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Jours tranquilles à Paris
29 avril 2020

Coronavirus, eau de javel et ultraviolets : Trump est en train “d’exploser en vol”

trump explose

THE NEW YORK TIMES (NEW YORK)

Le président américain, omniprésent dans la communication de la gestion de la crise sanitaire, multiplie les propos incohérents. Pour ce chroniqueur du New York Times, Trump est un homme “désorienté et de plus en plus désespéré”, et il est désormais inimaginable qu’il soit réélu en novembre 2020.

“Et il va être réélu.” Pas un jour ne passe sans qu’un ami – démocrate ou républicain – ne me le répète. Car tel est le refrain de cette longue lamentation que constitue la litanie des échecs de Donald Trump en temps de pandémie. C’est le sanglot de la reddition qui succède au hurlement d’incrédulité.

Des dizaines de milliers d’Américains vont mourir et que fait le président ? Il répand de fausses informations. Fait naître de faux espoirs, réécrit l’histoire et réinvente la science. Il déblatère sur son héroïsme supposé, gémit de son martyr autoproclamé et s’acharne sur quiconque aurait l’audace de remettre en question son infaillible jugement. En lieu et place d’un véritable chef, nous avons un démagogue. Au lieu d’empathie, nous n’avons droit qu’à de l’agitation. Et il va être réélu.

Ce refrain résonne comme un mécanisme de prévention intellectuelle. Une façon de nous préparer au pire.

Camisole de force

Le problème est qu’à force de le répéter, nous prenons ce mécanisme de défense pour une analyse raisonnée. Et nous commençons à croire que ce tic verbal est porteur d’une vérité inévitable.

C’est faux. Et si Donald Trump se dirige en effet peut-être vers un second mandat, il n’est pas non plus impossible qu’il soit tout bonnement en train d’exploser en vol.

Peut-être suffira-t-il d’un rayon de soleil et de températures printanières pour annihiler le coronavirus ? Et si on s’injectait du désinfectant en intraveineuse ? Voilà deux propositions avancées par le président américain jeudi 23 avril lors d’un point presse – auquel il aurait pu se présenter dans une camisole de force tellement il y a multiplié les propos incohérents dignes d’un homme abattu, désorienté et de plus en plus désespéré.

Le président se sent isolé, assiégé et panique à l’idée de perdre face à Joe Biden [à la présidentielle de] novembre. C’est dans cet état d’esprit qu’il a décrété la suspension de la délivrance des cartes vertes, le genre typique de basse manœuvre auquel il recourt lorsqu’il a l’impression de “perdre le contrôle”.

Trump lit les sondages aussi bien que nous tous, et ce que ces derniers montrent c’est que pendant qu’il passe ses soirées à la Maison-Blanche à s’envoyer des fleurs, les Américains sont loin d’en faire autant.

Pas si populaire

Le mois dernier, les médias nous ont rebattu les oreilles avec la légère hausse de popularité du président. Sauf que la véritable information concernait la modestie de cette amélioration : d’autres présidents ont vu leur popularité augmenter bien plus nettement en temps de crise, période où les Américains ont tendance à se rassembler autour de leur chef. Mais la personnalité de Trump ne suscite pas de ralliement, plutôt une charitable augmentation du bénéfice du doute.

Ce regain de popularité a d’ailleurs été de courte durée, le taux d’approbation du président retournant vite à des niveaux anémiques. Vendredi [24 avril], la moyenne des sondages indiquait que 52,5 % des Américains avaient une opinion négative de l’action présidentielle, contre seulement 43,4 % d’opinions positives.

Certes, les sondages n’étaient pas meilleurs pour Trump en 2016 – ils étaient même moins bons – et ça ne l’a pas empêché de conquérir la Maison-Blanche. Mais à l’époque cet écart pouvait en partie s’expliquer par ce qu’il représentait : un vote de contestation contre l’establishment. Aujourd’hui, Trump incarne l’establishment et les électeurs ont pu goûter à sa politique de disruption. Laquelle ressemble fort à de l’incompétence.

Trump s’inquiète également d’autres chiffres. Dans les trois États clés qui lui ont donné la victoire en 2016 au collège électoral, les sondages le placent actuellement derrière Biden – avec 6,7 points d’écart en Pennsylvanie, 5,5 points de retard dans le Michigan et 2,7 points dans le Wisconsin, rapporte le site RealClearPolitics. Ce site donne également 3,2 points d’avance à Biden en Floride, un État remporté par Trump en 2016 et où il doit impérativement s’imposer de nouveau.

Le Wisconsin devrait à lui seul donner des sueurs froides au président. En 2018, le gouverneur républicain a été remplacé par un démocrate, de même que le vice-gouverneur et le procureur général d’État. Le mois dernier, les électeurs ont également offert une large victoire à une juge progressiste succédant à un juge conservateur à la Cour suprême d’État. Pas moyen de faire passer ça pour une victoire de Trump.

Les sondages montrent qu’une grande majorité des Américains estiment que le président a réagi trop tard pour freiner la propagation du virus. Et la plupart des Américains ne partagent pas sa vision de ce qu’il est judicieux de faire à court terme.

