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Jours tranquilles à Paris
1 avril 2020

Enquête - Salles fermées : le cinéma français cherche la parade

salle cinema

Par Clarisse Fabre

Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) modifie ses règles, le temps de la crise sanitaire, pour faciliter la sortie des films en vidéo à la demande.

Sauve qui peut les films : alors que les salles sont fermées depuis samedi 14 mars en raison de l’épidémie de Covid-19, l’ensemble de la filière cinéma est tout à la fois sonnée et foisonnante d’idées. Du côté des distributeurs, se pose la question de l’écoulement des films subitement privés du grand écran. En France, pays qui possède plus de 5 000 écrans sur son territoire (et quelque 2 200 établissements), le cinéma en salle est sacré et obéit à une règle, la « chronologie des médias » inscrite dans le marbre : elle prévoit une exclusivité pour la salle d’une durée de quatre mois, avant la sortie en vidéo à la demande (VoD), sur les chaînes de télévision, etc.

Que faire alors des œuvres qui étaient en cours d’exploitation le 14 mars ? Faut-il les mettre en sommeil et attendre que leur carrière reprenne lorsque les cinémas vont rouvrir ? Ce sera sans doute la solution choisie pour un certain nombre de films. Dans une tribune parue dans Le Film français, vendredi 27 mars, le président de la puissante Fédération nationale des cinémas français (FNCF), Richard Patry, a souligné « l’aspiration de nos adhérents [exploitants] à soutenir les films des distributeurs qui ont été à leurs côtés jusqu’au bout », et à les proposer « à nouveau à leurs spectateurs » dès la réouverture des salles. Reste que personne n’a la moindre idée de la date de reprise – la Chine, qui avait rouvert 600 salles le week-end du 21-22 mars, a annoncé à nouveau leur fermeture le 27 mars.

De plus, quand on sait qu’une vingtaine de nouveaux films devaient sortir chaque mercredi – les 18 mars, 25 mars, 1er avril, 8 avril, etc. –, la réouverture des cinémas s’annonce comme un embouteillage monstre, avec le risque que les films à faible potentiel se retrouvent, encore plus que d’habitude, noyés dans la masse. Il y a fort à parier que les exploitants, dans leur grande majorité, privilégieront les comédies familiales et autres blockbusters pour relancer l’économie du secteur.

Nouvelles règles provisoires

Les spectateurs étant confinés, la VoD avec paiement à l’acte pourrait présenter une alternative et une soupape pour le secteur. La télévision elle-même a déjà retrouvé des scores pharaoniques avec plus de 6 millions de téléspectateurs, le 27 mars, pour le cinquième épisode de Koh Lanta sur TF1. Au point que certains se demandent s’il ne faudrait pas sortir des films d’auteur à la télévision. Le temps de la crise sanitaire, le petit écran redeviendrait cinéphile… Toujours est-il que la profession semble prête à expérimenter de nouvelles règles, provisoires, sous le patronage du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC).

Le CNC a déjà fait adopter, dans la loi d’urgence du mardi 24 mars, un article permettant de déroger, le temps de l’épidémie, et pour les seuls films qui étaient à l’affiche le 14 mars, à la « chronologie des médias ». Des distributeurs pourraient donc obtenir l’autorisation de sortir un film en VoD sans attendre le délai de quatre mois. Pour l’heure, à la date du dimanche 29 mars, le CNC a été saisi de cinq demandes seulement, et pour des films qui sont plutôt en fin d’exploitation. « D’autres œuvres qui avaient bien démarré leur carrière, comme La Bonne Epouse, de Martin Provost, ou De Gaulle, de Gabriel Le Bomin, auront une vie en salle toute tracée quand les cinémas rouvriront », indique-t-on au CNC.

