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Jours tranquilles à Paris
14 avril 2020

LIBERATION - Pour le Président, des avis à tout-va puis des décisions en solo

libé 14 avril

Depuis le début de la crise, Macron s’est entouré de trois conseils, plus ou moins discrets, qu’il consulte sans les intégrer au processus de décision. Certains pointent la confusion ambiante sur la politique de santé publique.

Qui décide dans cette crise sanitaire inédite ? Emmanuel Macron, nul n’en doute. Mais comment ? Par quel processus ? Sur quelles structures ou sur quelles personnalités s’appuie-t-il pour trancher ? Y a-t-il des conseillers de l’ombre en matière de santé publique ? «C’est un vrai mystère, on a du mal à comprendre les circuits», lâche un haut fonctionnaire qui ajoute, pointant l’apparition de nouveaux conseils : «Les institutions [notamment les administrations en charge de ce secteur clé, ndlr] sont au départ sollicitées, mais elles sont laissées ensuite de côté.» Un ancien directeur de cabinet ministériel poursuit : «Aujourd’hui, la situation est confuse. Alors que nous sommes en plein dans la crise, la politique de santé publique part dans tous les sens. D’anciens directeurs généraux de la santé mettent en cause brutalement la politique suivie. C’est sidérant (1).»

Comment décortiquer ce brouillard ambiant ? «Pour un président de la République, l’équilibre est fragile», décortique un proche de Macron. «Il est en haut de la machine d’Etat, et en même temps il la subit. Ce qui est sûr, c’est qu’il consulte, beaucoup. Mais il ne fait pas valider. On ne compte plus le nombre de conseillers qui ont cru l’avoir convaincu… ironise-t-il. Il peut mettre devant le fait accompli pour bousculer. Et cela ne le dérange pas que les ministres découvrent devant la télé les annonces présidentielles.»

Instrumentalisé

Dans cette boîte noire que constituent les préparatifs des décisions présidentielles, tentons de dessiner quelques repères. Depuis le début de la crise, sur volonté du chef de l’Etat, court-circuitant de fait les structures habituelles, trois conseils sont sortis de terre. D’abord, le Conseil scientifique présidé par Jean-François Delfraissy. «Notre rôle n’est pas de prendre des décisions, mais de donner des avis», indique-t-il à Libération. Tous les jours, de 12 heures à 14 heures, les membres de ce conseil se réunissent par audioconférence, et traitent des questions dont ils ont été ou se sont saisis. Les avis sont adoptés à l’unanimité. «Nous ne sommes jamais au courant de ce que va annoncer le Président, et c’est bien ainsi», souligne Delfraissy. Ses rapports avec l’Elysée ? «J’ai insisté pour que nos avis soient écrits. Nous avons dû, depuis notre création, avoir trois rencontres directes avec le Président ou le Premier ministre.»

Il ne nous le confirme pas, mais juste après sa création - début mars -, le conseil a peu apprécié que le Président s’appuie ouvertement sur lui pour justifier ses décisions - notamment le maintien du premier tour des élections municipales -, se sentant par là même un rien instrumentalisé. Depuis, la séparation semble plus claire. Mais lorsque l’on demande, en insistant, à Jean-François Delfraissy s’il comprend les processus de prise de décision, la réponse fuse : «Je n’en sais rien et cela n’est pas du ressort du Conseil scientifique.» A-t-il trouvé que c’était une bonne idée que Macron aille voir le professeur Didier Raoult à Marseille ? «Je n’étais pas d’un enthousiasme fou», rétorque-t-il sans hésiter.

Discrétion

A côté de ce conseil au rôle clé, deux autres structures ont vu le jour. Le Comité analyse, recherche et expertise (Care), que préside la Prix Nobel de médecine Françoise Barré-Sinoussi. Composé d’une dizaine de scientifiques, le Care s’occupe des protocoles cliniques et doit réfléchir à l’organisation à venir de la recherche. Jusqu’à présent, il n’a eu aucune manifestation publique. Enfin - et encore plus silencieux -, a surgi un groupe mis en place autour de Jean Castex, ancien secrétaire général de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy et ex-directeur de cabinet de Xavier Bertrand au ministère de la Santé. Ledit groupe travaille sur le thème le plus sensible, à savoir le déconfinement. Jean Castex, maire de Prades (Pyrénées-Orientales) et personnalité respectée dans le monde de la santé, est d’une discrétion absolue. Comment travaille-t-il ? Pas de réponse. On découvre qu’il a intégré dans son équipe deux anciens directeurs généraux de la santé, Didier Houssin et Benoit Vallet. Bizarrement, il n’a pas fait appel au Pr William Dab, qui lui avait pourtant proposé ses services.

Manifestement, face à une crise exceptionnelle, Macron a voulu se doter d’outils parallèles. Pour ensuite trancher. «Pour ma part, ajoute le Pr Delfraissy, je milite pour un autre conseil, celui-là venant totalement de la société civile, et non pas d’experts. Nous avons besoin d’un lien fort avec les gens.» D’autant que le critère essentiel pour qu’une mesure de santé publique soit suivie reste… son acceptation par la population.

(1) Dans un entretien au Monde dimanche, William Dab dénonce la «médiocrité» d’une partie des mesures prises.

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