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Jours tranquilles à Paris
7 mai 2020

Le couple Macron - Philippe à l’épreuve de la crise due au coronavirus

duo duel

Par Olivier Faye, Alexandre Lemarié

A l’approche du déconfinement, des divergences de fond apparaissent entre le président de la République et le premier ministre.

De ses jeunes années au Conseil d’Etat, maison où l’« on écrit le droit », selon lui, Edouard Philippe dit avoir appris une chose : « la rigueur dans l’expression » et la capacité « à ne pas employer un mot pour un autre ». C’est en tout cas ce qu’il raconte dans son livre – largement autobiographique – Des hommes qui lisent (JC Lattès), paru en 2017.

Quand le premier ministre prévient, devant l’Assemblée nationale, le 28 avril, que le confinement peut conduire à l’« écroulement » de l’économie française, il mesure donc a priori la portée de ce mot. « Je n’emploie pas ce terme au hasard, a insisté M. Philippe. On me reproche bien plus souvent la litote que l’exagération. »

C’est pourtant ce trait qu’a dénoncé chez lui Emmanuel Macron. « Je n’ai pas ces grands mots », a souligné le chef de l’Etat, mardi 5 mai, depuis une école de Poissy (Yvelines), où il répondait aux questions de TF1 et de France 2. Face au « choc massif économique », lui préfère célébrer cette « nation forte » qu’est la France, comme pour rassurer ses concitoyens à quelques jours de l’échéance du déconfinement, le 11 mai.

Les histoires de mots ont souvent scandé la chronique des désaccords entre président de la République et premier ministre sous la Ve République : Georges Pompidou avait avalé de travers la « nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas, et Nicolas Sarkozy le commentaire de François Fillon se disant « à la tête d’un Etat en faillite ».

Après des divergences de vue, fin 2018, sur la réponse à apporter aux « gilets jaunes », puis sur la réforme des retraites, fin 2019, l’épisode opposant aujourd’hui Emmanuel Macron et Edouard Philippe témoigne d’une différence d’approche quant à la deuxième phase de la lutte contre l’épidémie de Covid-19. Ces grincements dans la mécanique Elysée-Matignon interviennent à un moment très sensible, alors que le premier ministre devait présenter la mécanique précise du déconfinement, jeudi 7 mai, lors d’une conférence de presse.

« Le fusible »

Mardi, le chef de l’Etat voulait éveiller chez les Français une « part d’espoir, de sourire, de soleil », tout en les invitant à « continuer à être vigilants » face à l’épidémie causée par le SARS-CoV-2. Le déconfinement, le 11 mai, et le retour à l’école, c’est lui qui les a souhaités, provoquant un torrent de complications et de craintes. Charge pour son gouvernement en général et son premier ministre en particulier de le maîtriser. « Philippe est placé en première ligne, c’est le fusible », analyse un élu proche du président.

« PAR SES PRISES DE POSITION POUR LE MOINS ÉVOLUTIVES, [LE PRÉSIDENT] VOUS AFFAIBLIT À CHACUNE DE SES INTERVENTIONS », A RAILLÉ CHRISTIAN JACOB, MARDI, EN S’ADRESSANT À EDOUARD PHILIPPE

Le discours du chef du gouvernement à la tribune du Sénat, lundi, pour présenter le plan de déconfinement, s’est révélé être un exercice de style bien différent. Visage fermé, s’appuyant à l’occasion du coude sur son pupitre, Edouard Philippe a répété à quatre reprises « le moment est critique ». Il avait à peine fini de parler qu’Emmanuel Macron s’exprimait depuis l’Elysée pour demander que le déconfinement soit abordé avec « calme, pragmatisme et bonne volonté ». « Le président de la République ne vous aide pas, a raillé Christian Jacob, président du parti Les Républicains, mardi, en s’adressant à Edouard Philippe lors des questions au gouvernement. Au contraire, par ses prises de position pour le moins évolutives, il vous affaiblit à chacune de ses interventions. »

Depuis plusieurs semaines, la pression élyséenne ne se relâche pas sur Matignon. Le 19 avril, M. Philippe annonçait devant l’Assemblée nationale que la stratégie du déconfinement serait dévoilée « d’ici à quinze jours » ; quatre jours plus tard, M. Macron bouleversait le programme en révélant lui-même devant les élus locaux les éléments-clés de ce futur plan, dont une reprise de l’école sur la base du volontariat. Ce qui pourrait apparaître comme de simples difficultés de forme révèle des divergences de fond.

« Le gouvernement a ces derniers temps des difficultés à rester fidèle à la parole du président », estime un député La République en marche (LRM). Emmanuel Macron se montre favorable à l’idée de donner vingt-quatre heures de plus à l’opposition pour voter le plan de déconfinement à l’Assemblée nationale ? Matignon refuse. Le chef de l’Etat écarte l’hypothèse d’un déconfinement régionalisé ? Le coordonnateur national de l’opération, Jean Castex, choisi par Edouard Philippe et placé sous son autorité, travaille malgré tout à ce scénario, obligeant l’Elysée à rappeler la ligne officielle. Emmanuel Macron envisage de reporter le premier tour des élections municipales ? L’ancien maire du Havre (Seine-Maritime) fait tout pour l’en dissuader. « Macron était à 70 % pour un report et à 30 % pour un maintien. Pour Philippe, c’était l’inverse », explique un familier de l’Elysée.

