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Jours tranquilles à Paris
7 avril 2020

Enquête - Depuis la peste noire, les hommes bouleversent les rites funéraires lors des épidémies

Par Anne Chemin

Afflux de cadavres, crainte de la contamination : les crises épidémiques ont toujours bouleversé les funérailles, comme c’est le cas encore pour le Covid-19.

L’épidémie, peu à peu, dicte sa loi. Elle nous confine à l’intérieur de nos domiciles, elle empêche nos enfants d’aller à l’école et elle bouleverse déjà les hommages funéraires que nous rendons à nos défunts. Dans un avis consacré à la « prise en charge du corps d’un patient, cas probable ou confirmé Covid-19 », le Haut Conseil de la santé publique a en effet indiqué, le 24 mars, que « les pratiques culturelles et sociales autour du corps d’une personne décédée, notamment en ce qui concerne la toilette rituelle », doivent désormais respecter strictement les règles d’hygiène qui s’imposent d’ores et déjà aux vivants.

Les proches qui souhaitent voir le visage de la personne décédée dans la chambre mortuaire doivent s’abstenir de la toucher, de l’embrasser et même de l’approcher à moins de 1 mètre. « Si un impératif rituel nécessite la présence active de personnes désignées par les proches », ajoute le Haut Conseil, elles ne peuvent être plus de deux et elles doivent porter une tenue de protection – des lunettes, un masque chirurgical, un tablier antiprojection et des gants à usage unique. Les bijoux du défunt doivent en outre être désinfectés avec un détergent « répondant aux normes de virucidie vis-à-vis des virus enveloppés, ou de l’alcool à 70° ».

Les cérémonies d’adieu sont, elles aussi, perturbées par les impératifs médicaux. Pour éviter les inévitables contaminations qui accompagnent les rassemblements, Edouard Philippe a annoncé le 17 mars que les enterrements ne peuvent réunir plus d’une vingtaine de personnes. « C’est très dur, a déclaré le premier ministre. Cela manque de ne pas pouvoir se rendre aux obsèques d’un proche ou d’un ami, mais nous devons faire respecter les consignes sanitaires. » Pour maintenir, malgré tout, un semblant de rituel collectif, certains services de pompes funèbres proposent désormais de retransmettre les obsèques en direct par vidéo.

Le deuil, un « devoir de groupe »

Si nous avons tant de peine à imaginer des veuves en tenue de protection, des séances de désinfection d’alliance ou des enterrements en comité restreint, c’est parce que les rituels funéraires ne sont ni des moments insignifiants ni des signes de bienséance quelque peu désuets. Ces cérémonies où les proches témoignent de leur affliction servent aussi, et peut-être surtout, à combattre « l’impression d’affaiblissement que ressent le groupe quand il perd un de ses membres », selon les mots d’un des pères fondateurs de la sociologie, Emile Durkheim (1858-1917).

En 1912, dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse, le sociologue souligne en effet que le deuil ne peut se réduire à « l’expression spontanée d’émotions individuelles ». « Sans doute, il peut se faire, dans des cas particuliers, que le chagrin exprimé soit réellement ressenti, écrit-il. Mais, le plus généralement, il n’y a aucun rapport entre les sentiments éprouvés et les gestes exécutés par les acteurs du rite. Le deuil n’est pas un mouvement naturel de la sensibilité privée froissée par une perte cruelle : c’est un devoir imposé par le groupe. On se lamente, non pas simplement parce qu’on est triste, mais parce qu’on est tenu de se lamenter. »

« SANS DOUTE, ON NE MET ALORS EN COMMUN QUE DES ÉMOTIONS TRISTES MAIS COMMUNIER DANS LA TRISTESSE, C’EST ENCORE COMMUNIER »

