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Jours tranquilles à Paris
15 mai 2020

Le transfert du quotidien « Libération » à une fondation suscite des réserves

Par Sandrine Cassini - Le Monde

Altice Médias, le groupe du milliardaire Patrick Drahi, a annoncé que le journal, dont il est propriétaire depuis 2014, allait être placé dans un « Fonds de dotation pour une presse indépendante ».

A l’heure où tous les journaux rêvent d’indépendance capitalistique, difficile de critiquer l’annonce faite par Altice Médias. Le groupe du milliardaire Patrick Drahi a annoncé, jeudi 14 mai, que Libération, dont il est propriétaire depuis 2014, allait être placé dans un « Fonds de dotation pour une presse indépendante ». Le quotidien créé par Jean-Paul Sartre et Serge July en 1973 sortira du giron d’Altice. Il ne dépendra plus d’un industriel, ne pourra plus être cédé et appartiendra à une structure à but non lucratif. « Moralement, éthiquement et journalistiquement, c’est un progrès », se félicite Laurent Joffrin, directeur de la publication, qui va rejoindre le conseil d’administration du fonds.

Altice France, qui possède SFR, BFM-TV et RMC, assure qu’il « dotera substantiellement » la structure, et continuera à éponger les pertes du quotidien « tant que cela sera nécessaire », promet M. Joffrin. En 2018, le journal perdait encore 8,9 millions d’euros. De son côté, M. Drahi « continuera d’accompagner Libération », indique un courriel adressé aux salariés.

Cette annonce soudaine a créé un sentiment contrasté au sein du journal. « L’équipe de Libération salue le projet, [mais] regrette que cette décision, d’une importance fondamentale dans l’histoire et pour l’avenir de Libération, ait été annoncée de façon inattendue et non concertée », se sont émus les salariés dans un communiqué.

M. Drahi a-t-il l’indépendance de la presse chevillée au corps ou sort-il à bon compte d’un quotidien encore fragile, malgré une hausse de ses ventes en 2019 et alors que la crise du Covid-19 frappe durement la presse ? « S’il avait voulu s’en sortir facilement, il aurait pu tout vendre », rétorque M. Joffrin. « On a eu des propositions d’achat régulières depuis deux ans », assure-t-on au niveau interne.

Demande de « garanties juridiques, financières et sociales »

Mais quel prix aurait pu tirer le magnat des télécoms d’un journal fortement endetté ? Sûrement pas grand-chose. En revanche, le montage financier lié à cette fondation pourrait lui permettre de bénéficier d’un avantage fiscal important.

En effet, Altice Médias ne cède pas pour un euro symbolique Libération à la fondation, mais le vend pour un « montant équivalent à la dotation faite au fonds », explique-t-on au sein du titre. Le montant du don atteindra au moins de quoi éponger la dette de Libération, comprise entre 45 et 50 millions d’euros, résultat de plusieurs années de déficit cumulés. Or ce don pourra bénéficier d’une réduction d’impôt de 60 %. Altice France pourrait ainsi récupérer une partie des sommes investies.

Dans l’entourage de la direction, on fait valoir que la sortie de Libération d’Altice est la suite logique des désengagements successifs dans la presse. Le dernier titre cédé était L’Express, repris puis relancé par Alain Weill, par ailleurs PDG d’Altice Europe. L’expérience qu’a connue l’hebdomadaire n’est pas pour rassurer les journalistes. « On suit le même chemin. Il va y avoir une clause de cession pour réduire les coûts et on va déménager. On disparaît complètement des yeux d’Altice, alors qu’on était là et qu’on ne gênait personne », s’inquiète l’un d’eux. Le quotidien, installé dans le 15e arrondissement de Paris, avec SFR, BFM ou RMC, devrait regagner le cœur de la capitale d’ici à la fin de 2020. Au sein du quotidien, on justifie ce déménagement en expliquant que Libération supportait des coûts de structure trop élevés par rapport à sa taille.

Comment s’assurer que M. Drahi, tenu aujourd’hui de payer les factures du journal, restera bien au chevet de Libération ? « Il m’a toujours dit qu’il avait un faible pour Libération, et qu’il avait promis de l’aider. Depuis, il a tenu parole. Et le laisser tomber ne serait pas bon pour son image », affirme M. Joffrin.

Les salariés, eux, demandent « des garanties juridiques, financières et sociales, notamment en matière de dotation et d’effectifs », et souhaitent être associés à la gouvernance. « Des discussions vont s’ouvrir », promet-on à la direction. Seule certitude, Patrick Drahi vient d’amorcer un plan de réorganisation chez Altice Médias (BFM-TV, RMC…), faisant craindre de nouvelles coupes dans les effectifs.

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