Dimanche soir, enfin, le palais a fait savoir que les mesures de quatorzaine pour les voyageurs arrivant de l’étranger ne sauraient concerner les personnes venant de pays issus de l’Union européenne ou de l’espace Schengen, contredisant le discours tenu par le gouvernement la veille.

« Coup de poker raté »

L’imbroglio autour de la date du vote à l’Assemblée nationale du plan de déconfinement a été la démonstration de cette montée de température entre les deux têtes de l’exécutif. En particulier lorsque L’Express et Le Point ont révélé l’existence d’échanges téléphoniques entre le chef de l’Etat et des journalistes pour faire connaître sa divergence avec Matignon – ce que son entourage dément aujourd’hui.

« Pour la première fois, l’Elysée a assumé de mettre en scène leur différend. C’est nouveau, car depuis le début du quinquennat, même dans les périodes où il y a pu y avoir de la tension entre le président et son premier ministre, il n’y a jamais eu de son de cloche différent avec Matignon. Là, si », note un macroniste historique.

Certains proches d’Emmanuel Macron se répandent d’ailleurs en « off » et boules puantes contre ceux d’Edouard Philippe. « D’habitude, quand il y a des différences d’appréciation entre eux, ils les règlent à deux, en privé, et offrent un visage uni devant les responsables de la majorité. Ils connaissent bien le guide de survie du couple exécutif sous la Ve République : afficher des divergences les affaiblit l’un et l’autre, raconte un élu au cœur du pouvoir. Mais le président est un banquier d’affaires, il est joueur et il tente parfois des coups de poker. Cette fois, c’était un coup de poker raté ; il a affaibli son premier ministre et s’est affaibli lui-même. »

Outre la gravité et le caractère imprévisible de la crise en cours, ce regain de tension témoigne d’une différence de temporalités personnelles entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe : l’un vise sa réélection en 2022, quand l’autre chercherait à sécuriser son futur à court et à moyen terme. « Macron et Philippe n’arrêtent pas de se désavouer l’un l’autre, même si c’est fait d’une façon habillée. L’un sent qu’il faut commencer le déconfinement, il essaye de faire de la politique, l’autre se dit qu’il va porter le chapeau des morts », souligne un ancien conseiller de l’Elysée durant un quinquennat précédent.

Ceint de son immunité présidentielle, Emmanuel Macron a en effet moins à craindre des multiples procédures judiciaires qui menacent l’exécutif sur sa gestion de crise. « La première vague de mises en cause a été dure pour Edouard [Philippe], il l’a vécue comme une injustice, rapporte un ministre qui le connaît bien. Il a ça derrière le crâne, mais il s’en est délié désormais. Il est passé à autre chose. »

Siège éjectable

Selon plusieurs sources, les interrogations sur l’avenir d’Edouard Philippe à Matignon suscitent par ailleurs une intense lutte d’influences en coulisses entre les partisans du statu quo et les tenants de la table rase. « Comme personne ne sait si le premier ministre va le rester, cela conduit à des conjectures et libère la parole des entourages, qui veulent pousser leurs options », explique une source au sein de l’exécutif.

Dans la majorité, alors que l’aile droite plaide pour le maintien de l’ex-juppéiste à son poste, en vantant « sa solidité et sa loyauté », l’aile gauche milite pour une fin de quinquennat teintée de social et d’écologie, sous l’égide du ministre des affaires étrangères et ex-socialiste Jean-Yves Le Drian. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, qui semble se préparer dans cette optique, ainsi que le président du MoDem, François Bayrou, et celui de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, font aussi partie de la short list qui circule en Macronie.

Edouard Philippe a beau avoir confié à son conseiller spécial, Jérôme Bonnafont, la tâche de compiler des réflexions sur l’après-crise, le sujet ne l’accapare guère. D’après ses fidèles, le premier ministre aurait conscience d’être placé sur un siège éjectable.

« Edouard [Philippe] a beaucoup donné… Même physiquement, cela se voit, observe un proche. Il a toujours eu en tête qu’il pouvait se faire virer du jour au lendemain, d’autant qu’il ne devait en théorie pas devenir premier ministre. Déjà, après les retraites, il ne s’attendait pas à rester. Il estimait avoir fait le job après les “gilets jaunes” et cette réforme. »

« IL FAUT SEULEMENT VOIR SI [EDOUARD PHILIPPE] PEUT INCARNER LE CHANGEMENT… », S’INTERROGE UN MINISTRE QUI A SES ENTRÉES À L’ELYSÉE

Pourra-t-il aider à redessiner le monde d’« après » que promet Emmanuel Macron ? Certains, au sein même du gouvernement, en doutent. « Le premier ministre montre de la maîtrise et de la solidité dans l’épreuve », estime un ministre qui a ses entrées à l’Elysée, avant de s’interroger tout haut : « Il faut seulement voir s’il peut incarner le changement… »

La motivation du principal intéressé ne serait pas acquise, estiment certains macronistes. « Est-ce qu’Edouard Philippe peut incarner le “réinventer” du président de la République ? Le sujet ne se pose pas tant au président qu’au premier ministre lui-même, juge un interlocuteur régulier d’Emmanuel Macron. La question première, c’est : veut-il rester ? »

Amoureux de la Rome antique, l’ancien maire du Havre a rappelé, en conclusion de son discours au Sénat, la citation parfois attribuée à Galien, médecin de Marc-Aurèle, qui prescrit ce remède aux temps de peste : « Cito, longe, tarde. » « Pars, vite, loin et longtemps. » « Aujourd’hui, il n’est question pour personne de fuir », a assuré Edouard Philippe. Reste à savoir qui aura le dernier mot.

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