Pour Durkheim, les rituels funéraires servent à « rapprocher les individus les uns des autres, à les mettre plus étroitement en rapports, à les associer dans un même état d’âme » – et à garantir, du même coup, l’unité morale de la société blessée par le décès de l’un des siens. « Puisqu’on pleure en commun, écrit-il encore, c’est qu’on tient toujours les uns aux autres et que la collectivité, en dépit du coup qui l’a frappée, n’est pas entamée. Sans doute, on ne met alors en commun que des émotions tristes ; mais communier dans la tristesse, c’est encore communier, et toute communion des consciences, sous quelques espèces qu’elle se fasse, rehausse la vitalité sociale. »

Avant de mourir au front pendant la première guerre mondiale, Robert Hertz, l’un des élèves de Durkheim, explore, lui aussi, les représentations collectives qui inspirent les rituels funéraires. En 1907, dans sa Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort, il s’attarde sur les doubles funérailles célébrées par les peuples indonésiens en insistant sur le fait qu’il ne s’agissait pas de faits « purement locaux ». Après un décès, écrit-il, la société doit accomplir un « pénible travail de désagrégation et de synthèse mentales » pour retrouver la paix.

Pour Robert Hertz, les rituels funéraires servent à faire passer la personne disparue de la société visible des vivants à la société invisible des ancêtres. « Après un décès, les vivants craignent que les morts reviennent les hanter, explique l’anthropologue Frédéric Keck. Les doubles funérailles sont destinées à éloigner ce fantôme : elles instaurent une séparation entre le monde des vivants et le monde des morts. En installant la personne décédée dans cette société parallèle à la nôtre, le rite transforme le cadavre biologique en un être social qui appartient à un autre monde. »

Destinée post mortem

Le devenir des morts occupe beaucoup les vivants, ajoute Frédérick Keck. « L’historien Vincent Goossaert a montré qu’en Chine, les taoïstes tenaient une véritable bureaucratie des morts : chaque personne décédée occupe, dans cet univers, une place liée à ses mérites, poursuit-il. L’Occident, lui aussi, a dessiné une géographie de l’au-delà : pour échapper au système dualiste de l’enfer et du paradis, les chrétiens du Moyen Age ont ainsi inventé, comme l’a raconté Jacques Le Goff dans La Naissance du Purgatoire [Gallimard, 1981], une société intermédiaire où les morts peuvent racheter certains de leurs péchés. »

Selon Eric Crubézy, auteur d’Aux origines des rites funéraires (Odile Jacob, 2019), cette transformation du « mort en défunt » exige trois moments symboliques : « Il faut d’abord voir le corps pour réaliser que la personne est bien morte et mettre en scène une dernière image d’elle – on peut inhumer un général dans ses habits militaires ou le faire ressembler au grand-père qu’il est devenu. Il faut ensuite cacher le corps, en l’inhumant ou en l’incinérant, car cet objet dérangeant qui ressemble au vivant a rejoint le néant ; il faut enfin le métamorphoser, c’est-à-dire l’agréger à une histoire plus grande que lui afin qu’il s’intègre à la communauté des morts. »

Le respect de ces rituels commande la destinée post mortem des personnes décédées. Rien n’est en effet plus dangereux qu’un mort « mal passé », affirme l’anthropologue Jean-Pierre Albert dans Les Rites funéraires. Approches anthropologiques (Les Cahiers de la faculté de théologie, 1999) : lorsqu’un marin meurt en mer, il est impossible de traiter rituellement son cadavre, et donc de le séparer définitivement du monde des vivants. « Ne pas prendre soin du mort, se débarrasser de son corps comme s’il s’agissait d’un déchet ou d’une charogne, donne aux femmes et aux hommes le sentiment qu’ils ont perdu leur humanité », résume la sociologue Gaëlle Clavandier, auteure de La Mort collective. Pour une sociologie des catastrophes (CNRS Editions, 2004).

Le « cataclysme » des épidémies

Parce qu’elles provoquent subitement des milliers, voire des millions de morts, parce qu’elles imposent des précautions sanitaires drastiques liées à la crainte de la contagion, les épidémies bouleversent ces rituels funéraires qui permettent d’instaurer des relations paisibles entre les vivants et les morts. C’est le cas au XIVe siècle, pendant la terrible peste noire qui sème la terreur en Europe : en cinq ans, de 1347 à 1352, le quart, voire la moitié, des habitants du continent succombent à cette immense pandémie importée par les combattants mongols à partir des années 1330.

