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Jours tranquilles à Paris
18 avril 2020

Pourquoi la référence aux “Jours Heureux” dans le discours de Macron ne passe pas

PAR Mathieu Dejean

“Nous retrouverons les Jours Heureux”, a promis Emmanuel Macron dans son allocution le 13 avril. Une référence historique au programme du Conseil National de la Résistance qui fait grincer des dents.

Depuis 2007, le documentariste Gilles Perret est engagé dans un vaste programme de défense et de mise en valeur de la mémoire du Conseil National de la Résistance (CNR). “On a fait des résistants des icônes, mais on a oublié leur projet !”, avait-il dénoncé en 2010, à l’occasion de la venue de Nicolas Sarkozy sur le plateau des Glières, qui accueille le monument national de la Résistance. Cofondateur de l’association Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui, il a réalisé trois films qui portent sur le programme du CNR : Walter, retour en résistance (2009), Les Jours heureux (2013) et La Sociale (2016). Alors qu’Emmanuel Macron a fait référence, dans son allocution du 13 avril, aux “Jours Heureux”, nous l’avons interrogé à ce sujet.

A la fin de son allocution du 13 avril, Emmanuel Macron a déclaré : “Mes chers compatriotes, nous aurons des jours meilleurs et nous retrouverons les Jours Heureux. J'en ai la conviction.” Comment réagissez-vous à cette référence au programme du CNR ?

Gilles Perret – Sur le moment je n’y croyais pas. C’est du même ordre que Nicolas Sarkozy citant Guy Môquet. Je me suis dit : non, pas lui ! Depuis une bonne centaine d’années, on n’a jamais eu un président aussi libéral qu’Emmanuel Macron, et donc aux antipodes du contenu et de la volonté du programme du CNR. J’avais juste envie de dire : tais-toi. Son numéro d’hier soir, je n’y crois pas une minute. Conclure sur les Jours Heureux, ce n’est pas possible.

Cette référence était-elle volontaire à votre avis ?

Bien sûr, je ne pense pas qu’il le dise à la légère, il sait très bien à quoi il fait référence, et c’est d’autant plus insupportable. Ce qui est à pleurer, c’est que les commentateurs à la télévision ne connaissent parfois pas la référence, et pensent qu’il nous souhaite le bonheur, en gros. C’est toujours assez pitoyable.

Pouvez-vous expliquer en quoi consistaient les Jours heureux ?

Quand je dis que c’est aux antipodes de la politique de Macron, c’est parce que le CNR est la grande période pendant laquelle l’Etat, les citoyens, le peuple reprennent le pouvoir sur l’économie. C’est cité dans le programme : l’intérêt général doit toujours primer sur l’intérêt particulier. Le texte fait référence à la domination de la finance dans les années 1930, à l’accaparement des richesses par une minorité, à la trahison des banques et des élites. Ils voulaient que l’Etat ait la main sur tous les secteurs qui sont prioritaires pour la vie d’une nation. Or, en tant que ministre de l’Economie, Emmanuel Macron a défait EDF – une création du CNR, qui avait nationalisé l’énergie, trop importante à ses yeux pour être laissée entre les mains du privé. Le parcours même de Macron, passé du privé au public, est contradictoire avec la volonté du CNR de séparer “les féodalités économiques du pouvoir politique”. Le niveau de collusion aujourd’hui entre ces pouvoirs est patent. Prenez le programme du CNR, et vous verrez que toute la logique de Macron est à l’opposé de ça, puisqu’elle subordonne les citoyens et le social à l’économie. Macron a tout fait pour détruire l’héritage du CNR, et pour que l’Etat ne soit plus là que pour éponger de temps en temps les méfaits du libéralisme.

On peut donc parler d’une récupération mémorielle ?

Oui, mais si on regarde l’ensemble de son discours, il y a une cohérence ironique. Ce discours aurait pu être tenu par Mélenchon ou Besancenot ! Alors, pourquoi ne pas faire une référence aux Jours Heureux ? Il a bien parlé de planification ! [“Il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier”, a déclaré Emmanuel Maron, ndlr] Si tu fermes les yeux, tu ne sais plus qui est à la télé.

“Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier”, a-t-il également déclaré, comme pour justifier cette référence...

Mais le CNR, c’était de l’idéologie pure et dure ! Certaines personnalités politiques que j’interrogeais dans Les Jours Heureux prétendaient que ce programme était issu d’un simple accord entre tous les partis politiques, mais non ! Ce programme a été gagné dans le rapport de force. Les forces progressistes, principalement communistes à l’époque, étant fortement investies dans la résistance, le rapport de force dans la négociation pour écrire un programme était en leur faveur. Les partis de droite, ultraminoritaires, ont été obligés de signer, car ils ne représentaient rien à la Libération. Toutes les forces politiques en présence ont donc signé un programme à forte inspiration communiste et socialiste. C’est le rapport de force, et pas la belle idée du “en même temps” de Macron, qui l’a permis. C’est pour ça que dans le texte, la première partie est intéressante. Elle porte sur la lutte armée contre l’occupant, et sur la nécessité de se battre pied à pied pour avoir la légitimité nécessaire à imposer ce programme social à la Libération.

Cette référence prouve-t-elle que l’Etat social, et donc le programme du CNR, sont toujours d’actualité aujourd’hui ?

Oui, et c’est le combat que nous menons depuis 13 ans avec Citoyens Résistants d’Hier et d’Aujourd’hui. Je pense que même les libéraux, les gens de droite, inconsciemment savent qu’il faudra contraindre la finance, faire des plans d’investissement pour protéger l’environnement, reprendre en main l’énergie, car on sait que ça va mal finir. Le programme du CNR est issu du Front populaire de 1936 et de la Révolution française. Ce sont les grandes réflexions politiques et philosophiques de deux siècles. Mais pour qu’il arrive au pouvoir, il faut que le rapport de force soit favorable. Ça a été possible en 1945. Si le Covid fait que c’est possible en 2020, on s’en réjouira. Mais je ne suis pas dupe de la manipulation. Il va falloir s’occuper de la partie 1 du programme, la bataille sur le terrain et le rapport de force.

Propos recueillis par Mathieu Dejean

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