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Jours tranquilles à Paris
16 mars 2020

La une de LIBERATION ce lundi matin... Coronavirus

libé lundi

De Paris à Nice, l’appel du soleil plus fort que la prise de conscience

Par Maïté Darnault, (à Lyon) , Stéphanie Harounyan, (à Marseille) , Mathilde Frénois, (à Nice) , Charles Delouche et Eva Fonteneau, (à Bordeaux) 

Après la fermeture de nombreux commerces samedi soir, les grandes villes françaises se sont réveillées entre sidération et inconsciente légèreté.

La France, le jour d’après. Au lendemain de l’annonce de la fermeture des bars, restaurants et commerces non alimentaires, les nombreuses devantures du quartier du Marais, à Paris, ont baissé leur rideau. Ce dimanche matin est bien trop calme, d’autant que la météo a des airs de printemps. La rue de Bretagne est clairsemée de petits groupes de passants qui aiment se rappeler les fameux «gestes barrières», notamment en maintenant entre eux la distance sociale de sécurité.

Du bar-tabac du Progrès, dont la terrasse est entièrement rangée, une dame, parka de l’armée russe sur le dos, sort avec deux cartouches de cigarettes sous le bras, «histoire de faire des réserves». Didier est à la tête du Progrès depuis vingt-trois ans. Son bar est désormais fermé. «Mes gars travaillent trente-neuf heures par semaine. L’Etat ne va prendre en charge que 80 % des salaires. On est dans le IIIe arrondissement, les loyers sont hyper chers et j’ai 26 employés à gérer. Ça va être compliqué pour moi», explique le patron, qui compte vider son stock de sèches (les tabacs sont autorisés à rester ouverts) avant de fermer tout son établissement. «Au début de la semaine, on avait déjà dû aménager les temps de travail. Mais là, avec la fermeture totale, je n’ai pas de perspective au-delà des quinze prochains jours, dit l’homme en se massant les sinus. Ça me fait flipper.»

Devant le commerce, avec ses deux cartouches de cigarettes et son sac de courses, Rayan s’apprête à passer plusieurs jours cloîtré chez lui. «Je devais partir en Libye et au Nigeria pour un tournage, mais je ne sais même pas si c’est reporté ou complètement annulé, explique ce jeune reporter d’images. Les chaînes n’ont plus besoin de moi et ont annulé leurs commandes jusqu’à fin avril. Pour moi, c’est une perte colossale.» Dans le quartier, la majorité des personnes croisées ne portent pas de masque. Le Monoprix de la rue du Temple ferme exceptionnellement ses portes avant 13 heures et le service de livraison ne sera pas assuré, «suite à une affluence inhabituelle», explique l’un des vigiles présents à l’entrée du magasin. Devant le Franprix du quartier, les gens patientent, espacés les uns des autres. Les employés du magasin font entrer les acheteurs au compte-gouttes. Au stand libanais du marché des Enfants rouges, le patron, appuyé contre une table, a les yeux dans le vide. «Pas un client aujourd’hui. Juste un sandwich à emporter. Alors que normalement, le dimanche, c’est blindé», affirme-t-il. Dimanche soir, son stand a fermé pour «une durée indéterminée».

Au café le Sancerre, rue des Archives, c’est nettoyage de printemps. Ahsen, le patron, se tient sur le trottoir, le regard vers le néon éteint de son bar. De nombreux riverains et habitués du quartier viennent le saluer dans un ultime «check», pied contre pied ou coude contre coude. «On s’y attendait. Mais lorsqu’on a appris la fermeture, l’équipe était dépitée et sous le choc. Il y en avait même un qui pleurait», dit-il en désignant du doigt un imposant bonhomme qui nettoie la terrasse au Kärcher.

Mais au fil de la journée, les Parisiens n’ont pas résisté aux incitations du beau temps. Ils se sont largement affranchis des consignes de prudence et sont allés tranquillement faire leurs courses, panier à la main. Ce qui a suscité l’ire de certains internautes. Nombreux ont posté sur les réseaux sociaux des photos ou des vidéos montrant une foule compacte en train de faire ses achats au marché d’Aligre (Paris XIIe). «Comment ne pas être inquiet ? commentait Guillaume Mélanie, un comédien, sur Twitter. Le virus ne circule pas ! Ce sont les femmes et les hommes qui le font circuler. Soyez, soyons responsables.» Les grands parcs parisiens ont aussi été pris d’assaut par une foule d’habitants en quête d’un bain de soleil.

