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Jours tranquilles à Paris
30 avril 2020

Pontivy : au temps de Napoléon

pontivy

Texte de Pierre Bernard

Fourmillante et commerçante, Pontivy s’est endormie avec le confinement. Napoléon, père de cette cité impériale, n’en croit pas ses yeux…

Chers lecteurs, je vous écris des Récollets, une petite île au milieu de Napoléonville. Cette ville, j’en suis tombé amoureux en 1802 au point de lui donner mon nom en 1807, pour le meilleur et pour l’Empire ! Idéalement située au cœur de la Bretagne, je voulais en faire un centre militaire et une place forte du commerce.

Idée triomphante : celle que l’on appelle désormais Pontivy est devenue belle et moderne, fière et courtisée. Elle attire même les touristes du monde entier. Mais, depuis le 17 mars, comme toutes les autres, ma ville est aux abois. Ce virus, c’est ma Berezina !

Tristes, ces rues

Napoléonville, je la retrouve bien fanée malgré ce printemps naissant. Pour la bonne cause, ses artères sont presque toutes désertes : tous à la maison ou dans un Bonaparte ! Alors dehors, l’horizon est mort. Rue Nationale, où s’empresse d’habitude la grande armée des badauds, plus rien ne frémit. Rue du Fil, plus personne ne se découvre, même en avril. Les rues qui célèbrent mes victoires - Marengo, Iéna, Rivoli, Austerlitz - ont l’âme défaite et les quelques passants que je croise ont la bouille masquée. Rue de la Providence, j’en vois certains qui se protègent même au volant. Ce qui ne les empêche pas de téléphoner en conduisant. Appellent-ils en numéro masqué ?

Lointains, ces souvenirs

Un peu plus loin, place Anne-de-Bretagne, je vois un vieil homme fumer un havane. Ses souvenirs s’accrochent comme la cendre au bout de son cigare : il y a un an tout rond, de joyeux drilles dansaient ici même sur le bourdon des cornemuses et des chants bretons. Aujourd’hui, le soleil tape encore mais le silence est glacial. Faut dire que les commerçants ont baissé le rideau. Coup de Trafalgar commercial. Tout près, certains râlent car le bus passe moins souvent qu’avant. Ah, ces grognards ! Heureusement, à l’autre bout de la ville, il y a ce gamin, dans son jardin. Il a un sourire fou et couve le ciel d’un regard bienveillant : tant qu’il fait beau, tout va bien.

Lourd, ce silence

Sous ce soleil, je chevauche l’autre rive du Blavet pour rejoindre le canal de Nantes à Brest, dont j’ai moi-même ordonné la construction en 1804. Un chef-d’œuvre bien silencieux. Il y a évidemment ces joggeurs qui courent après un peu de liberté. Mais les pêcheurs ont disparu. Les poissons d’avril, ascendant mayonnaise, sont à la fête… Dans ce corridor bucolique, je poursuis ma marche de l’empereur et je croise un passant qui promène son chien. Ou plutôt l’inverse… Retour en ville, où je décide d’aller saluer mon aide de camp, le général Le Normand de Lourmel. Port de tête altier, baïonnette à la main, le statufié domine l’avenue Napoléon-Ier où, hélas, la farandole des écoliers n’est plus. Comme chantait le Grand Jacques : « Ce n’est pas Waterloo, ce n’est pas Arcole, mais c’est l’heure où l’on r’grette de manquer l’école ! ».

Provisoire, cet exil

Regard délavé où se reflète la mélancolie des jours heureux, le général est seul. À l’ordinaire, les jeunes amoureux se pressent à ses pieds pour tranquillement se bécoter. Mais avec le confinement, plus de bisous. Plus de jeunesse. Plus d’je t’aime. Au lycée impérial Joseph-Loth, le temps s’est arrêté. Le baccalauréat, que j’ai totalement réorganisé en 1808, n’y coupe pas… Soudainement, je me fais arrêter par la garde nationale, plus communément appelée la gendarmerie. Bien sûr, elle ne croit pas en mon histoire. Mais ils sont indulgents. Faut dire que le confinement, j’ai donné. Sainte-Hélène, je ne peux plus la voir en peinture ! Allez, je repars aux Récollets, bicorne sur la tête ! Sur cet îlot impérial, je me confine en attendant des jours meilleurs. Nous gagnerons forcément la bataille. Pontivy la belle, la commerçante, la fourmillante, redeviendra follement vivante. Il y a bel et bien des exils provisoires et des îles dont on revient ?

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