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Jours tranquilles à Paris
15 avril 2020

Coronavirus : face à une telle crise, il faut un revenu universel

Par Jean-Eric Hyafil , docteur à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne — 13 avril 2020 à 17:06

Un revenu pour tous et sans condition apporterait plus de cohérence au système redistributif et accompagnerait mieux intérimaires, intermittents, pigistes et tous ceux dont les emplois ne sont pas protégés par le chômage partiel.

Tribune. La mise à l’arrêt de toute une partie de l’activité économique depuis le 17 mars, arrêt nécessaire pour mettre un terme à la propagation du virus, s’est traduite par une suspension nette des revenus pour un nombre très élevé de travailleurs et d’entreprises. Face à cela, le gouvernement a fait tout ce qui est en son pouvoir pour éviter au plus grand nombre de se retrouver sans revenu : près de 5 millions de salariés ont été mis au chômage partiel et de nombreux indépendants et petits entrepreneurs ayant vu leur activité suspendue ont pu solliciter une aide de 1 500 euros pour survivre à la crise.

Si le gouvernement a fait ce qu’il pouvait faire, il reste encore des laissés-pour-compte : tous ceux dont les emplois ne sont pas protégés par les mesures de chômage partiel : les intérimaires, les personnes en fin de CDD, certains intermittents ou encore les pigistes. Un grand nombre d’entre eux n’ont pas suffisamment cotisé pour demander une allocation chômage, sachant qu’un chômeur sur deux n’a pas assez de «droits» pour être indemnisé. Certains ont sollicité le revenu de solidarité active (RSA), et il faut espérer que les conseils départementaux aient pu être réactifs face au raz-de-marée de demandes parvenues ces dernières semaines. Il reste enfin des chômeurs qui ne reçoivent ni les allocations chômage ni le RSA parce qu’il leur manque la connaissance du dispositif ou les moyens de le solliciter, dans un contexte où l’action des administrations sociales et des associations est elle aussi limitée par les mesures de confinement.

Face à une telle crise, un revenu universel aurait été efficace pour répondre rapidement au problème sans laisser personne sur le carreau. Rappelons qu’un revenu universel est distribué à tous les résidents adultes d’un pays de façon universelle, inconditionnelle et individuelle, étant cumulable avec les revenus du travail, du capital et de remplacement. Ce revenu universel ne doit se substituer qu’au seul RSA et à la prime d’activité : il restera nécessaire de s’appuyer sur le régime d’assurance chômage pour les travailleurs qui cotisent et sur les différents dispositifs ciblés sur les publics particuliers (adultes handicapés, familles monoparentales, personnes âgées avec des droits insuffisants à la retraite, etc.). Et il ne devrait pas non plus remplacer les mesures exceptionnelles ciblées prises par le gouvernement (chômage partiel ou aide sur les petits entrepreneurs) : face à une telle crise, il est nécessaire d’avoir une palette d’outils redistributifs à disposition pour répondre à la diversité des cas. Mais il faut aussi avoir un outil qui assure que personne n’est oublié, et ce avec le moins de complication administrative possible. Cet outil est le revenu universel. Evidemment, la question du financement se pose : il faut comprendre que les effets redistributifs du revenu universel ne peuvent être pensés sans prendre en compte les impôts qui le financent. Ainsi, un couple revenu universel à 550 euros + impôt proportionnel (flat-tax) dès le premier euro gagné (comme la CSG) à 23 % (que l’on peut par ailleurs rapprocher de l’impôt négatif de Milton Friedman si ce n’est que celui-ci s’active en aval des revenus d’activité contrairement au revenu universel) a très grossièrement les mêmes effets redistributifs que l’actuel trio RSA + prime d’activité + impôt sur le revenu. On pourrait financer le revenu universel de cette année principalement en augmentant le taux de CSG d’une vingtaine de points. On peut aussi faire peser une partie du financement sur les dernières tranches de l’impôt sur le revenu ou sur les impôts sur le capital afin d’obtenir un effet redistributif plus fort. Soulignons que les ménages aisés seraient plus imposés, mais ils recevraient aussi le revenu universel, ce qui compenserait partiellement la hausse d’impôts.

L’individualisation du revenu universel (contrairement au RSA qui est familiarisé) rend la mesure plus coûteuse que l’actuel RSA, mais elle la rend aussi plus simple. Surtout, la mise en œuvre d’un revenu universel est la traduction la plus directe d’un nécessaire rapprochement entre la Caisse d’allocations familiales (CAF), qui verse les allocations sociales, et l’administration fiscale, les deux entités qui participent à la redistribution verticale de revenus. Fusionner ces deux administrations serait l’occasion d’apporter plus de cohérence au système redistributif et de mieux accompagner chacun des citoyens, pour qui le système deviendrait alors plus clair.

Enfin, une fois la crise du coronavirus terminée, l’existence d’un revenu universel dans la palette des mécanismes redistributifs sera un outil efficace pour affronter de nombreux problèmes économiques à venir : dédommager la population d’une région touchée par une catastrophe naturelle, compenser les effets antiredistributifs d’une augmentation de la taxe carbone, augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs à bas salaire, etc. Ainsi, mettre en œuvre dès maintenant un tel revenu universel permettra au pouvoir politique de se rendre compte combien cet outil peut débloquer une multitude de dilemmes économiques qu’il n’était jusqu’ici pas parvenu à résoudre.

Jean-Eric Hyafil est le coauteur de : Revenu de base. Un outil pour construire le XXIe siècle, et Revenu de base. Comment le financer, éditions Yves Michel, 2016

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