin Even, Pascal Josèphe, Alain Denvers, mais des nouveaux apparaissent aussi – Bibiane Godfroid, Didier Sapaut, etc. Le service public reprend des couleurs.

De fait, c’est à regret qu’il troque la présidence de France Télévisions et part s’installer en 1995 dans le fauteuil de président de « la tour Mirabeau », le siège du CSA dans le 15e arrondissement de la capitale où, du 17e étage, il a pourtant une vue plongeante sur le Tout-Paris. Il transforme cette institution, en la faisant passer d’une culture très juridique à un lieu où l’on débat, négocie et cherche en permanence des compromis. Hervé Bourges a avoué s’être fortement ennuyé dans ce cadre qu’il considérait comme une cage. Pour lui, le poste n’était pas suffisamment propice à l’action.

Dates

2 mai 1933 Naissance à Rennes

1962-1965 Conseiller d’Ahmed Ben Bella en Algérie

1970-1976 Dirige l’école de journalisme de Yaoundé (Cameroun)

1983-1987 Président de TF1

1995-2001 Président du CSA

23 février 2020 Mort à Paris

Publicité
Commentaires
Publicité