à Marseille, Affluence normale

A Marseille, la Corniche se fiche aussi du coronavirus. Ce dimanche, c’est le ballet habituel des joggeurs, solitaires ou en groupe, qui longent la mer. Ils y croisent des promeneurs ou des randonneurs chaussures de marche aux pieds et doudoune sans manches, qui semblent bien partis pour aller jusqu’à l’extrémité de la ville et ses calanques. Pour les commerces alimentaires ouverts dans ce quartier résidentiel au sud du Vieux-Port, c’est l’affluence normale. Il fait beau, pas question de rester chez soi.

En haut de la colline de Notre-Dame-de-la-Garde, deux couples de touristes venus de Saint-Etienne profitent de la vue sur la ville. «C’était un week-end prévu de longue date. Mais on a dû écourter : on ne peut pas se restaurer… Ce matin, l’hôtel nous a tout de même fait un petit-déjeuner, du coup on a mangé comme quatre !» Le groupe d’amis repart tout à l’heure et voudrait bien jeter un œil à la basilique. A l’entrée, le gardien a posé des plots et s’est posté au milieu de la route, bras croisés sur le torse. «La moitié de la crypte est fermée, il n’y a que l’entrée qui est accessible», pour déposer un cierge, explique-t-il. Ce matin, le diocèse de Marseille a indiqué que toutes les messes étaient annulées. Des fidèles ont raté l’annonce et ont fait le déplacement, jetant tout de même un coup d’œil au panorama avant de rebrousser chemin. «On va vers la fermeture totale», prévoit le gardien.

Sur le Vieux-Port, les restaurants et les cafés ont rangé leurs chaises. Mais face aux rideaux tirés, c’est la queue - avec quand même le mètre de sécurité respecté - pour emprunter la navette qui part vers le Frioul. Les autres bateaux touristiques ont interrompu leur tournée, mais pas celui-ci, qui doit assurer la continuité territoriale vers l’île, où résident une centaine de Marseillais. «Ça ne s’arrête pas, on a autant de monde qu’hier, et ce sont surtout des visiteurs, des touristes, souffle le capitaine. On tourne comme une journée normale de soleil. Je ne les comprends pas. Ils se font la bise, se touchent…» Le pire, raconte-t-il, c’est lorsque la dernière navette est rentrée samedi soir : «Comme il faisait froid, il y avait près de 160 personnes confinées à l’intérieur du bateau, à dix centimètres les unes des autres, c’est n’importe quoi !» Impossible, pour l’heure, de faire jouer leur droit de retrait, précise-t-il. Alors le personnel fait attention. «On applique les consignes, on a aussi reçu une bouteille de gel hydroalcoolique», énumère le capitaine, pas convaincu. Dans la file, un jeune homme intervient, tout sourire : «La vie continue ! Et puis il y aura moins de gens sur l’île. Moi, le virus, ça ne m’impressionne pas !» Un peu plus loin sur le quai, Camille et Irina prennent le soleil. «Il paraît que ça atténue le virus», tente Irina. Peur du Covid-19 ? «Pas du tout, sourit-elle. Moi, ça ne me dérange pas de faire la bise aux gens.»

à Bordeaux, fin de fête

Mais les choses changent dans le pays. Il y a tout juste une semaine, Bordeaux était en fête. Des milliers de personnes déambulaient joyeusement dans les rues pour assister au traditionnel carnaval des Deux Rives. Cette légèreté s’est évanouie à la vitesse des annonces gouvernementales. «La vie en société se réduit comme peau de chagrin, mais je relativise en me disant que ça va permettre aux gens d’enlever leurs œillères et de voir l’ampleur de la crise», commente Geneviève, retraitée, à travers la fenêtre de son appartement situé dans l’hypercentre. A quelques mètres de son domicile, les rideaux métalliques des boutiques et magasins sont fermés ou baissés de moitié pour les cafés et restaurants. A l’intérieur, pas de public, mais des employés qui s’affairent. Après les inventaires, ils vont devoir jeter une grande partie de leur marchandise. La mort dans l’âme

Thierry, qui tient un café-brasserie près de l’hôtel de ville, accuse le coup : «Tout est arrivé très vite. Je n’ai pas dormi de la nuit. On doit mettre de la viande, du poisson, plein de denrées fraîches à la poubelle. En plus du gaspillage, c’est des milliers d’euros de pertes car on nous a prévenus au dernier moment.» Une situation d’autant plus dommageable que pour la première fois depuis plusieurs semaines, il fait beau à Bordeaux. «Un grand soleil qui aurait attiré du monde à coup sûr», souffle un des employés.

Les transports en commun bordelais ne sont pas épargnés par la crise sanitaire. Depuis dimanche matin, ils ne circulent quasiment plus. Les conducteurs de tram et de bus ont fait valoir en masse leur droit de retrait. Un cas de contamination est suspecté dans les effectifs.

