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Jours tranquilles à Paris
25 mars 2020

Jeux olympiques de Tokyo 2020 : du déni au report

jeux olympiques 2021

Le Comité international olympique et le Japon ont annoncé le report des Jeux olympiques à 2021, à l’issue d’une semaine où tout s’est accéléré.  L’ampleur de la tâche qui attend le Japon est vertigineuse.

Par Clément Guillou 

Le 4 mars, dans le décorum épuré qui entoure ses conférences de presse de président du Comité international olympique (CIO), Thomas Bach s’était retranché derrière son assurance bonhomme face à une foule médiatique n’ayant que le mot « coronavirus » à la bouche. C’était encore les jours heureux : les journalistes étaient à 50 centimètres l’un de l’autre, personne n’envisageait de porter un masque et Lausanne, siège du CIO, vivait encore. Les organisateurs japonais des Jeux olympiques (JO) avaient rassuré le président du CIO quant aux mesures prises pour endiguer l’épidémie à Tokyo.

Avait-il échangé avec les sponsors des Jeux à propos des conséquences de l’épidémie ? Pas le moins du monde. Savait-il qui, du CIO ou du comité d’organisation japonais, avait le pouvoir de reporter les Jeux ? Pourquoi le saurait-il, puisque la question ne se pose pas. « Vous vous êtes mis d’accord pour me faire entrer dans toutes sortes de spéculations ? Je ne me lasserai pas de répondre que le CIO est pleinement engagé » à assurer l’organisation des JO en juillet, avait fini par répondre Thomas Bach à l’énième relance d’un journaliste.

Mardi 24 mars, le CIO et le Japon ont conjointement annoncé le report des Jeux à 2021, probablement à l’été. Seules les deux guerres mondiales (en 1916, 1940 et 1944) avaient, jusqu’à présent, eu raison de la compétition ressuscitée par le baron Pierre de Coubertin. Jamais les JO n’avaient été reportés, ni organisés une année impaire.

Le CIO n’aura, finalement, tranché qu’une semaine plus tard que l’Union des associations européennes de football (UEFA), qui avait annoncé le 17 mars le report d’un an du championnat d’Europe masculin. Les deux mastodontes laissent seul le Tour de France, toujours programmé pour s’élancer le 27 juin de Nice et dont le propriétaire, Amaury Sport Organisation, garde pour l’heure le silence.

Appel téléphonique entre Thomas Bach et Shinzo Abe

L’annonce du report a fait suite à un ultime appel téléphonique, mardi matin, entre Thomas Bach et Shinzo Abe, premier ministre japonais. Le CIO sait parfois faire preuve d’élégance : il a laissé le Japon demander, officiellement, un report d’un an. Dans les faits, il semble que ce soit l’instance qui a, ces derniers jours, lourdement suggéré aux Japonais la nécessité d’un report.

« Ni le CIO ni le gouvernement japonais ne voulait prendre l’initiative seul, relève Jean-Loup Chappelet, spécialiste de la gouvernance sportive et professeur à l’université de Lausanne. Le contrat de ville hôte fait que, si le gouvernement avait dit : “On ne fait pas les JO aux dates prévues”, le CIO aurait pu demander des dommages et intérêts, et inversement. »

Selon Dick Pound, doyen du CIO, Thomas Bach s’est employé à convaincre Tokyo qu’il n’y avait pas d’alternative au report : « Ils ont désormais compris qu’il y avait un problème, je pense que le CIO les en a convaincus », disait-il lundi, anticipant l’annonce de l’instance dont il fut vice-président.

Le délai de quatre semaines pour trancher, évoqué dans un communiqué dimanche, s’est transformé en 36 heures. La menace de boycott brandie par les comités olympiques australien et canadien, notamment, a accentué la pression sur les autorités japonaises et donné du poids à la position du CIO, qui penchait pour un report d’un an plutôt que de quelques mois.

L’identité des présidents des deux comités n’est pas anodine : l’Australien John Coates est un fidèle de Thomas Bach et supervise la préparation des Jeux de Tokyo pour le compte du CIO ; la Canadienne Tricia Smith est une valeur montante dans les cercles olympiques.

Pour Jean-Luc Rougé, secrétaire général de la Fédération internationale de judo et proche du sport japonais, « le CIO a usé de pédagogie. Il voulait modifier la date depuis longtemps, mais faire en sorte que les Japonais s’y résolvent d’eux mêmes. Ceux-ci ont essayé de maintenir les JO jusqu’au bout, mais supporter le fait qu’ils soient le creuset qui relance la pandémie n’était pas tenable. »

Le rôle des athlètes

Depuis une déclaration en date du 17 mars, selon laquelle le CIO rejetait toute « décision radicale », les événements se sont précipités. Le report de l’Euro a mis le CIO au centre de l’attention médiatique. La pandémie s’est répandue en Europe et en Amérique du Nord, et démarre son expansion en Afrique et en Amérique latine.

Un sondage mené au Japon a révélé qu’une nette majorité de la population jugeait le report souhaitable. Et des athlètes du monde entier ont fait part de leur scepticisme et déploré une incertitude les mettant dans une situation inconfortable vis-à-vis des règles de confinement qui se répandaient dans le monde.

Jadis écartés des débats qui les concernent au premier chef, les athlètes ont joué un rôle dans le dénouement de la crise. La prise de position de la hockeyeuse canadienne Hayley Wickenheiser, membre de la commission des athlètes du CIO, dès le 17 mars, a donné le ton. « Il semble que les athlètes, en s’exprimant, ont aidé le CIO à se reconnecter à la réalité », dit Paulina Tomczyk, secrétaire générale de EU Athletes, qui rassemble 35 syndicats de sportifs en Europe.

« Les sondages menés par les groupes d’athlètes ont commencé à titiller le CIO, décrypte Jean-Loup Chappelet. Il y a eu une peur d’une prise de pouvoir qui aurait pu remettre en cause la pyramide du sport mondial. »

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Thomas Bach, lui, a mis ce changement de pied sur le compte des « chiffres alarmants » sur le coronavirus des derniers jours et de l’avis de l’Organisation mondiale de la santé, qui « a dit ces dernières heures que l’Afrique devait se préparer au pire ». Jusqu’alors, sa préoccupation était que « le Japon puisse accueillir de façon sûre » les JO, ce en quoi le CIO avait confiance. Thomas Bach s’est souvenu, ces 48 dernières heures, que les Jeux avaient vocation à accueillir le monde entier.

Le déni du CIO était vertigineux. L’ampleur de la tâche qui attend les organisateurs japonais l’est encore davantage. « Beaucoup de choses peuvent arriver en un an, nous devons donc réfléchir à ce que nous devons faire, annonçait, mardi, Toshiro Muto, directeur général de Tokyo 2020. La décision nous est tombée dessus subitement. »

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