« EN TEMPS D’ÉPIDÉMIE, LA MORT DEVIENT UNE MENACE IMMÉDIATE, DIRECTE ET BRUTALE. DÈS LORS, CERTAINES BARRIÈRES MORALES OU SACRÉES SONT RENVERSÉES »

L’épidémie pénètre en France le 1er novembre 1347: ce jour-là, le port de Marseille accueille une galère venue d’un comptoir génois de la mer Noire ravagé peu de temps auparavant par la peste. C’est le début d’un véritable « cataclysme », selon le mot de Stéphane Barry et Norbert Gualde dans « La peste noire dans l’Occident chrétien et musulman » (dans Epidémies et crises de mortalité du passé, Ausonius Editions, 2007) : la Provence, le Dauphiné et la Normandie perdent 60 % de leurs foyers ; Narbonne et Perpignan voient disparaître la moitié de leur population. Le bourg de Givry (Bourgogne), qui possède l’un des plus anciens registres paroissiaux de France, enregistre en trois mois le décès de 38 à 43 % de ses paroissiens.

Comment maintenir, pendant cette hécatombe qui s’étend à tout le territoire, le respect des rituels funéraires ? Comment continuer à accomplir ces gestes qui permettent d’éviter l’« errance hostile et malheureuse » des morts, selon le mot de Jean-Pierre Albert ? Ces questions hantent les Français pendant près de quatre siècles : à partir du grand « mal noir » de 1347, la peste réapparaît en effet tous les dix ou vingt ans. « En Occident, la maladie ne disparaît que très progressivement au cours du XVIIe siècle, des flambées, parfois majeures, se manifestant encore au XVIIIe siècle, voire XIXe siècle », soulignent Stéphane Barry et Norbert Gualde.

Cette longue cohabitation avec la mort bouscule les rituels funéraires. « En temps d’épidémie, la mort devient une menace immédiate, directe et brutale, constatent Stéfan Tzortzis et Catherine Rigeade dans « Persistance et/ou transgression des pratiques funéraires en temps de peste » (dans Etudes sur la mort, 2009). Dès lors, certaines barrières morales ou sacrées sont renversées. Même si l’on s’efforce parfois de préserver, au moins partiellement, les pratiques rituelles associées au décès et aux funérailles, elles sont fréquemment escamotées par nécessité. Les gestes funéraires deviennent, de ce fait, potentiellement très variables. »

Au XVIIIe siècle, la « fin des égards »

A partir du XIVe siècle, les tombes des « pestiférés » témoignent de ce bouleversement des pratiques. Certaines victimes sont inhumées à même la terre car le bois destiné aux cercueils vient à manquer ; d’autres sont recouvertes de chaux vive afin de minimiser les odeurs et de repousser les charognards ; d’autres encore sont ensevelies dans des fosses communes car la brusque flambée de la mortalité a eu raison de la tradition des tombes individuelles. Confrontée à une hécatombe sans précédent, inquiète à l’idée que les cadavres puissent transmettre le mal, la population bâtit des « sépultures de catastrophe », selon le mot de l’archéologue Catherine Rigeade.

« AU DÉBUT DE L’ÉPIDÉMIE, LA SOCIÉTÉ TENTE DE FAIRE FACE. UNE FOIS QUE LE MAL SE RÉPAND, ON CONSTATE EN REVANCHE UNE PERTE DES REPÈRES SOCIAUX »

Eric Crubézy, professeur d’anthropobiologie à l’université Toulouse-III, a observé ce désordre dans les tombes édifiées à Montpellier entre le Xe et le XVIe siècle. « Au début de l’épidémie, la société tente de faire face : le rythme des inhumations s’accélère mais les rites sont respectés, explique-t-il. Une fois que le mal se répand, on constate en revanche une perte des repères sociaux. Les familles sont décimées, les survivants sont moins attentifs aux morts, les responsables administratifs, politiques ou religieux disparaissent. Dès lors, les rites sont moins bien respectés : les cadavres sont parfois jetés dans la rue, ramassés dans des charrettes et jetés dans des fosses communes. »

