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Jours tranquilles à Paris
15 mars 2020

Reportage - Crise migratoire : rejoindre l’Europe à tout prix

rejoindre europe à tout prix

DARAJ (BEYROUTH)

Pourquoi quitter la Turquie au péril de sa vie ? Parce que l’espoir d’une vie meilleure, en Europe, continue d’animer les réfugiés, raconte le média libanais Daraj, qui est allé rencontrer les candidats au départ.

Au centre d’Istanbul, une femme quinquagénaire couvre de baisers le visage d’un jeune homme qui a l’air d’être son fils. Lui essaie de la calmer, mais elle continue pendant un long moment avant d’arrêter ses effusions de tendresse. Il prend alors son sac pour le poser sur son dos, tandis qu’elle sort une banane de sa poche et la lui tend en disant : “Prends-la pour le cas où tu auras faim quand tu resteras bloqué sur la route.”

Autour, personne n’a le temps de se rendre compte de cette scène poignante. Tout le monde est pressé de trouver un bus qui puisse l’amener au “point zéro” à la frontière entre la Turquie et la Grèce. À quelques pas de là, un Syrien, gobelet de café à la main, crie : “Jusqu’en Grèce pour 100 livres !” Il essaie de remplir son bus de migrants, alors que des associations et des services municipaux mettent à disposition d’autres bus, gratuits ceux-là, quelques centaines de mètres plus loin.

Tout est parti d’une fuite due à un responsable turc, dans la nuit du 27 au 28 février, reprise par l’agence de presse Reuters, disant que la Turquie n’allait pas “empêcher le mouvement des migrants désireux de trouver refuge en Europe”.

Obligés de se dévêtir avant d’être renvoyés en Turquie

Dès le 28 février, des centaines de réfugiés ont commencé à se masser à la frontière. Parmi eux, les Afghans étaient les plus nombreux, suivis des Iraniens, puis des Somaliens, tandis que les Syriens formaient le contingent le plus petit.

Jusqu’à présent, la plupart n’ont pas réussi à passer. Seule une toute petite minorité a réussi à se faufiler, mais parmi ceux-ci, certains ont déjà été attrapés et renvoyés en Turquie, souvent nus, après avoir été obligés de se dévêtir, leurs vêtements, ainsi que leurs téléphones portables, ayant été confisqués. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur turc, le nombre de migrants irréguliers ayant quitté la Turquie pour prendre le chemin de l’Europe s’élève à 100 000 personnes.

Pourquoi les Syriens veulent-ils quitter la Turquie ? Yasser explique qu’il n’a pas de papiers. Or en Turquie, la fameuse “carte de protection temporaire” est devenue une véritable hantise. C’est ce document qui atteste de la situation régulière des réfugiés et qui leur donne accès à l’école pour leurs enfants, aux soins médicaux etc.

“La Turquie nous mène la vie dure”, lâche Ahmed Bakkour, originaire des environs de Damas, pour expliquer pourquoi il prend le risque de ce trajet qui représente de sérieux risques pour son épouse et pour sa fille de 5 ans.

Le casse-tête administratif

Arrivé en Turquie il y a quatre ans, il travaillait seize heures par jour dans un atelier de couture pour un salaire d’à peine 1 800 livres turques [équivalent d’environ 260 euros]. “Cela ne permet pas de vivre.” À cela se sont ajoutés le cambriolage de son appartement, puis un casse-tête administratif : “Ma carte de protection temporaire a été délivrée à Istanbul, mais celle de mon épouse à Adana. Cela rend presque impossible de faire une démarche administrative qui concerne toute la famille.”

La plupart des jeunes entre 18 et 30 ans que nous avons rencontrés ont en commun de chercher de meilleures perspectives d’avenir que ce qu’ils peuvent espérer en Turquie, où tout est fragile et incertain. Waël a un diplôme de dentiste, mais cela fait plus de deux ans qu’il travaille dans un atelier de fabrication de meubles.

Si je voulais ouvrir un cabinet de dentiste, il faudrait que je valide mes diplômes par un cursus de trois ans à l’université turque” explique-t-il. Le trajet d’Istanbul à Edirne, la grande ville turque frontalière [de la Bulgarie au nord et de la Grèce à l’ouest], prend quatre heures. Plus on se rapproche du but, plus il y a de présence de l’armée turque, qui aiguillonne les bus vers les endroits de moindre pression, là où il n’y a ni villes, ni villages, ni même éclairage public.

En face de soldats grecs armés jusqu’aux dents

Arrivés à ces endroits loin de toute activité humaine, les migrants marchent pendant des heures en direction de la frontière, jusqu’à ce qu’ils arrivent pour se retrouver face à face avec des soldats grecs armés jusqu’aux dents.

Pour Farès, cela fait trois jours qu’il attend. Il a reçu plusieurs grenades de gaz lacrymogène, mais il n’en démord pas. Il veut passer, et il est convaincu qu’il y arrivera. Il pense qu’il y aura de plus en plus de gens à venir, jusqu’à être tellement nombreux que les soldats grecs ne pourront plus contrôler la situation. “Je ne retournerai pas en Turquie, et je n’arrive pas à entrer en Grèce, dit-il.

La frontière est notre destin.”

Une vidéo diffusée par un jeune Syrien montre des dizaines de migrants en train de fêter leur passage réussi en territoire grec. Mais la journaliste syrienne Ayat Sultan a ensuite diffusé à son tour la photo du même jeune Syrien dans un centre d’hébergement côté turc, après que la police grecque l’a arrêté et renvoyé avec les autres migrants.

Ahmed Haj Hamdou

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