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Jours tranquilles à Paris
9 mai 2020

Déconfinement : à quoi ressemblera le métro parisien le 11 mai ?

bus covid19

Par Aude Lasjaunias

La RATP se prépare à passer de 30 % actuellement à 75 % de service. Mais garantir une faible densité, et le port obligatoire du masque, semble très compliqué.

Les usagers de la RATP connaissent bien ce lapin rose. Vêtu d’un T-shirt jaune, il a la fâcheuse habitude de se pincer les doigts dans les portes du métro et de trébucher sur les escalators. Depuis quelques jours, « Serge le lapin » – c’est son nom – n’est plus le seul sticker à promouvoir des messages de prévention dans les rames et stations franciliennes.

Il a été rejoint par près d’un million d’autocollants apposés en urgence pour dispenser les mesures de précaution à respecter pendant la pandémie de Covid-19. Le style est plus sobre : « Pour notre santé à tous, portons un masque », « Evitons les heures de pointe, si nous le pouvons », « Pour notre santé à tous, gardons nos distances »… La RATP a joint la parole au geste : dans les couloirs du sous-sol parisien, des annonces sonores égrainent le b.a.-ba des mesures barrières à observer face à la crise sanitaire.

Tout doit être prêt pour le lundi 11 mai, date de la levée progressive des mesures de confinement dans le pays, qui marquera aussi la reprise d’une partie des transports en commun dans les grandes agglomérations. Une reprise du trafic assortie d’une double injonction gouvernementale pour les voyageurs : le port du masque et le respect des mesures de distanciation sociale.

Un voyageur par mètre carré

J – 5, mercredi 6 mai, station La Fourche à Paris. Ce n’est pas la foule des jours d’avant la pandémie. Il est 7 h 45 et la ligne 13, qui traverse la capitale du nord au sud, l’une des plus engorgées d’Europe, n’accueille que quelques grappes de voyageurs. Malgré l’affluence restreinte, les règles sanitaires peinent à être appliquées : les usagers, qui ne portent pas tous de protection faciale, s’agglutinent les uns à côté des autres sur les sièges jaunes arrondis installés sur le quai, malgré les autocollants invitant à laisser libre un siège sur deux.

La RATP a fait de La Fourche la « station témoin » de son dispositif de signalétique censé favoriser la distanciation sociale et le respect des gestes barrières. Des autocollants rappelant l’obligation du port du masque aux marquages au sol devant les guichets et sur les quais, en passant par les panneaux accrochés au-dessus des poubelles pour inviter les usagers à y jeter leurs masques, gants et mouchoirs, le lieu préfigure ce à quoi ressembleront, à partir du 11 mai, les principales stations du réseau.

Le défi est titanesque : limiter la densité à un voyageur au mètre carré, quand la densité moyenne en période normale est de quatre personnes au mètre carré et peut monter au-delà de huit en heure de pointe.

Trois rangées de lignes discontinues peintes au sol suscitent la curiosité et une certaine circonspection. « Chaque trait marque l’emplacement des passagers ? Ou bien il s’agit de couloirs pour faciliter les passages ? », s’interroge Cédric Larrieu, qui transite tous les jours par La Fourche pour se rendre dans un hôpital du 17e arrondissement où il travaille. « On ne comprend pas bien », glisse le trentenaire – non équipé de masque – dans un sourire. Les voyageurs semblent opter pour la deuxième solution : presque tous se tiennent derrière la ligne la plus éloignée des rames. A tort. Le message n’est pas passé. Il est alors 13 h 45 et la station s’est étrangement remplie.

« Avec le confinement et la réduction du trafic, les heures de pointe ne sont plus vraiment les mêmes, explique le jeune homme. Il y a moins de trains, alors pour être sûr de ne pas trop attendre leur correspondance, les gens partent plus tôt. Et puis, il y a de plus en plus de passagers depuis quelques jours. » Sortant son téléphone portable de la poche de son jean, il monte une photo prise le matin même, à 6 heures, gare Saint-Lazare. Là encore, pas la foule des grands jours, mais déjà un flot d’usagers en attente de leur métro à moins d’un mètre les uns des autres.

Actuellement, seul 30 % du réseau francilien est opérationnel et la fréquentation sur les lignes est de l’ordre de 4 %, soit 500 000 voyages quotidiens contre 12 millions habituellement, selon les chiffres communiqués fin avril par la PDG de la RATP, Catherine Guillouard. A compter du 11 mai, la régie table sur une reprise progressive de son trafic de l’ordre de 75 %, ce qui correspond théoriquement à 8 millions de voyages quotidiens potentiels : mais seuls un peu moins de 2 millions seront réalisables en respectant la distanciation sociale.

