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Jours tranquilles à Paris
29 avril 2020

Déconfinement : l’exécutif nage entre deux os

Par Laure Equy et Laure Bretton — Libération

Tiraillé entre la crainte de voir l’économie sombrer et la peur d’une deuxième vague de l’épidémie, Edouard Philippe a présenté à des députés plus que divisés une stratégie nationale progressive à base de «en même temps», adoptée mardi soir à l’Assemblée.

Deux France. En présentant mardi la «stratégie nationale de déconfinement», Edouard Philippe a fait basculer le pays dans une nouvelle étape de la lutte contre le coronavirus. A partir de jeudi, le gouvernement présentera chaque soir une carte en rouge et vert, deux couleurs qui vont déterminer le rythme de retour à un semblant de normalité. En fonction du nombre de contaminations, de l’occupation des lits en réanimation et du déploiement des tests virologiques, les départements obtiendront le droit de rouvrir écoles, collèges, lycées, jardins ou structures publiques. L’enjeu ? Ne pas avoir à reconfiner après avoir déconfiné. D’où la prudence et la «progressivité» du plan soumis à l’Assemblée nationale et adopté mardi soir (par 368 voix contre 100). «Pour tous ceux qui, comme moi, croient au bon sens, il n’est pas inutile, et même nécessaire, de prendre en compte les différences» locales dans le déconfinement, explique le Premier ministre dans un hémicycle où ne siègent que 75 députés - quelques-uns portant des masques - et où l’on entend résonner les pas des huissiers sur le carrelage. Un appel au «bon sens» qui sonne comme un énième revirement au sommet : le déconfinement sera territorialisé et les déplacements encadrés, deux options pourtant écartées par l’Elysée jeudi.

En une heure, le Premier ministre manie plus le bâton que la carotte : «Je le dis aux Français, si les indicateurs ne sont pas au rendez-vous, nous ne déconfinerons pas le 11 mai.» Et ce déconfinement sera citoyen ou ne sera pas. L’épidémie de Covid-19 ne peut pas être enrayée «si la chaîne virale n’est pas remplacée par une chaîne de solidarité», souligne Philippe. «A partir du 11 mai, le succès ne reposera pas sur la seule autorité de l’Etat mais sur le civisme», un mot répété cinq fois dans un discours qui, vu la solennité du moment, a de faux airs de déclaration de politique générale.

Nuances de gris

Dans le plan gouvernemental, il n’y a donc plus d’unité de lieu ni de temps. Devant l’obligation de «vivre avec le virus», le 11 mai ne marquera pas le retour au grand air mais le début, tout en nuances de gris, d’une stratégie «progressive». Et l’ouverture d’une phase allant jusqu’au 2 juin, date à laquelle le gouvernement ajustera «les mesures à prendre dans la phase suivante», qui ira jusqu’à l’été. Rendez-vous fin mai pour savoir si les lycées (lire ci-contre), les cafés et restaurants peuvent rouvrir. Un desserrement du confinement davantage qu’un déconfinement.

«Etape nécessaire» pour préserver un maximum de vies, le confinement, s’il devait durer, «aurait des conséquences gravissimes» sur l’économie, insiste Philippe, qui pointe même le «risque de l’écroulement» : «Je n’emploie pas ce terme au hasard. On me reproche bien plus souvent la litote que l’exagération.» Tout autant à double tranchant, le déconfinement est «aussi attendu que risqué». Le voilà décrivant sa «ligne de crête», qui dit ce que doit être la longueur de ses nuits à Matignon au côté du délégué interministériel au déconfinement, Jean Castex : «Un peu trop d’insouciance et c’est l’épidémie qui repart. Un peu trop de prudence et c’est l’ensemble du pays qui s’enfonce.» Sonnant l’heure de la «reprise économique», le chef du gouvernement demande aux entreprises de maintenir le télétravail «partout où c’est possible». Après les élus locaux et les préfets mercredi, Philippe doit échanger jeudi avec les partenaires sociaux. But de la manœuvre : rien de moins que «réorganiser» la vie au travail. Son discours parle de reprise mais peu des salariés et ne fait qu’effleurer le dialogue social que certaines entreprises piétinent allégrement depuis la mi-mars.

Grommellements

A l’hémicycle qui l’écoute depuis une heure, le Premier ministre rappelle qu’il lui a réservé ses annonces, préférant l’Assemblée à une conférence de presse ou un JT. De quoi s’attirer les premiers applaudissements et grommellements des députés admis en séance. Côté face, il rend hommage à la «place éminente» du Parlement et à sa démocratie «vivante, exigeante, bruyante parfois, mais indispensable». Côté pile, il s’en prend aux «commentateurs» passés «du café du commerce à certains plateaux de télévision». «Les courbes d’audience y gagnent ce que la convivialité des bistrots y perd, mais cela ne grandit pas le débat public […]. Non. Les députés ne commentent pas. Ils votent», flatte et tacle Philippe. Vu le pataquès, le Premier ministre n’ignore pas que les membres de l’opposition et une partie de la majorité se sont rebiffés contre l’organisation chaotique de ce débat. Celui-ci les a rassurés sur un point : l’application de traçage numérique, si elle devait voir le jour, fera bien l’objet d’une discussion et d’un vote. Et le Parlement sera saisi la semaine prochaine d’un projet de loi prolongeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 23 juillet. Celui qui joue son va-tout politique avec le déconfinement termine le discours le plus compliqué de sa carrière en regardant dans le rétroviseur. Le moment lui rappelle sa déclaration de politique générale, en juillet 2017. Il avait alors vanté «l’antique qualité» des généraux romains : «La vertu, qui mêle la rectitude, l’honnêteté et le courage. J’étais loin d’imaginer combien cette qualité serait essentielle pour préparer notre avenir.» Un autoportrait tout en humilité.

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