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Jours tranquilles à Paris
30 avril 2020

Les galeries d’art préparent l’après-11 mai

galerie art

Philippe Dagen

Vente en ligne, fin des vernissages, recul des foires… la pandémie contraint les galeristes à revoir leur modèle

ENQUÊTE

Les galeries d’art contemporain parisiennes ont fermé mi-mars. Les biennales et les foires ont disparu des calendriers. Passé la sidération, le monde du marché de l’art se voit contraint de s’interroger sur ses usages passés et sur l’« après » : après le 11 mai d’abord, après la crise sanitaire ensuite. Nous avons posé quelques-unes de ces questions à des galeristes qui ont en commun leur forte présence internationale, mais qui sont d’âges, de situations et de trajectoires variés : Kamel Mennour, Nathalie Obadia, Vincent Sator, Daniel Templon et Georges-Philippe Vallois. Leurs lieux sont exclusivement parisiens – Sator, Vallois – ou ils en ont créé ailleurs – Mennour à Londres, Obadia et Templon à Bruxelles.

Tous sont d’accord sur la nécessité d’une adaptation des règles. « Nous attendons les directives du gouvernement sur les conditions sanitaires : espacement des bureaux, port du masque, nombre de visiteurs dans les expositions, gel nettoyant à disposition », déclare Nathalie Obadia. Georges-Philippe Vallois prévoit déjà « une distanciation dans notre espace de travail, des masques, des solutions hydroalcooliques à l’entrée ».

Il faudra éviter qu’il y ait trop de visiteurs en même temps… mais les galeries d’art contemporain sont de toute façon rarement bondées. « A la différence des ventes publiques et des foires, ce sont des lieux où la fréquentation est par nature individualisée, ajoute-t-il. Il sera relativement simple de s’adresser à nos interlocuteurs en respectant une distance de sécurité. » Autre point d’accord : pas de vernissage de sitôt. « Il nous faudra réfléchir à d’autres façons de recevoir le public et favoriser les rendez-vous privés au détriment des ouvertures collectives et festives », constate Vincent Sator. L’avenir sera donc sobre.

« Parcours déraisonné »

Quand celui-ci commence-t-il ? Daniel Templon a déjà programmé deux ouvertures, Will Cotton à Bruxelles le 28 mai et Chiharu Shiota à Paris le 30 mai. Georges-Philippe Vallois préfère, lui, attendre un peu : « Nous pensons présenter notre première exposition post-confinement aux environs du 4 juillet, à l’occasion du week-end des galeries. Avant cela, nous donnerons un mois supplémentaire à nos expositions antérieures, interrompues à peine ouvertes. » Ce Gallery Weekend, qui depuis cinq ans organise des événements dans une quarantaine de galeries parisiennes, serait « un très bon signe pour marquer la reprise et pour inciter les collectionneurs français, plus nombreux qu’on ne le laisse penser, à venir nous revoir », insiste Nathalie Obadia, qui prévoit de faire durer ses premières expositions jusqu’au 31 juillet. « J’espère que la rentrée de septembre correspondra à une reprise plus classique de nos activités, indique Vincent Sator. Mais je pense que les précautions sanitaires resteront appliquées pour une période longue. Nous apprendrons simplement à vivre et à travailler avec… »

Les galeries sont une chose. Mais quid des foires et biennales ? « Dans les mois qui viennent, je doute fortement que les foires soient autorisées, avance Vincent Sator, et, si elles devaient l’être, que collectionneurs et visiteurs prennent le risque de s’y rendre. Les foires d’automne risquent de souffrir de cette situation. » Dont la FIAC, qui, pour l’heure, affirme qu’elle ouvrira le 22 octobre.

Mais, au-delà, la pandémie provoque une remise en cause plus générale du système. Kamel Mennour est sévère : « Ce n’est pas tellement la taille des foires et biennales, mais bel et bien leur nombre qui suscite chez moi des questions, depuis longtemps. Nous faisions partie d’un parcours déraisonné où chaque galerie de taille importante se devait d’investir toujours plus de territoires dans l’espoir de rallier plus de collectionneurs. Aujourd’hui, face à l’arrêt brutal de la moitié de la planète, force est de se dire que nous avions tout faux. »

Georges-Philippe Vallois compare même les foires à « des genres de championnats » : « Nous avons la première division, la deuxième, etc. L’emplacement et les dimensions de votre stand sont les signes de votre niveau tel qu’il est évalué par le directeur de la foire. Cela pose évidemment un problème car, malheureusement, un grand nombre de galeries sont souvent, de fait, jugées sans avoir été visitées. » Vincent Sator y ajoute l’argument écologique, espérant « que la multiplicité des déplacements sera plus limitée et que les différents acteurs du marché opéreront des choix plus restreints ».