Pendant ce temps, dans les rues, le long des quais, sur les places, malgré la menace du Covid-19, beaucoup de familles et de touristes continuent de faire leur vie. On s’étonne par exemple de voir une longue file d’attente devant un magasin de cannelés ou des tables bondées à l’heure du déjeuner au marché des Capucins. Les livreurs à vélo sont eux aussi de sortie, avec des carnets de commandes bien remplis. «On marche sur la tête. Les gens sont bornés. Il va falloir les contraindre à rester chez eux pour qu’ils écoutent», fulmine Aude, 36 ans, qui retourne se calfeutrer chez elle après avoir voté.

à Lyon, des badauds sur les marchés

A Lyon, sur la presqu’île, la rue Mercière, qui aligne les bouchons typiques de la gastronomie locale, est étrangement déserte ce dimanche. De l’autre côté de la Saône, la cathédrale Saint-Jean-Baptiste n’a pas fermé ses portes à «ceux qui veulent venir y prier», indique un écran à son entrée, mais elle n’accueillera plus de messe «jusqu’à nouvel ordre».

Pour trouver des badauds, il fallait aller sur les marchés. Celui de la place Guichard, dans le IIIe arrondissement, est resté très fréquenté. Kader, 63 ans, vit à Vénissieux et a traversé la ville en tram pour rejoindre un ami vendeur. Il regrette la fermeture des bistrots : «On s’emmerde car on ne peut même pas aller boire un café, je n’arrive pas à rester chez moi.» Pourtant, il reconnaît que «le virus fait un peu peur, en trois jours, c’est allé vite».

Plus loin, Martine tire son chariot, mains gantées de latex. «C’est par précaution, surtout pour manipuler l’argent», explique-t-elle. Ce matin, elle a trouvé le «quartier bien vide et la salle de sport fermée». Mais elle a envie d’être «optimiste» : «Si tout le monde respecte les règles, on en est sortis mi-avril.» La quinquagénaire fait aussi des courses pour une amie malade : «Je vais poser les sacs devant sa porte et elle les récupérera plus tard.» Le confinement n’est pas si simple à appliquer, admet Martine, grand-mère de deux jeunes enfants : «Lundi et mardi, je vais les garder car ma fille est enseignante et elle doit suivre une formation pour faire classe à distance.»

Alexis et Djampa, la vingtaine, s’apprêtent à entrer dans le métro. Thésards en biologie, ils vont s’efforcer de limiter au «strict minimum» les manipulations en laboratoire qu’impliquent leurs recherches. «Le reste, on peut le faire en télétravail, expliquent-ils. Les nouvelles mesures, ça a l’air excessif, mais on est bien placés pour comprendre que c’est nécessaire.»

Dans le VIIIe arrondissement, le directeur d’un supermarché tient à diffuser un message rassurant : «Il n’y aura pas de pénurie, les grossistes fonctionnent normalement, on va être livrés sur tous les produits.» Même en pâtes, riz, papier toilette, savon et Javel, dont les rayons ont été dévalisés. Dans la matinée, le gérant a dû filtrer les entrées pour «éviter l’effet bouchon en caisse». A midi, à une demi-heure de la fermeture, l’enseigne n’avait pas désempli.

A Nice, «triste ambiance»

Sur le port de Nice, le store de la Barque bleue est le seul déroulé. A l’ombre de sa toile tendue, les tables sont empilées, les chaises emboîtées. Pas de clients pour manger les spécialités italiennes. Terrasse fermée, comme toutes les autres. «C’est la première fois que je vois ça. Il devrait y avoir cent couverts, là. C’est triste de voir cette ambiance», déplore Gigi, cuisinier depuis douze ans dans l’établissement. D’habitude, c’est ici que l’on vient bruncher le dimanche matin.

Au-dessus des quais, surtout quand le ciel est azur, les Niçois s’arrêtent boire un verre à midi et les touristes grignotent leur plat du jour. On fait le plein de vitamine D avant de repartir pour une semaine au bureau. La vraie vie méditerranéenne. Mais ce dimanche, les trottoirs sont vides. «On a de la place pour marcher. Nice nous appartient enfin, s’exclame Françoise, habitante d’un quartier voisin du port. On n’est pas envahis par le bruit et par la foule. On peut respirer et admirer les façades du XVIIIe siècle. On a retrouvé un équilibre.» Elle est bien la seule à se réjouir. Marise pousse sa porte d’entrée. Ses fenêtres donnent sur les terrasses : «Ici, c’est un quartier dynamique. Habituellement, les gens promènent leur chien, les enfants courent. Aujourd’hui c’est mortel. On sent la psychose.»

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