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Jours tranquilles à Paris
22 mai 2020

Au Venezuela, le régime de Nicolas Maduro sort renforcé de l’opération « Gedeon »

Par Marie Delcas, Bogota, correspondante régionale - Le Monde

Désigné comme son instigateur, l’opposant Juan Guaido est fragilisé par la tentative ratée de débarquement de mercenaires américains du 3 mai.

Huit morts, une soixantaine d’arrestations et une opposition plus divisée que jamais : le bilan de la rocambolesque incursion mercenaire sur les plages du Venezuela du 3 mai est lourd pour les ennemis du président Nicolas Maduro. « Non seulement l’opération “Gedeon” n’a pas renversé Maduro, se désole un député d’opposition. Mais elle l’a renforcé. »

Juan Guaido, dont le rôle dans l’affaire reste confus, s’en trouve fragilisé. Le jeune député est reconnu comme « président légitime » du pays par Washington, Paris et plus de cinquante pays. Mais la coalition d’opposition qui, il y a seize mois, le propulsait sur le devant de la scène politique, s’inquiète : les démocrates critiquent le manque de transparence de sa gestion, les partisans d’une solution musclée lui reprochent son inefficacité.

« L’opération “Gedeon” a donné raison au chavisme qui, depuis toujours, accuse l’opposition d’être putschiste et antidémocratique », considère l’universitaire colombien Ronal Rodriguez. Le gouvernement chaviste a mobilisé son appareil médiatique pour faire de l’opération « Gedeon » une nouvelle version du débarquement raté de la baie des Cochons – une tentative d’invasion de Cuba en 1961 par des exilés cubains soutenus par les Etats-Unis – et se poser en victime de l’impérialisme américain.

Menée alors que l’épidémie due au Covid-19 et le manque d’essence aggravent encore la situation d’un pays déjà brisé par des années de récession, l’opération « Gedeon » n’a pas fait distraction. « Pas plus que Maduro, Guaido n’a de solution à apporter à la crise sanitaire, qui est le grand problème du moment », souligne Ronal Rodriguez. Les partisans de Juan Guaido rappellent que celui-ci, à la différence de Nicolas Maduro (qui, le 12 mai, a prolongé pour un mois le confinement) ne gouverne pas. Mais Juan Guaido arbore le titre de « président », et les Vénézuéliens exigent des résultats. « Pour l’immense majorité des Vénézuéliens, le seul problème est de survivre au quotidien, résume la politologue Colette Capriles. La classe politique dans son ensemble est discréditée. »

L’opération « Gedeon » était-elle aussi délirante qu’elle en a eu l’air ? Ou les informations sur sa portée véritable sont-elles incomplètes ? Le 3 mai, une poignée de militaires déserteurs et de mercenaires américains débarquent à Macuto, à une heure de route de Caracas. Ils sont neutralisés par l’armée. Le lendemain, un deuxième commando est intercepté à Chuao, plus à l’ouest. Caracas dénonce un « coup d’Etat maritime » et accuse Juan Guaido, Donald Trump et le président colombien, Ivan Duque, d’en être les instigateurs.

Une certitude : l’opération « Gedeon » était complètement infiltrée par les très efficaces services secrets vénézuéliens, formés à l’école cubaine. « Nous savions que l’opération allait avoir lieu, mais nous ne savions ni quand ni où », a confirmé le ministre de l’information, Jorge Rodriguez, au micro de la radio colombienne W Radio, en critiquant l’inaction du gouvernement colombien, qui, prévenu de l’existence des camps d’entraînement sur son territoire, n’a pas réagi.

Bogota sur le banc des accusés

Le Centre démocratique, parti de l’ex-président colombien Alvaro Uribe et de l’actuel chef de l’Etat, entretient des liens étroits avec l’opposition vénézuélienne la plus radicale. « Bogota, qui, depuis des années, critique la tolérance du Venezuela envers les mouvements de guérilla qui passent la frontière, se retrouve maintenant sur le banc des accusés pour avoir permis que des Vénézueliens s’entraînent sur son territoire », souligne le politologue Ronal Rodriguez.

Juan Guaido a nié tout contact avec l’ancien militaire américain Jordan Goudreau, qui a revendiqué l’organisation de l’opération « Gedeon ». Mais les explications tardives du président par intérim, qui a dénoncé « un montage » du gouvernement, n’ont pas complètement convaincu. Deux de ses conseillers ont démissionné après avoir admis la négociation d’un contrat pour 212 millions de dollars (194 millions d’euros) avec Silvercorp, la société de conseil en sécurité montée par M. Goudreau. Ils affirment que le contrat n’a pas eu de suite et que M. Guaido n’a jamais donné son feu vert à l’opération « Gedeon ». Mais la signature du « président par intérim » apposée sur le contrat fait problème.

« SI JE VOULAIS ALLER AU VENEZUELA (…), JE N’ENVERRAIS PAS UN PETIT GROUPE. NON, NON. CE SERAIT UNE ARMÉE ET CELA S’APPELLERAIT UNE INVASION », DONALD TRUMP

Donald Trump a lui aussi voulu se démarquer de l’opération « Gedeon ». « Si je voulais aller au Venezuela, a-t-il déclaré à l’occasion d’un entretien à Fox News, je ne le ferais pas en secret. Je n’enverrais pas un petit groupe. Non, non. Ce serait une armée et cela s’appellerait une invasion. »

Nicolas Maduro a des raisons de craindre une opération militaire. La justice américaine, qui l’accuse de narcoterrorisme, offre 15 millions de dollars pour son arrestation. Et Donald Trump a annoncé, en pleine pandémie, le déploiement d’une opération navale antidrogue dans la mer des Caraïbes.

« Cette fois, Juan Guaido ne va pas s’en sortir, a déclaré Cilia Flores, l’épouse du président. Il est pleinement prouvé qu’il était aux commandes de cette invasion et qu’il aurait été nommé commandant en chef président si tout avait fonctionné comme prévu. » Pour sa part, Nicolas Maduro a affirmé que Juan Guaido aurait rencontré Goudreau le 4 février, dans les locaux de la Maison Blanche, pour monter l’opération. Le parquet a ouvert une nouvelle enquête contre le leader d’opposition, mais il n’a pas été arrêté. Le pouvoir hésite à franchir la ligne rouge.

Ce n’est pas la première fois que l’opposition vénézuélienne table sur un soulèvement de l’armée qui ne se produit pas. Le 23 février 2019, les camions d’aide humanitaire promis par Juan Guaido étaient bloqués à la frontière par la garde nationale, restée fidèle à Nicolas Maduro. Un millier de militaires désertaient alors. Le 30 avril suivant, un appel à l’insurrection formulé par Juan Guaido tournait court.

« L’opération “Gedeon” a été menée alors que, depuis le départ du conseiller présidentiel John Bolton, les diplomates américains semblaient privilégier une issue négociée à la crise vénézuélienne, s’étonne Colette Capriles. C’est en tout cas le discours que tient Elliott Abrams [l’envoyé spécial américain pour le Venezuela au sein du département d’Etat], désormais chargé du dossier. Il rejoint la position des pays latino-américains et européens. » Pour Ronal Rodriguez, « le chavisme ne reconnaîtra jamais Juan Guaido comme un interlocuteur valable ». A Caracas, d’aucuns spéculent sur un retour en force de l’opposant Henrique Capriles, qui, en 2012, avait perdu de peu les élections contre Nicolas Maduro.

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