Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
19 mai 2020

A l’OMS, Xi Jinping veut prendre le leadership sur la santé du monde

Par Frédéric Lemaître, Pékin, correspondant - Le Monde

Le président chinois propose la création d’un « hub humanitaire », dans le cadre des Nations unies, pour assurer les chaînes d’approvisionnement dans la lutte contre la pandémie.

Profitant du retrait américain des institutions multilatérales, le président chinois Xi Jinping s’est présenté comme le meilleur garant de la santé publique dans le monde, lundi 18 mai lors de la séance virtuelle d’ouverture de la 73e Assemblée mondiale de la santé. Un véritable tour de force alors que le Covid-19, apparu en Chine fin 2019, continue de paralyser la planète. Impérial, assis devant une fresque représentant la Grande Muraille de Chine, Xi Jinping a d’abord répondu implicitement aux critiques, émises notamment par les Américains, en affirmant que la Chine, « dans un esprit ouvert, transparent et responsable, a communiqué sans tarder les informations liées à la maladie à l’OMS et aux pays concernés ».

Alors que, ces derniers jours, l’Australie a réussi à convaincre de nombreux pays à lancer une enquête sur le Covid-19 – une initiative qui lui vaut d’être sanctionnée économiquement par Pékin – Xi Jinping a fait une concession de taille, en « soutenant une évaluation globale de la réponse internationale après que la maladie aura été jugulée dans le monde ». Mais celle-ci doit « être pilotée par l’OMS » et se faire dans « le principe de l’objectivité et de l’impartialité ». L’enquête devra donc aller bien au-delà d’une recherche de l’origine du virus, comme le réclament les Etats-Unis. De plus, pour Pékin, comme pour l’OMS, cette enquête est prématurée. « Endiguer la maladie » reste l’urgence du moment.

Placé depuis plusieurs semaines sur le banc des accusés par les Etats-Unis, le président chinois s’est au contraire offert le luxe de critiquer Washington. Contrairement à Donald Trump qui a annoncé en avril la suspension de la contribution financière américaine à l’Organisation mondiale de la santé, Xi Jinping a accordé un plein soutien à celle-ci et à son directeur général, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus. « Soutenir l’OMS, c’est soutenir la coopération internationale et sauver des vies », a résumé Xi Jinping. Celui-ci a appelé la communauté internationale à, au contraire, « accroître son soutien politique et financier à l’OMS ». Une demande reprise ensuite par de nombreux pays.

Pas la moindre critique contre Pékin

Le 4 mai, la Chine était apparue plutôt en retrait lors de la conférence internationale lancée par la Commission européenne pour la recherche d’un vaccin et de traitement contre la pandémie. Manifestement, Xi Jinping n’entendait pas laisser à son ambassadeur à Bruxelles le soin d’annoncer la stratégie chinoise. Le président a annoncé lundi que le futur vaccin chinois serait « un bien public mondial ». Il a également annoncé accorder « d’ici deux ans une aide de 2 milliards de dollars pour soutenir les pays touchés, notamment les pays en développement ».

Alors que les pays occidentaux découvrent qu’ils dépendent de la Chine pour la fabrication de médicaments et de masques, Xi Jinping a annoncé la création « en collaboration avec les Nations unies » d’un « dépôt et d’un hub humanitaire global pour assurer les chaînes d’approvisionnement en matériel destiné à la lutte contre les épidémies et mettra en œuvre des corridors verts de transport et de dédouanement ».

Clairement, la Chine entend – dans le cadre des Nations unies, affirme Xi Jinping – jouer un rôle encore plus important, voire prendre le leadership de la politique sanitaire mondiale. Un sentiment encore renforcé à l’issue de cette séance inaugurale extraordinaire puisque tenue par visioconférence par le fait qu’aucun des six autres chefs d’Etat et de gouvernement invités à s’exprimer (Suisse, France, Corée du Sud, Allemagne, Barbade et Afrique du Sud) n’a émis la moindre critique en direction de Pékin. Le représentant des Etats-Unis qui s’est exprimé plus tard a paru bien isolé.

La Chine peut être d’autant plus satisfaite de ce début d’assemblée que, juste avant l’ouverture de celle-ci, Taïwan a annoncé accepter que le débat sur sa participation à l’OMS « soit remis à plus tard afin que les discussions puissent se concentrer sur la lutte contre le Covid-19 ». Un échec pour Washington, son principal soutien. Avec le lancement d’une enquête sur l’origine du virus, ce sujet était le point le plus délicat pour Pékin.

Soulagement pour Pékin

Pour la Chine, cette île de 23 millions d’habitants n’est qu’une « province chinoise ». Les pays occidentaux n’y ont d’ailleurs pas d’ambassadeur mais un « représentant ». Lorsque l’île était présidée par le KMT (de 2008 à 2016), un parti plutôt favorable à un rapprochement avec la Chine, Pékin avait accepté en 2009 que Taïwan jouisse du statut d’observateur à l’OMS. Mais depuis l’élection en 2016 d’une présidente issue du DPP, un parti pro-indépendantiste, la Chine rejette désormais une telle participation.

Problème : Taïwan a, de l’avis général, remarquablement bien géré cette crise. Malgré sa proximité géographique avec la Chine continentale, l’île est parvenue, sans confinement, à n’avoir que sept décès. Soutenu par les Etats-Unis, Taïwan a su utiliser la crise à son profit, mettant en place, comme Pékin, une « diplomatie des masques » mais sans déployer une propagande qui, in fine, s’est révélée en partie contre-productive pour le régime communiste.

La presse taïwanaise n’a pas manqué de relever, le 13 mai, que les masques désormais portés par certains dirigeants américains, notamment Jared Kushner, gendre et conseiller de Donald Trump, portaient discrètement l’inscription « made in Taïwan ». Selon Taïwan, vingt-neuf pays, dont les Etats-Unis, l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande, souhaitaient que l’île puisse à nouveau bénéficier du statut d’observateur. Plus d’une centaine de parlementaires européens ont signé une lettre allant dans le même sens. Un réel succès pour Taîwan qui n’est plus reconnu que par dix-sept petits pays, dont le principal est le Vatican.

Mais les dirigeants taïwanais, sans doute conscients que le rapport de forces restait malgré tout en leur défaveur, ont accepté « la suggestion de leurs alliés diplomatiques » de repousser cette question à une date ultérieure, « plus tard dans l’année ». Une victoire pour la Chine même si Pékin n’a pu que constater que Taïwan avait acquis ces derniers mois une nouvelle légitimité internationale.

Trump menace de suspendre indéfiniment la contribution américaine à l’OMS. « Si l’OMS ne s’engage pas à des améliorations notables dans un délai de 30 jours, je vais transformer la suspension temporaire du financement envers l’OMS en une mesure permanente et reconsidérer notre qualité de membre au sein de l’organisation », a tweeté lundi le président américain, en publiant des photos d’une lettre adressée au patron de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus. Dans la lettre, le président américain énumère des exemples de ce qu’il considère comme des erreurs de l’OMS dans sa gestion de la pandémie, notamment en ignorant les premiers rapports sur l’émergence du virus et en étant trop proche et indulgente avec la Chine. « Il est clair que les faux pas répétés de votre part et de votre organisation pour répondre à la pandémie ont coûté extrêmement cher au monde. La seule voie à suivre pour l’Organisation mondiale de la santé est de pouvoir prouver son indépendance vis-à-vis de la Chine », ajoute-t-il dans sa lettre.

Publicité
Commentaires
Publicité