Dans « Funérailles en temps d’épidémie. Croyances et réalité archéologique » (dans Les Nouvelles de l’archéologie, 2013), Dominique Castex et Sacha Kacki soulignent ainsi que, sur le site funéraire de Dreux (Eure-et-Loir), certaines tombes qui datent de la peste noire du XIVe siècle renferment plus de 20 squelettes. A Sens (Yonne), pendant le haut Moyen Age, quantité de sépultures comptent un nombre important de victimes. Cette tendance s’accentue avec le temps, constatent les deux archéologues : en France, tous les sites d’inhumation de victimes d’épidémie de la fin de la période moderne comptent des sépultures multiples.

L’acmé de cet « abandon des pratiques funéraires » intervient à Marseille et Martigues, lors de la dernière grande peste (1720-1722). « Le charnier de l’Observance, à Marseille, a livré les squelettes de plus de deux cents victimes de l’épidémie reposant dans des positions et selon des orientations variées, sans organisation apparente, poursuivent les deux archéologues. Comme pour d’autres aspects du traitement sépulcral, le XVIIIe siècle semble donc marquer un tournant dans le rapport aux corps des malades, la nécessité d’une mise en terre rapide des cadavres prenant le pas sur toute forme d’égard vis-à-vis des défunts. »

Dans le charnier de l’Observance, un squelette de femme a été découvert gisant face contre terre, les bras étirés au-dessus de la tête. « Sa posture nous renvoie l’image d’un corps qui a été jeté dans la fosse, puis traîné par les mains peut-être sur plusieurs mètres avant d’être abandonné tel quel parmi d’autres cadavres, soulignent Stéfan Tzortzis et Catherine Rigeade. La gestion funéraire est alors réduite à la seule élimination de cadavres, sans que l’on puisse y déceler le moindre reliquat de considération religieuse, morale ou simplement humaine. Le corps humain inerte est alors réduit à une chose malsaine dont il faut se débarrasser. »

Fausses communes et chaux vive

L’épidémie de Marseille (1720-1722) est le dernier grand épisode de peste. A partir de la fin du XVIIIe siècle, les progrès de la médecine et l’émergence des politiques de santé publique éliminent peu à peu les grandes vagues épidémiques. En 1810, le « Comité central de vaccine », fondé sous l’égide de puissants philanthropes, annonce que la variole est vaincue. La fièvre jaune et la typhoïde disparaîtront, eux aussi. En 1826, une épidémie de choléra naît cependant en Inde avant de gagner la Russie, la Pologne, la Finlande, l’Allemagne, l’Angleterre et la France.

« MÊME QUAND L’ÉPIDÉMIE EST MENAÇANTE, LES POPULATIONS ACCEPTENT DIFFICILEMENT DE TELLES DÉROGATIONS AU TRAITEMENT DES CORPS MORTS. ELLES Y VOIENT UNE ATTEINTE À LA DIGNITÉ DES DÉFUNTS »

En Prusse, dans la ville de Dantzig, les cadavres sont si nombreux et la crainte de la contagion si vive que les autorités renouent avec les usages funéraires des temps de peste. « Les cadavres sont manipulés avec de grandes pinces en métal, rassemblés dans des fosses communes et recouverts de chaux vive, précise l’historien Patrice Bourdelais, auteur des Epidémies terrassées. Une histoire de pays riches (La Martinière, 2003). Ces pratiques déclenchent un soulèvement : même quand l’épidémie est menaçante, les populations acceptent difficilement de telles dérogations au traitement des corps morts. Elles y voient une atteinte à la dignité des défunts. »

La France du XIXe et du début du XXe siècle connaît, comme la Prusse, des épidémies – sans pour autant ressusciter les pratiques funéraires observées lors de la peste médiévale : pendant le choléra de 1832, la grippe russe de 1889-1890 ou la grippe espagnole de 1918-1919, nul ne voit des charrettes déverser sans ménagement des cadavres dans des fosses communes. Les rituels sont cependant perturbés : le brusque afflux de cadavres lié aux épidémies empêche les pompes funèbres de respecter pleinement les usages qui accompagnent traditionnellement l’adieu aux morts – en France, le choléra de 1832 fait en effet 100 000 victimes, la grippe russe 60 000, la grippe espagnole de 200 000 à 300 000.