Aspirer à un rééquilibrage

Le seul à n’avouer aucune lassitude est Daniel Templon, qui tient ces événements pour absolument nécessaires : « Les relations nouées et les conversations engagées pendant ce type d’événements sont le terreau des ventes futures. Les foires créent une dynamique de festival et cet aspect festif, mondain et éphémère, est devenu un catalyseur essentiel. Nos collectionneurs aiment visiter les foires et y faire des découvertes. » Aussi distingue-t-il entre deux fonctionnements : « Nous avons en quelque sorte une “galerie nomade” avec des rendez-vous aux quatre coins du monde – les foires – et une galerie physique, mère, à Paris et à Bruxelles avec une programmation plus “culturelle”, des expositions de fond. »

Sur cette distinction, ses confrères sont d’accord. Mais ils aspirent à un rééquilibrage. « Les foires doivent être perçues comme des outils complémentaires au travail quotidien des galeries, relativise Vincent Sator. Un certain équilibre doit être restauré entre ce qu’elles apportent aux galeries et les contraintes lourdes qu’elles représentent, notamment financièrement. » Nathalie Obadia estime que, justement, « il faut profiter de cette période de jachère des foires pour remettre la galerie au centre de la scène artistique. Pendant un an, si ce n’est plus, les galeries feront moins de foires internationales et les collectionneurs voyageront moins. Donc elles seront plus visitées. Elles redeviendront lieux de rencontre et de promotion ».

Remettre Paris au premier plan

Pour concilier intimité de la galerie et dynamique de foire, Vallois s’appuierait volontiers sur le modèle de Parcours des mondes, salon en accès libre autour des arts d’Afrique, d’Asie et d’Océanie, à Saint-Germain-des-Prés : « Il me semble envisageable de créer un événement international à l’échelon européen pour la création contemporaine. Outre un retour dans les galeries, objectif majeur, ce rassemblement serait l’occasion de réunir dans un espace à peine supérieur à une foire un ensemble de galeries françaises et étrangères. » Et de remettre Paris au premier plan. Car il faut saisir l’occasion, affirme Nathalie Obadia : « Paris a tous les atouts pour devenir la ville du réveil artistique dès juin avec le maillage très complet des galeries qui vont de la plus internationale et puissante à la plus expérimentale du 20e ou de Romainville. Il faut profiter de cette situation, ce ne sera pas le cas avant quelques mois à Londres ou à New York, et Berlin est moins attractif que Paris. »

Pour les contacts, il reste de toute façon le Web. Et donc l’hypothèse d’un marché de l’art de plus en plus en ligne. « La pandémie a accéléré un phénomène déjà présent, note Kamel Mennour. Les transactions en ligne ne vont pas remplacer les ventes en personne mais elles vont certainement devenir de plus en plus significatives. » L’hypothèse d’un déplacement des ventes sur Internet déplaît à Georges-Philippe Vallois : « Une galerie est un lieu d’échange où se mêlent contenu, contenant et valeur commerciale. C’est ce qui nous différencie des maisons de vente, dont le rôle, majeur par ailleurs, est d’accoler une valeur à un bien, et des musées et autres manifestations institutionnelles, qui apportent une consécration et une visibilité à l’artiste. Si les sites et les transactions en ligne prenaient le pas sur nos espaces, alors cela pourrait signifier que les galeries sont devenues inutiles. »

Daniel Templon, rassurant, se fonde sur son expérience : « Nous avons un site privé pour nos clients et une online viewing room. Ces canaux se sont révélés très efficaces pour diffuser les images, en discuter, mais ils ne se substituent pas à la confrontation physique avec l’œuvre d’art. A partir d’un certain prix, il faut quand même voir ce que l’on achète. C’est une règle élémentaire. »

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