Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
17 mai 2020

Témoignages : « Je pense qu’il faudrait arrêter d’infantiliser les Français »

Témoignages : « Je pense qu’il faudrait arrêter d’infantiliser les Français » : trois maires racontent leur première semaine de déconfinement

Par Simon Auffret - Le Monde

Préoccupés par une difficile reprise économique ou des retards dans les livraisons de masques, trois élus locaux témoignent, pour « Le Monde », de leurs difficultés pratiques à appliquer les protocoles sanitaires.

Comment gérer l’urgence du retour à la normale ? Après huit semaines d’une vie suspendue dans les rues des centres-villes et des bourgs, les élus locaux ont dû faire face, lundi 11 mai, aux questions parfois pressantes de leurs concitoyens : que faire face à la fermeture potentielle de nombreux commerces ? Où sont les masques promis par l’Etat et les collectivités ?

En zone rurale ou dans une sous-préfecture, dans un département classé « vert » ou « rouge », dans l’attente d’une réélection ou appelés dès le 15 mars à débuter un nouveau mandat, trois maires racontent pour la seconde fois au Monde leurs difficultés pratiques à appliquer dans leur commune les protocoles sanitaires pour lutter contre la propagation du nouveau coronavirus.

Marie-Hélène Thoraval, maire de Romans-sur-Isère (Drôme)

« S’il fallait une preuve que nous étions les piliers de la République, je pense qu’on a pu le constater »

« J’ai distribué à tous les habitants les masques que nous avions commandés. Dans la ville, on a choisi de le faire pendant les trois derniers jours du confinement. Plus de 25 000 Romanais se sont déplacés et j’ai pu constater que tout le monde respectait les gestes barrières. C’était déjà un entraînement à la phase de déconfinement, qui allait intervenir le lundi.

LE MONDE

Je vous ai parlé des gens de l’ombre et notamment des agents de la fonction publique territoriale, dont on a très peu parlé. A Romans-sur-Isère, tous les agents ont travaillé avec plaisir et fierté le vendredi 8 mai, le samedi et le dimanche. On a eu moult remerciements des habitants par rapport à ce contact qui avait été opéré, notamment parce que certains Romanais n’avaient pas vu grand monde depuis plusieurs semaines.

S’il fallait une preuve que nous étions les piliers de la République, je pense qu’on a pu le constater sur ces trois jours. Cette distribution était vraiment une sorte de caractérisation de notre capacité à les protéger et à leur donner les moyens de protection, tout en leur rappelant qu’ils ne doivent pas attendre tout de la collectivité et qu’ils peuvent aussi s’équiper à titre personnel. J’en ai retenu une phrase : “Heureusement que vous êtes là.”

Le montant de notre dépense pour gérer cette crise sanitaire n’est pas encore fixé, mais au regard de ce que je n’ai pas dépensé, par exemple sur les travaux reportés d’aménagement urbain, j’oserais dire que nous sommes à l’équilibre. Pour autant, je ne m’en sors que parce que j’ai été largement aidé par la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a fait une dotation d’un masque par habitant. Pour moi, c’est un peu plus de 33 000 masques, donc ça n’est pas rien. La région intervient aussi sur l’accompagnement économique, notamment au travers de prêts et en remboursant, pour chaque commerçant qui en fait la demande, des barrières de plexiglas pour se protéger. Vous voyez, c’est encore un échelon solidaire.

Maintenant, il me tarde qu’on puisse rouvrir de la même manière les restaurants et les bars, qu’on leur fasse un peu confiance. Ils sont tout à fait capables de mettre en place des protocoles sanitaires, comme l’ont fait les coiffeurs, comme l’ont fait les magasins de vêtements. Je peux vous assurer que les restaurateurs n’ont pas envie d’être à l’origine de la relance d’une quelconque épidémie. Je suis convaincu qu’ils sauront mettre en place les éléments de prévention et de sécurisation de leurs espaces. Jusque-là, tout se passe bien, les gens se sont responsabilisés. Je pense qu’il faudrait, au niveau national, arrêter d’infantiliser les Français. »

Jérémie Brigand, maire de Massingy (Côte-d’Or) et président de la communauté de commune du Pays châtillonnais

« Entre la théorie des technocrates parisiens et la réalité du terrain, il y a clairement un fossé »

« En Côte-d’Or, l’école n’a repris qu’à partir du jeudi 14 mai. Dès le lundi, il y a eu beaucoup de rencontres entre les maires et les enseignants pour mettre en place les protocoles de rentrée. En tant qu’intercommunalité, notre problème principal a été la gestion de la restauration scolaire. Habituellement, c’est le conseil départemental qui nous fournit à partir des cuisines des collèges, dont il a la charge. Mais comme les collégiens n’ont pas repris, nous n’avions pas les moyens de nourrir les enfants. J’ai dû trouver une entreprise privée pour cuisiner et livrer les repas.

