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Jours tranquilles à Paris
16 mai 2020

Entretien - Cédric Villani : « Arrêter la politique ? Pas question, au contraire ! »

cedric

Par Denis Cosnard - Le Monde

Malgré son mauvais score aux municipales, le macroniste dissident veut plus que jamais influer sur l’action publique. Il prépare la création d’un think tank et tire déjà les premières leçons de la crise.

Après deux mois de confinement et de réflexion, Cédric Villani sort du silence. Malgré son mauvais score au premier tour des municipales à Paris, le dissident de La République en marche (LRM) ne compte pas arrêter la politique. L’ex-star des mathématiques n’exclut pas de remplacer Agnès Buzyn comme tête de liste si les élections sont repoussées et il prépare la création d’un think tank pour prolonger son action au-delà des municipales.

Vous vouliez devenir maire de Paris, mais vos listes n’ont obtenu que 7,9 % au premier tour des municipales, et vous risquez de n’avoir aucun élu. Après deux mois de confinement, où en êtes-vous ?

Je suis tenace. L’engagement politique se construit dans la durée. Le mien est d’installer mes idées, mes convictions dans le débat et l’action publique. Certaines sont difficiles à imposer, comme l’agrandissement de Paris. Mais je compte le faire, encore et encore.

Pas question d’arrêter la politique ?

Au contraire ! Au-delà de mon mandat de député, il est essentiel pour moi que les décisions politiques soient mieux éclairées par la science. Dans ce cadre, je discute avec ceux qui m’ont accompagné ces derniers mois de l’opportunité de créer un think tank autour de l’adaptation de nos politiques publiques à l’écologie et aux nécessaires évolutions démocratiques et européennes.

Avec le recul, quel bilan tirez-vous du premier tour des municipales ?

Le vote a été très légitimiste. Les arrondissements dits de droite ont voté à droite. Ceux dits de gauche, à gauche. La maire sortante en sort objectivement très renforcée.

Et vous, affaibli… C’est le premier grand échec de votre vie ?

[Rires] De cette campagne, je garde surtout en tête le remarquable collectif regroupé en quelques mois autour de ma démarche, la mobilisation, la construction d’un programme insistant sur le long terme, les sciences, l’écologie, la démocratie, l’indépendance. Sur ce plan, cette campagne a été une grande réussite.

Vous êtes dans le déni, non ?

Il n’y avait pas la place pour une démarche nouvelle dans cette élection. Sans parti et en se lançant de manière autonome à moins d’un an du scrutin, il n’y a pas de quoi rougir du résultat. Certains moments auraient pu être plus efficaces, bien sûr. Mais il faut attendre le second tour pour dresser le bilan.

Quand souhaitez-vous qu’il ait lieu ?

Durant les semaines et les mois qui viennent, on doit se concentrer sur la relance, l’après-Covid et la gestion de ce virus qui bouleverse nos habitudes. On vit une crise d’une ampleur jamais vue depuis la seconde guerre mondiale, cela mérite qu’on y consacre le temps nécessaire. Le maintien du premier tour fut une erreur politique, ne prenons pas le risque de la répéter. Si le second tour devait se tenir en juin, je crains que nos concitoyens ne le comprennent pas, alors que nombre de lycées, de restaurants, de cinémas sont encore dans une grande incertitude. Regroupons plutôt cette élection avec les scrutins locaux de mars 2021.

Si Agnès Buzyn est écartée ou renonce à mener la campagne de La République en marche à Paris, pourriez-vous la remplacer, et fusionner vos listes ?

Le premier élément est de savoir si Agnès Buzyn reste dans la course. Il y a eu des signaux contradictoires de sa part, il me semble nécessaire qu’elle clarifie sa position. Je m’exprimerai une fois le calendrier électoral fixé.

A l’Assemblée, quelques dizaines d’élus appartenant à l’aile gauche de la majorité prévoient de créer un groupe séparé. Vous en serez ?

Des discussions ont lieu au Parlement sur la meilleure façon de défendre l’écologie et la solidarité… Faut-il un groupe supplémentaire ? Possible, tant ces problématiques doivent être centrales et mieux représentées dans les deux ans qui viennent. Mais rien n’est décidé. L’urgence est de sortir au mieux de l’épidémie.

En tant que scientifique immergé en politique, quel regard portez-vous sur la crise ?

