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Jours tranquilles à Paris
27 avril 2020

Chronique - Confinement : peut-on séduire sans changer de slip ?

sedyire sans changer de slip

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Soigner son apparence ? Mais pour quoi faire, au juste ? L’idée est de se sentir bien dans son corps, pas de concourir pour un prix de beauté, explique la chroniqueuse de « La Matinale » Maïa Mazaurette.

LE SEXE SELON MAÏA

Six semaines de confinement, nous voici revenus à l’état de nature : 38 % des femmes laissent repousser leurs poils (selon une enquête Bic/OpinionWay publiée la semaine dernière), et certaines abandonnent le soutien-gorge. Pendant ce temps, les hommes réinventent la mode masculine grâce au fameux « jogging-costume-cravate ». Les partisans du verre à moitié plein y verront une reformulation créative des codes de la séduction. Les adeptes du verre à moitié vide commenceront à creuser la tombe de notre sex-appeal, et de la civilisation tout entière.

Lisez-vous cette chronique en pyjama ? Très bien : je l’écris moi-même en pyjama. Inutile de culpabiliser : nous en sommes toutes et tous au point où l’après-shampoing devient un objet de curiosité. Repasser ses chemises ? Séduire ? Mais pour quoi faire, au juste ? Ce n’est pas comme si le partenaire allait se déplacer à plus d’un kilomètre…

Le (défunt) potentiel érotique des Français (paix à son âme) a d’ailleurs fait l’objet d’une étude publiée mercredi par l’enquête Ifop/24matins.fr, dont il ressort qu’un tiers d’entre nous ne prennent pas ou plus de douche quotidiennement, et que 41 % des hommes confinés en solo ne changent pas de slip tous les jours. Evitons les moqueries faciles : ces derniers sont majoritairement célibataires, chômeurs, et âgés – des populations n’ayant pas forcément accès aux ressources de luxe que sont les machines à laver.

12 % des femmes se trouvent belles en ce moment

Cependant, l’absence d’enjeu érotique ne réussit pas à tout le monde… et notamment pas aux femmes, supposées être « naturellement » plus décoratives. On apprend ainsi que seules 12 % des femmes françaises se trouvent belles en ce moment. C’est dix points de moins qu’avant le confinement, et dix points de moins que chez les hommes (dont le degré de confiance semble littéralement inébranlable).

Comment expliquer cette petite forme (physique) ? Trois facteurs entrent en jeu. Tout d’abord l’absence de sorties publiques, qui limite le nombre d’interactions – et donc de compliments (or on sait comme en France le flirt et la séduction sont un sport). Le port du masque ne corrigera pas ce déficit, puisqu’il nous rendra uniformes. Deuxième explication : le couple en vase clos produit une habituation (on commence à faire tapisserie). Troisième justification : la flemme. Nous avons investi beaucoup d’efforts et refusé beaucoup de pizzas quatre-fromages, pendant des décennies, pour nous soumettre à des attentes esthétiques trop exigeantes… alors évidemment, maintenant que nous disposons d’une excuse pour lâcher prise, nous sautons sur l’occasion. Si cette contestation des normes de beauté perdurait après la pandémie, ce serait plutôt une bonne nouvelle (et pas seulement pour les pizzaïolos).

Ce lâcher-prise est-il compatible avec la sexualité ?

Attaquons maintenant les questions qui font mal (il y en a toujours, n’est-ce pas ?) : ce lâcher-prise est-il compatible avec la sexualité ? Avec le couple ? A priori, les circonstances se prêtent plutôt au cocooning le plus lascif, aux guêpières extravagantes et aux slips transparents, puisque, selon les derniers chiffres du Centre de recherches politiques de Sciences Po, 42 % des Français sont confinés à deux (19 % habitent en solo, 38 % à trois ou plus). Sur le papier, c’est formidable. Dans la réalité, nous avons tendance à nous désinvestir de la sphère du charnel.