Messages contradictoires

Les messages émis par Trump sont étourdissants tellement ils peuvent être contradictoires. Par exemple, il s’est dit favorable à un semblant de retour à la normale aux alentours du 1er mai et a réprimandé certains gouverneurs qui se seraient montrés trop zélés dans leur application du confinement. Mais selon un sondage de Yahoo News/YouGov, seuls 22 % des Américains soutiennent les manifestants qui exigent que leurs États mettent fin aux restrictions, alors qu’ils sont 60 % à les désapprouver. Le président Trump, lui, les a incités à continuer.

Suit-il son instinct, ou fait-il simplement n’importe quoi ? Je penche pour cette dernière hypothèse. Ces derniers temps, il n’a cessé de se contredire, plus souvent que jamais, et à un stade inédit, tout en sapant les arguments de son propre parti.

Pour éviter d’être rendus responsables de la réaction de Trump face à la pandémie, les républicains ont adopté une stratégie qui consiste à rejeter la faute sur la Chine et à la diaboliser. “Mais le plan du parti se heurte à un obstacle potentiel, le président en personne”, comme l’a rapporté le New York Times, en soulignant que Trump a “torpillé les efforts qui visent à accuser la Chine” car il cherche toujours à s’attirer les faveurs du président Xi Jinping.

Une attitude qui ne facilite clairement pas la tâche des républicains, lesquels tentent de dépeindre Biden comme étant à la botte des Chinois. Que peuvent-ils espérer avec le nouveau surnom qu’ils lui ont trouvé, “Beijing Biden”, si “Tian’anmen Trump” sonne plus juste ?

De plus, avec ses déclarations tout à fait optimistes sur la fin prochaine de nos malheurs actuels, Trump joue plus gros que jamais. S’il se trompe, il ne pourra pas le cacher. S’il ne fait pas assez preuve de prudence, des Américains le paieront de leur vie.

Son arme secrète : il n’a honte de rien

Alors, certes, c’est Trump. Il a toujours sur lui son arme secrète, sa spectaculaire absence de toute forme de honte, si bien qu’il aura recours à des ruses et des mensonges dont même les moins scrupuleux de ses adversaires n’oseraient faire usage. Il n’hésitera jamais à tout détruire du moment que c’est lui qui se retrouve au sommet du tas de ruines.

De plus, les lois habituelles de la nature ne s’appliquent pas à lui. Il a été enregistré alors qu’il se vantait d’agripper les femmes par l’entrejambe. Même pas mal. Il a obtenu presque trois millions de voix de moins qu’Hillary Clinton. Ça ne l’a pas empêché de gagner. S’il n’a pas vraiment été jugé coupable d’une collusion complexe avec les Russes, il a clairement affiché que le principe ne le dérangeait pas. Il a continué malgré tout, et il continue encore et encore, en dépit de son abus de pouvoir scandaleux dans ses relations avec l’Ukraine, en dépit de la procédure de destitution qu’il méritait plus qu’amplement.

C’est un Houdini, une Schéhérazade, incarnation de tous les rois de l’évasion de l’histoire et de la fiction concentrés en une personne surmontée d’un toupet or et orange. Il a une baraka qui dépasse l’entendement. Mais l’ennui, avec la chance, c’est qu’elle finit par s’épuiser.

On ne cesse de nous dire à quel point sa base le soutient avec ferveur, mais les nombreux Américains qu’il horrifie peuvent se montrer tout aussi engagés. À chaque Sean Hannity [présentateur ultra-conservateur de Fox News] sa Rachel Maddow [présentatrice progressiste de MSNBC] à chaque Kellyanne Conway [conseillère de Donald Trump] son George Conway [républicain et époux de Kellyanne Conway, qui pourfend le président américain dans les médias et sur les réseaux sociaux].

Kellyanne Conway et les gens de son acabit sont peut-être habiles dans leur défense du président. Mais George Conway et sa bande sont encore plus doués quand il s’agit de le vouer aux gémonies.

Les langues vont se délier

Et que dire de la diaspora des réfugiés qui ont fui l’équipe Trump. Des gens comme Rick Bright, le scientifique du gouvernement qui dit avoir été chassé [le 21 avril] de son poste aux commandes de la recherche sur un vaccin contre le coronavirus parce qu’il refusait de se faire l’écho des arguments absurdes de Trump ? Je prédis qu’à l’approche de l’échéance de novembre, de plus en plus de ces exilés vont prendre la parole, et partager des récits terribles sur la vie dans la galerie des glaces présidentielle.

Trump ripostera en dénonçant le “Deep State”, mais la formule ne fonctionnera plus aussi bien quand il se retrouvera entouré de la maigre cohorte de ses charlatans – et ce d’autant moins qu’il se montre d’une bêtise chaque jour un peu plus odieuse.

Ne venez pas me dire que ses points presse du soir ne sont qu’une nouvelle version de ses meetings dans les stades. Car ils ont pour arrière-plan des souffrances monstrueuses qui les rendent de plus en plus difficiles à supporter. Les Américains qui y trouvent un quelconque réconfort sont de toute façon ivres de Trump depuis longtemps.

Qui n’est pas épris de lui voit et entend le président pour ce qu’il est : un histrion imperméable à toute sensibilité, et pour qui tout est une scène, même une montagne de cadavres.

Frank Bruni

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