Les enseignements sont à la fois positifs et négatifs. Positifs, parce qu’on s’est mis à parler énormément de science, et que les scientifiques ont dans le monde entier travaillé sur cette épidémie à un rythme jamais connu. Enfin, nous venons de vivre une petite révolution digitale avec cette expérimentation du télétravail de masse.

Et les leçons négatives ?

C’est que ce travail n’est jamais assez rapide pour la société. L’impatience domine, et amène les controverses dont on a l’habitude entre scientifiques à se développer d’emblée dans l’espace public. Cela crée de la confusion. Par exemple, les enfants sont-ils contagieux ? On a d’abord dit que oui, comme pour la grippe. Puis non. Puis on s’est inquiété de leur charge virale et du syndrome de Kawasaki… Puis les pédiatres ont réaffirmé ce qu’ils observent, à savoir que les enfants sont peu contagieux. Au final, c’est cette réalité de terrain qui s’impose. Mais il est difficile pour le grand public de se forger une opinion ! Et la pression publique gêne la recherche.

Les politiques ont-ils assez tenu compte des avis scientifiques ?

Durant cette crise, on a vu l’exécutif s’entourer de beaucoup de scientifiques, mais avec parfois un peu de flottement. Le président de la République, par exemple, est épaulé par deux conseils scientifiques créés pour l’occasion, mais l’organe qui statutairement doit conseiller l’exécutif, le conseil stratégique de la recherche, n’a pas été sollicité.

Emmanuel Macron n’a pas toujours suivi les recommandations des scientifiques, par exemple en rouvrant les écoles contre leur avis…

Il est tout à fait légitime que le dernier mot revienne au politique, sous réserve qu’il justifie sa décision. Globalement, malgré quelques hésitations, l’exécutif s’est bien débrouillé. Le ministre de la santé, Olivier Véran, a fait un excellent travail. J’ai voté le plan de déconfinement sans états d’âme. On peut envisager la suite avec optimisme, alors même que la France et le monde se sont pris une claque. Début mars, on pensait que notre système était meilleur que celui de l’Italie, et qu’on pourrait couper au confinement. En fait, nous nous sommes retrouvés confinés, comme cela se faisait au Moyen Age. Quant à la réserve d’environ un milliard de masques, constituée à la suite d’un rapport impeccable de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, elle avait disparu… Il faudra analyser les causes de ces dysfonctionnements pour éviter de nouveaux désagréments, peu acceptables par l’opinion.

Et la maire de Paris, Anne Hidalgo, a-t-elle fait ce qu’il fallait ou a-t-elle été « aux abonnés absents », comme l’affirme la droite ?

Il y a eu quelques loupés, sur les masques par exemple, mais le travail dans l’ensemble a été satisfaisant. Les campagnes de dépistage dans les Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] ont été menées comme il le fallait, et une étude essentielle sur la séroprévalence dans l’agglomération parisienne a été lancée.

Le recours aux algorithmes pour stopper l’épidémie est-il une bonne solution ?

Quand tout doit être fait pour permettre à notre précieux système de santé de tenir le choc, oui, le traçage algorithmique peut être utile, malgré les risques qu’il comporte. Mais le débat autour de l’application StopCovid a aussi mis en lumière notre faiblesse en matière numérique. Google et Apple proposent des produits clés en main, et la France en est réduite à leur demander de bien vouloir suivre ses recommandations. La France et la Grande-Bretagne sont les seuls pays au monde à s’obstiner à vouloir développer une solution en propre, avec des raisons solides. L’Europe ne peut pas rester désarmée, il en va de notre souveraineté.

Pensez-vous, comme Nicolas Hulot, que « le Covid-19 met à nu les affres de la mondialisation » ?

Que les choses soient claires : cette crise n’est pas causée par le dérèglement environnemental. Des pandémies, il y en a eu dans le passé, il y en aura d’autres. En revanche, la déforestation, le non-respect de l’hygiène alimentaire, la pollution peuvent rendre ces zoonoses plus fréquentes, les aggraver. L’essor des transports internationaux en accélère la transmission. La question écologique va surtout se poser de façon aiguë pour la reprise de l’activité. Profitons de cette relance unique pour orienter notre société sous le signe de l’écologie, de la sobriété énergétique, de la souveraineté, de la solidarité… La menace la plus pesante pour l’humanité reste écologique : c’est le dérèglement du climat et l’éradication de la biodiversité, à un rythme jamais vu depuis 65 millions d’années.

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