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Jours tranquilles à Paris
27 avril 2020

En pays nantais, 70 % des brins de muguet vont faner dans les champs

muguet cadeau

Par Yan Gauchard, Nantes, correspondant Le Monde

Les producteurs de clochettes blanches sont touchés de plein fouet par le confinement. La grande distribution a révisé à la baisse ses commandes et les fleuristes, hors services de livraisons, sont fermés.

Peut-on caresser l’espoir de grappiller un « brin de bonheur » en ce printemps 2020 ? Question existentielle s’il en est, exacerbée en ces temps de coronavirus du côté des producteurs de muguet. Les voici plongés en pleine crise, du fait de la situation sanitaire. Dans les champs, la saison s’annonçait pourtant idyllique. « Le muguet est magnifique, souligne Eric Harrouet, à la tête de l’entreprise Lilyval, qui produit chaque année 170 000 pots et près de 2 millions de brins sur les terres de Saint-Julien-de-Concelles, à 13 km de Nantes (Loire-Atlantique). Il est long, ferme et il a du pied, à savoir une belle épaisseur de tige. »

En temps ordinaire, la filière table bon an mal an sur un chiffre d’affaires oscillant entre 20 et 30 millions d’euros. Dans les Pays-de-la-Loire, une quinzaine de producteurs indépendants, établis pour l’essentiel en Loire-Atlantique, assurent la production de 60 millions de brins, couvrant 80 % du marché national. Mais le confinement a mis à mal les circuits de vente. La grande distribution, qui écoule traditionnellement 50 % des clochettes blanches, a réduit la voilure. « Les grandes et moyennes surfaces ont diminué leurs commandes de plus de 30% », indique Patrick Verron, conseiller en cultures légumières et muguet au sein du comité départemental du développement maraîcher de Loire-Atlantique.

La majorité des professionnels a fait le choix de restreindre la récolte aux commandes engrangées. Ce qui fait que de nombreux plants sont laissés dans les champs, et vont faner sur place. « 70 % à 80 % des brins n’ont pas été cueillis, affirme M. Perron. La plupart des producteurs n’ont pas pris le risque d’aller cueillir des brins qu’ils n’étaient pas sûrs de vendre. »

« 70 % à 80 % des brins n’ont pas été cueillis »

Conséquence : le volant de saisonniers, mobilisés durant la dizaine de jours que dure la campagne de muguet, a fondu comme neige au sommeil : « Il y a dû avoir 1 500 recrutements au maximum contre 6 500 à 7 000 en temps normal », précise M. Verron.

« C’est une catastrophe, lâche, laconique, Jean-François Vinet, l’un des principaux acteurs du secteur. Mais c’est la vie, il n’y a rien à faire. Je n’ai pas de mort du Covid autour de moi, alors de quel droit vais-je me plaindre ? »

M. Harrouet, lui, a fait le choix de ramasser l’ensemble de sa production, qui pèse « 20 % de son chiffre d’affaires ». Il n’a pour l’heure vendu « que 20 % » de la cueillette. Pour tenter de sauver la saison, le maraîcher a créé un site internet (unbrindesolidarite.fr) afin de proposer à ses clients d’envoyer du muguet aux hôpitaux, moyennant le reversement de 10 % des recettes à la Fondation de France pour soutenir la recherche médicale.

La prolongation du confinement a également été vécue comme « un coup de massue » au sein de Bigot fleurs, près du Mans. Avec près de 4 millions de brins récoltés, le muguet représente « la plus grosse semaine de l’année, relève Jean-Philippe Bigot, président du groupe familial. Là, on va tourner à 50 %. » L’entreprise sarthoise, qui emploie 150 salariés à l’année et recrute 500 saisonniers au moment du muguet, était déjà éprouvée par la crise : « Dès la première semaine de confinement [celle du 16 mars], le chiffre d’affaires a plongé de près de 80 % et on a mis 2,5 millions de tulipes à la méthanisation, note M. Bigot. On a un peu relevé la tête mais on continue d’enregistrer 50 % de perte. »

Désolation

Le chef d’entreprise, qui confie avoir passé quelques nuits blanches, « se débat pour sauver les meubles ». Et a engagé des discussions avec ses partenaires bancaires « pour trouver une solution pour sortir de l’ornière ». Un soupir, et cette confidence nimbée de désolation qui tombe : « A 62 ans, en tant que patron, je n’aurais jamais imaginé être obligé de négocier un prêt pour financer des pertes dont je ne suis pas responsable. La logique veut que l’on emprunte de l’argent pour un projet de développement, pas pour rester au-dessus de la ligne de flottaison. C’est du jamais-vu. »

Interrogé le 21 avril sur Europe 1, le ministre de l’agriculture, Didier Guillaume, a promis un plan au niveau européen. Mais pour l’heure, aucune mesure concrète n’est sur la table. « On va dresser un état des lieux précis pour mesurer la gravité de la situation », confie M. Perron, qui note : « Il n’y a pas de séance de rattrapage pour le muguet. Et on peut redouter un bouleversement de la chaîne de distribution. Qui peut dire si dans un an, il y aura le même nombre de grossistes et de fleuristes qu’avant. On peut craindre pas mal de dépôts de bilan. »

Au bout de la chaîne, le Parti communiste français fait également grise mine, tirant un trait sur les recettes enregistrées grâce à la vente de clochettes à la faveur des rassemblements du 1er mai. A l’instar d’autres fédérations, le Parti communiste de Loire-Atlantique va proposer à ses militants un muguet virtuel, qui a « valeur de souscription pour faire entrer un peu d’argent dans les caisses qui en ont bien besoin » selon le mot d’Aymeric Seassau, secrétaire départemental du PCF en Loire-Atlantique.

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