LE MONDE

Cela a été un vrai casse-tête, rendu complexe par les exigences du protocole sanitaire : chez nous, des élèves de plusieurs établissements déjeunent dans les mêmes locaux, mais désormais, on doit faire en sorte qu’ils ne se croisent pas pour éviter toute contamination. Il a fallu réquisitionner une salle, occupée pour le périscolaire, pour faire manger les enfants de l’autre école. Notre “chance”, c’est que deux maires de la communauté de communes ont décidé de ne pas ouvrir leurs écoles, et on a pu redéployer le personnel pour assurer la distribution des repas. Sans cela, il nous aurait été humainement impossible de repartir.

Les 47 000 masques que nous avions commandés ne sont pas arrivés. On sent quand même qu’il y a d’un côté les habitants des villes et de l’autre les habitants des champs. Chez nous, mis à part quelques communes qui avaient anticipé bien en amont et d’autres qui se sont lancées dans la fabrication des masques alternatifs, tout le monde attend les livraisons. Les masques promis la semaine dernière par le conseil régional n’arriveront que dans quelques jours et seulement 20 % de la commande dans un premier temps.

Pour avoir essayé d’en commander moi-même, je ne leur reproche pas, mais qu’est-ce qu’on va dire aux petites communes qui attendent quarante ou cinquante masques ? “Tiens, en voilà une dizaine” ? Entre la théorie des technocrates parisiens et la réalité du terrain, il y a clairement un fossé. Nous allons donc faire preuve de pragmatisme et de bon sens, pour qu’aucun enfant ne prenne de risques et que les habitants soient protégés. »

Christine Le Strat, maire de Pontivy (Morbihan)

« Nous incitons les clients à faire preuve de patriotisme sanitaire en privilégiant les commerçants locaux »

« Le 11 mai a été une journée surprenante, parce qu’après presque huit semaines d’une ville morte, j’ai retrouvé cette circulation, ce mouvement, les véhicules nombreux, la difficulté de nouveau à se croiser dans certaines rues. Dans l’ensemble, les Pontiviens ont fait preuve de prudence quand même. La plupart sont équipés de masques, mais les masques, c’est la grande question du jour : nous n’avons pas reçu les 20 000 masques que nous souhaitions mettre à disposition, alors certains ne comprennent pas qu’on ne les ait pas.

LE MONDE

Du coup, nous avons distribué dans toutes les boîtes aux lettres une communication pour expliquer les difficultés rencontrées dans la commande et la livraison du matériel. Nous ne sommes pas les seuls, il y a pas mal de retard de livraison, mais les gens voient comme un devoir de la mairie de fournir un masque. Cela vient aussi des communications à haut niveau ; on a indiqué qu’il y aurait des masques dans les mairies, mais on n’a rien eu de l’Etat : en fin de compte, c’est nous qui avons commandé nos masques. On pensait les avoir plus tôt pour nos publics prioritaires, mais seulement 5 % sont bien arrivés. On est obligé d’attendre, et pour certains, il y a de l’incompréhension.

Après la crise sanitaire, nous nous attendons à une crise économique importante. Pontivy est réputée depuis toujours comme étant une ville commerçante : même Napoléon le disait quand il a choisi d’agrandir notre cité [Pontivy s’est appelée Napoléonville entre 1804 et 1814, à la suite d’importants investissements réalisés dans la commune par Napoléon 1er]. On a travaillé pour voir comment inciter les gens à revenir dans leurs commerces avec l’opération de communication : “J’achète pontivyen.” Nous incitons les clients à faire preuve de patriotisme sanitaire en privilégiant les commerçants locaux.

Avec la communauté de commune, qui a la compétence du développement économique, on a aussi mis en place un système de bons de commande, à utiliser jusqu’au 31 décembre mais à payer dès maintenant, pour permettre à nos commerces de dégager de la trésorerie. On a voulu apporter un plus au fonds de soutien du gouvernement, mais se greffer sur la dotation de 1 500 euros s’est révélé techniquement complexe. Donc, finalement, on a créé cette aide nous-mêmes. Dans les 25 communes de Pontivy communauté, toutes les entreprises qui ont pu percevoir le fonds de soutien de l’Etat auront le droit à un abondement supplémentaire, que nous verserons dans la limite de 1 000 euros. »

Publicité
Commentaires
Publicité