L’OFFRE DU RÉSEAU, ELLE, RESTERA DANS UN PREMIER TEMPS LIMITÉE PAR DES CONTRAINTES TECHNIQUES ET HUMAINES

Sur la ligne 13, comme dans certains bus et trams de Seine-Saint-Denis, la direction de la RATP a décidé, avant même la levée du confinement, d’augmenter les liaisons disponibles face à l’afflux d’usagers, détaillait Mme Guillouard le 24 avril sur France Inter. « On parle d’usagers qui n’ont pas le choix : ils doivent se rendre à leur travail, explique au Monde Thierry Babec, le secrétaire général de l’UNSA-RATP (majoritaire). Dans des situations comme celle-ci, on ne va pas se mentir, la distanciation sociale est un vœu pieux. »

Et si la reprise de nombreuses activités économiques s’accompagnera mécaniquement d’une hausse de la fréquentation des transports, l’offre du réseau, elle, restera dans un premier temps limitée par des contraintes techniques et humaines : la remise en service des rames, interrompues depuis plusieurs semaines, prend du temps et les personnels doivent eux aussi composer avec les aléas inhérents à la crise sanitaire (arrêts de travail et garde d’enfants).

Malgré une alerte des opérateurs de transports, le gouvernement est catégorique : la séparation d’un mètre entre chaque passager est une obligation. Compte tenu de ces règles, la « capacité d’emport » va être restreinte à environ 15 % de la normale (moins de 2 millions de voyages quotidiens), en a conclu Catherine Guillouard, le 6 mai, lors d’une audition au Sénat. Mais « la grande inconnue du 11 mai, c’est les flux entrants dans nos réseaux ». Combien de Franciliens reprendront le RER, le métro, le tram ou le bus, parmi les 96 % qui les ont désertés depuis le début du confinement ?

Masques et gel hydroalcoolique

Tout l’enjeu est donc de limiter drastiquement la fréquentation pour prévenir les files d’attente sans fin devant les stations et la cohue à l’intérieur de celles-ci. Une charte visant à lisser les heures de pointe dans les transports et à maintenir au maximum le télétravail dans les entreprises a été signée mercredi pour la réduire en amont. La RATP, elle, tente d’optimiser la gestion sur place à l’aide de sa signalétique.

Elle va en outre installer d’ici à la fin juin un millier de distributeurs de gel hydroalcoolique dans ses stations. « On essaiera de fournir des masques en appoint la première semaine », a ajouté Mme Guillouard. Les voyageurs auront ensuite la possibilité de s’en procurer dans les distributeurs de boissons et friandises.

« On dirait qu’il y a eu l’apocalypse »

Mais « on ne peut pas évidemment s’engager sur le respect permanent et en tout point des distances de sécurité vu la taille du réseau », a-t-elle insisté. Des stations ou des lignes pourraient ainsi être fermées en cas de difficultés. Quant aux contrôles, la PDG a d’ores et déjà alerté sur le manque d’effectifs en interne, excluant la présence de personnel dans chaque wagon. Pour Thierry Babec de l’UNSA-RATP, « l’entreprise a mis en œuvre tout ce qui était dans ses capacités pour que les choses se passent le mieux possible ».

Bien sûr, la question des flux ne se posera pas partout, ni tout le temps. Mais le réseau compte plusieurs grands pôles d’échanges parmi les plus fréquentés d’Europe. C’est le cas de la gare de Lyon, où un test a été mené en début de semaine pour répartir les voyageurs sur les quais et dans les voitures du métro afin d’assurer le respect des distances sociales.

Ce 6 mai, à l’heure du déjeuner, le lieu a l’air à l’abandon. Sur le quai de la ligne 14, Léa Breton, étudiante de 21 ans, s’étonne de voir l’enceinte déserte : « On dirait qu’il y a eu l’apocalypse », dit-elle en plaisantant, ses yeux bleus brillant au-dessus de son masque en tissu. A en croire la jeune femme, en transit vers la Normandie, les consignes sanitaires étaient plus claires dans le train qui l’a menée de Marseille à la capitale.

« On aurait pu mettre en place un dispositif comme en Italie et sensibiliser les usagers dès le début du confinement », regrette Arnaud Moinet, secrétaire du syndicat La Base-RATP. Et ce dernier de citer l’exemple de Milan, où des emplacements prédéfinis indiquent notamment aux voyageurs où se tenir dans les wagons. A ce jour, dans les rames parisiennes, seuls quelques autocollants apposés à côté de « Serge le lapin » alertent sur les gestes barrières.

La réussite de la reprise « dépendra aussi du comportement des citoyens », a plaidé Catherine Guillouard devant les sénateurs. L’autodiscipline des usagers, une des variables majeures sur lesquelles la RATP est contrainte de miser à l’aube du jour J. « On aimerait bien avoir une mesure magique, mais honnêtement, je n’en vois aucune, juge Thierry Babec. De toute façon, on n’a pas le choix. »

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