« ON VA POUSSER DANS LE SENS D’UNE RÉFLEXION COLLECTIVE INTELLIGENTE ET D’UNE SOLIDARITÉ DE LA FILIÈRE », INDIQUE-T-ON AU CNC

La situation des films qui devaient sortir à partir du mercredi 18 mars est différente. Les distributeurs peuvent attendre la réouverture des salles pour tenter de caler une nouvelle date. Ou bien décider de sortir le film directement en VoD à l’acte, mais dans ce cas, ils doivent théoriquement rembourser au CNC les aides reçues au titre de la distribution d’un film au cinéma. Ce qui peut être fortement dissuasif…

C’est cette dernière règle que le CNC s’apprête à assouplir : mercredi 1er avril, son conseil d’administration devrait examiner une mesure visant à permettre la diffusion d’un film en première exploitation en VoD à l’acte, sans que les distributeurs soient tenus de restituer les aides financières au CNC. « Attention, ces nouvelles mesures seront caduques le jour de la réouverture des salles », prévient-on dans l’entourage du président du CNC, Dominique Boutonnat. Et d’ajouter : « On décidera au cas par cas. Un film à fort potentiel aura plutôt intérêt à sortir en salle. » Se dirige-t-on vers un dispositif à deux vitesses, les œuvres grand public attendant au chaud la réouverture des salles, les films plus confidentiels se risquant sur la Toile ? « On va pousser dans le sens d’une réflexion collective intelligente et d’une solidarité de la filière », indique-t-on encore au CNC.

Ecosystème de la filière

Certains distributeurs se sont déjà lancés, sans attendre le feu vert de la haute instance du cinéma. C’est le cas de Thomas Ordonneau, patron de la société de production et de distribution Shellac : le documentaire de Richard Copans, Monsieur Deligny, vagabond efficace, qui devait sortir le 18 mars, a été mis en ligne le 25 mars sur le site de Shellac et sur la plate-forme La Toile, un service de vidéo à la demande proposé aux exploitants. A partir du 8 avril, le film basculera sur UniversCiné et sur les autres plates-formes. « On est content d’avoir ouvert le bal. Et on sera heureux de retrouver les salles pour des séances débats avec le film de Richard Copans, quand ce sera le moment propice », explique Thomas Ordonneau.

Le choix de La Toile n’est pas neutre : il s’agit de rester dans l’écosystème de la filière. Cette plate-forme dirigée par Joséphine Létang, ancienne exploitante, prévoit un partage des recettes avec les patrons de salles. Richard Patry, président de la FNCF et patron de Nord-Ouest Exploitation, est adhérent à La Toile. De même que Gautier Labrusse, qui dirige le cinéma Lux à Caen et préside le Groupement national des cinémas de recherche (GNCR), lequel regroupe les 150 salles Art & Essai les plus pointues – il a baptisé « Netflux » le service vidéo du Lux. Dans sa lettre mensuelle du GNCR, publiée le 25 mars, Gautier Labrusse exhorte le CNC à soutenir, « dans la mise en œuvre de ces mesures dérogatoires », des initiatives telles que La Toile, qui « nouent un lien entre le marché de la vidéo à la demande et l’exploitation cinématographique ».

Mais tous les professionnels ne sont prêts à faire le saut de la VoD. « La VoD ne peut pas venir compenser les recettes escomptées en salle », fait remarquer Etienne Ollagnier, cogérant du distributeur Jour2Fête. « On a investi énormément pour Un fils, de Mehdi M. Barsaoui, sorti le 11 mars, la semaine de la fermeture des cinémas. On espère entre 150 000 et 250 000 spectateurs et on a pris le parti de le ressortir en salle », dit-il. Le distributeur cite aussi l’exemple de Papicha, le film de Mounia Meddour, sorti en octobre 2019, qui a eu deux Césars. « Le film a fait 270 000 entrées. Puis il a basculé en VoD et a fait 13 000 vues. C’est un très bon score mais cela ne génère, pour le distributeur, que 1,70 euro par acte. »

Surtout, dit-il, ces bons résultats ont été rendus possibles par la sélection du film à Cannes en mai 2019, à Un certain regard. « La plupart de nos succès, ce sont des films qu’on a réussi à faire vivre à Cannes. Si le Festival n’a pas lieu, on ne sait pas comment on va sortir nos films », s’inquiète Etienne Ollagnier. L’édition 2020 du Festival sera-t-elle reportée, virtuelle, etc. ? A côté des expérimentations VoD, les professionnels du cinéma réfléchissent tout autant à des versions alternatives du festival cannois, un « Yes We Cannes » différent.

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