Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
6 mai 2020

Chronique - « Le département est devenu le point nodal du déconfinement, le territoire sur lequel il réussira ou échouera »

Par Françoise Fressoz

Dans sa chronique, Françoise Fressoz, éditorialiste au « Monde », relève que, pour tenter de réussir le déconfinement, Emmanuel Macron mise sur le département et s’appuie sur les préfets, des héritages de la Révolution française.

Un univers que l’on croyait à jamais englouti a ressuscité, jeudi 30 avril, lorsque Olivier Véran, ministre de la santé, a présenté devant les écrans de télévision les cartes indiquant, département par département, l’intensité de l’épidémie de Covid-19. Bariolée de rouge, de vert et d’orange, mais dépourvue de nom, cette cartographie a déclenché un réflexe quasi pavlovien chez ceux qui, dans leur enfance, avaient eu devant les yeux la carte n° 4 de Vidal-Lablache, celle que le maître accrochait au tableau avant de faire réciter aux écoliers la longue litanie des départements. 01 Ain, 02 Aisne…

Saurions-nous encore les nommer tous ? Hélas non, car tout ce dont on se servait alors pour les mémoriser – comme ces plaques d’immatriculation bien visibles qui défilaient pendant les longs trajets en voiture – a eu tendance à devenir moins utile. Les départements n’étaient-ils pas voués à disparaître, pris en étau entre les régions conquérantes et les intercommunalités créées à marche forcée ?

Ces dernières années, on les avait surtout entendus geindre, à cause du poids croissant des dépenses sociales qu’une décentralisation pas toujours bien pensée les avait forcés à endosser. Le dernier projet de décentralisation, sous la présidence de François Hollande, devait les rayer de la carte. Ils ont finalement survécu au point de devenir dans les prochains jours – si tout se passe comme prévu – le point nodal du déconfinement, le territoire sur lequel réussira ou échouera l’un des exercices les plus délicats qu’ait à mener le pays.

Baroin « le Girondin », Macron « le Jacobin »

A ce stade, un premier hommage doit être rendu à la Révolution française, car c’est elle qui, le 26 février 1790, décida de créer 83 départements, en lieu et place de la trentaine de généralités qui, sous l’Ancien Régime, servaient à administrer le pays par l’entremise d’intendants impopulaires, agents zélés de l’absolutisme royal. Les départements avaient été découpés de façon à ce que tout administré puisse se rendre au chef-lieu en une journée maximum. Le concept était génial.

Il semble que depuis rien n’ait été inventé de mieux pour garantir au déconfinement sa meilleure assise territoriale et y expérimenter une différenciation toute en pointillé. Les régions étaient bien trop grandes pour pouvoir tenir ce rôle, et les villes bien trop hétérogènes pour y prétendre toutes. La revendication de l’Association des maires de France était que les villes-préfectures, chefs-lieux de département, deviennent les centres logistiques du déconfinement, en lien avec les préfets. « Une bataille de cette nature contre l’épidémie se gagne au dernier kilomètre en matière de logistique et se gagne au coin de la rue dans la relation de confiance avec les citoyens », argue son président, François Baroin, dans une interview au Figaro daté du 30 avril.

Malgré les relations compliquées qu’il entretient avec le pouvoir central depuis le début du quinquennat, Baroin « le Girondin » a été facilement entendu par Macron « le Jacobin », car le département est aussi le périmètre d’exercice du préfet. Or, le préfet est le bras armé de l’Etat et c’est lui qui sera le véritable artisan d’un déconfinement qui se veut non pas décentralisé mais déconcentré. Et là, un second hommage mérite d’être rendu, cette fois à Bonaparte, car c’est lui qui, après le coup d’Etat du 18 brumaire, créa le corps préfectoral en donnant pour consigne aux fidèles qu’il nommait à cette fonction : « Ne soyez jamais les hommes de la Révolution mais les hommes du gouvernement… et faites que la France date son bonheur de l’établissement des préfectures. » Couverts d’honneurs, les préfets de Napoléon devinrent, de fait, les agents de l’absolutisme impérial, tout en contribuant à forger une solide administration territoriale.

La mise à l’épreuve du couple préfet-maire

Que, trois siècles plus tard, le pouvoir central en revienne aux sources post-révolutionnaires de l’organisation territoriale française en dit long sur l’inventivité de l’époque ou… la faiblesse d’aujourd’hui. Entre-temps, la carte française a été maintes fois redessinée, chaque échelon du mille-feuille – commune, intercommunalité, département, région – a revendiqué sa part de pouvoir sans que jamais l’Etat ne lâche complètement la bride. Nommée à l’article 1 de la Constitution « République… dont l’organisation est décentralisée », la France est devenue un échafaudage complexe dans lequel l’un ne peut pas faire sans l’autre, mais où l’art de la défausse est largement partagé. C’est pourquoi rien ne dit que le retour en grâce de la ville-préfecture sera le gage absolu de l’efficacité. Il sera plutôt la mise à l’épreuve du couple préfet-maire.

Depuis l’apparition de l’épidémie, l’Etat a accumulé les déboires au niveau national. Le manque de stocks l’a laissé désarmé, et le peu d’agilité dont il a fait preuve à tous les stades de la riposte – masques, tests – a donné le sentiment qu’il avait systématiquement un train de retard. Il va devoir à présent faire ses preuves au niveau local, alors que les effectifs dans les préfectures et les sous-préfectures ont été fortement réduits ces dernières années, sans que les missions aient été clairement redéfinies. Une gageure.

La ville, de son côté, est en première ligne pour gérer la rentrée scolaire, car c’est elle qui a la responsabilité des écoles. Le sujet représente l’un des aspects les plus sensibles du déconfinement. Elle veut bien s’y atteler, mais à condition que tous les parapluies soient ouverts, autrement dit que la responsabilité des maires ne soit pas engagée, si cela tournait mal. La crainte des élus n’est pas feinte. Elle met en lumière ce qui, depuis le début de l’épidémie, pèse sur l’action publique : la judiciarisation de la vie politique est devenue un frein très puissant à la prise de risque.

Publicité
Commentaires
Publicité