Le narcissisme en chute libre, notamment, entrave notre libido. C’est ce qu’explique la célèbre sexothérapeute Esther Perel, au micro d’un podcast qui vient de se lancer, « Les Artichauts » : « Le désir est terriblement lié à la valorisation de soi, à l’autoestime, et à se sentir pas seulement aimé, mais aimable. » Avant d’ajouter : « Il n’y a rien qui tue le désir plus que l’autocritique. »

Alors, comment se trouver encore désirable, quand on manque (très légitimement) de motivation ?

Commençons par déblayer devant la porte de nos standards : vouloir être désirable ne constitue pas un signe de superficialité ou de stupidité (le cliché de la blonde décérébrée a vécu). Les travaux d’un sociologue comme Jean-François Amadieu démontrent que la désirabilité constitue un avantage social fort, permettant d’obtenir de meilleurs salaires, des amitiés fortes, et des antipasti gratuits. Vous avez le droit de vouloir vous sentir attirant/e, sans que la police de l’intelligence vous terrorise ou vous demande des comptes.

Inutile de se mettre la pression tous les jours : vous allez vous épuiser et/ou développer de la rancœur. Mieux vaut définir à l’avance (pas forcément de manière précise) quelles seront les journées « avec séduction », durant lesquelles les partenaires prendront du temps pour se consacrer l’un à l’autre. Ce temps ne sera d’ailleurs pas forcément dévolu à la sexualité, mais plutôt à l’intimité (n’ajoutez pas de pression sexuelle à la pression sanitaire, sinon vous courez au désastre).

Nous nous épuisons, aussi, parce que les codes de la séduction sont hypercadrés, toujours identiques, finalement assez ennuyeux. Le confinement pourrait ici jouer en votre faveur : dans le foyer, il n’y a pas de public. Quelles sont les tenues que vous n’osez jamais porter au restaurant (je pense à une robe « trop » spectaculaire, autant qu’à un pantalon troué aux fesses) ? Organisez des soirées thématiques ou même déguisées : les contraintes, comme souvent, permettent de casser la routine. Ces talons aiguilles, ce boxer fendu, sont-ils ridicules ? Parfait. Au pire, vous en rigolerez dans quelques semaines !

Restez réaliste : n’exigez pas des performances esthétiques extraordinaires de la part de vous-même ou de votre partenaire. L’idée est de se sentir bien dans son corps, pas de concourir pour un prix de beauté.

L’estime de soi n’est pas une question purement cosmétique. Si vous arrivez à vous sentir fier d’un accomplissement physique (trois pompes) ou intellectuel (lire Schopenhauer), alors vous aurez déjà beaucoup plus envie de faire l’amour.

Enfin, on peut utiliser le tremplin d’une relation extérieure pour se renarcissiser : c’est aussi en tombant amoureux, en ressentant l’urgence de sa libido, qu’on se sent à nouveau désirable. Le besoin de séduction se déplacera alors hors de la sphère domestique, sur un terrain intermédiaire entre le fantasme et la prise de risque. C’est déjà en train d’arriver : la plate-forme de rencontres extraconjugales Gleeden vient de sonder 12 000 de ses membres… et, en ce moment, seuls la moitié d’entre eux se connectent pour trouver un amant ou une maîtresse ! En revanche, 72 % cherchent à se confier, et 28 % veulent juste se changer les idées. Soyons réalistes, vous ne risquez pas de passer à l’acte en ce moment. Mais vous pouvez trouver, par le jeu, par le flirt, un souffle de nouveauté qui ne menace pas le couple et qui permet de reprendre confiance en soi.

Dernière recommandation : adaptez vos efforts à vos préférences et envies personnelles. Parmi vous, certains ont besoin de s’oublier, et c’est très bien (la séduction n’est pas obligatoire). D’autres voudront en faire des tonnes, et c’est très bien aussi (le bon goût peut attendre). D’autres encore préféreront jouer à se faire peur en séduisant des inconnus, et franchement, pourquoi pas ? La situation actuelle est suffisamment compliquée : choisissez ce qui vous fait vous sentir bien… et si votre stratégie implique de jeter vos slips et rasoirs par la fenêtre, franchement, tant mieux.

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