Pendant la grippe russe, les pompes funèbres de Paris peinent à gérer les cadavres. « En sept semaines, entre le 10 décembre 1889 et le 31 janvier 1890, la ville enregistre 5 000 décès, souligne l’historien Frédéric Vagneron, qui a consacré une thèse aux pandémies de grippe de 1889 et de 1918. Le XIXe siècle a été marqué par la création de nouveaux cimetières extra-muros : au nom de la lutte contre la pollution des sols et de la hantise de l’engorgement des cimetières intra-muros, on a éloigné les nécropoles des centres-villes. Lors des enterrements, les voitures à chevaux doivent donc emporter les cercueils vers la périphérie. La presse de l’époque parle beaucoup de ces convois funèbres qui traversent silencieusement la ville en janvier 1890. »

La situation s’aggrave, vingt ans plus tard, lors de la grippe espagnole. « En 1918-1919, les pompes funèbres parisiennes, qui gèrent plus de 400 corps par jour, ont du mal à trouver du bois pour les cercueils et font creuser les fosses par des prisonniers allemands, raconte l’historien. Parce que la grippe est contagieuse, un chapelet d’arrêts municipaux apporte des restrictions aux rituels funéraires : il est interdit de se rassembler en nombre dans les églises et les cimetières. Le faste des cortèges diminue : pour l’écrivain Edmond Rostand ou l’aviateur Léon Morane, les convois sont importants, mais pour les victimes moins connues, on met deux cercueils sur le même char et on réduit le nombre de chevaux. »

Une peine supplémentaire

Aucun soulèvement n’accueille ces restrictions aux rituels funéraires, mais des crises politiques éclatent ici et là. A Grenoble, les familles dénoncent les conditions scandaleuses dans lesquelles les pompes funèbres, qui ont été confiées quelques années auparavant à une compagnie privée, gèrent les inhumations des victimes de la grippe espagnole. « La presse, en particulier socialiste, se fait leur porte-parole en dénonçant les dysfonctionnements des services funéraires et l’absence de dignité qui préside aux obsèques », poursuit Frédéric Vagneron. A la suite d’une enquête administrative de la préfecture diligentée en 1918, la municipalité dénoncera l’accord conclu avec la compagnie privée.

Un siècle plus tard, la France semble renouer avec cette longue histoire. Comme en 1832, comme en 1889, comme en 1918, le strict encadrement des rituels funéraires inflige aux familles de victimes une peine supplémentaire – et peut engendrer une sourde inquiétude. « Il est important que les familles qui le souhaitent puissent voir le corps de leurs proches au moment de la mise en bière, souligne Gaëlle Clavandier, sociologue au Centre Max-Weber. Sinon, elles risquent de ressentir une crainte très ancienne, celle des “mal-morts”, ces spectres qui reviennent et qui circulent parmi les vivants. C’est une croyance qui concernait notamment les femmes en couches ou les suicidés : elle repose sur l’idée que les morts ne sont pas stabilisés. »

Parce que les victimes du Covid-19 seront unies, bien malgré elles, par la trame d’une histoire collective, des hommages collectifs leur seront sans doute rendus après l’épidémie, ajoute la sociologue. « Comme en Lombardie et en Vénétie, les villes qui ont vu disparaître une grande partie de leurs aînés imagineront probablement des formes de commémoration. En France, il y aura sans doute des cérémonies dans les établissements pour personnes âgées qui ont été particulièrement touchés, voire un hommage de la nation tout entière afin de célébrer le souvenir des victimes du Covid-19 et des défunts morts durant la période. Quand la collectivité se sent en état de défaillance, elle a besoin de faire front en créant un moment de communion nationale. »

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