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Jours tranquilles à Paris
23 mai 2020

Pour mater Hongkong, Pékin fait sa loi

Par Zhifan Liu, Correspondant à Pékin — Libération

Sous couvert de vouloir garantir la sécurité de la région semi-autonome, le régime a présenté vendredi un texte qui lui permettra de poursuivre dissidents et mouvements pro-démocratie, qui manifestent depuis un an pour dénoncer la mainmise du pouvoir chinois.

La patience de Pékin a atteint ses limites. Vendredi, lors de l’inauguration de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire (ANP), le pouvoir chinois a présenté une loi relative à la sécurité nationale à Hongkong, représentant le plus grand tour de force de Pékin sur l’ancienne colonie britannique. Dans le détail, cette loi interdit tout acte de «subversion, de sédition, de terrorisme et d’ingérence par des forces étrangères». C’est peu ou prou le champ lexical utilisé par le régime communiste pour désigner les manifestations pro-démocratie qui ont secoué Hongkong l’an dernier.

«Manière forte»

Pékin voit derrière ce mouvement de protestation la main des Etats-Unis. «La violence de l’année dernière et l’intervention étrangère croissante ont déclenché cette décision» , a déclaré jeudi soir Luo Huining, le directeur du bureau de liaison du gouvernement chinois à Hongkong devant des membres de l’ANP. La vague de contestation dans la région semi-autonome, déclenchée par une loi d’extradition vers la Chine, s’était muée en mouvement contre l’influence grandissante de la Chine communiste, constituant un défi politique majeur pour le président Xi Jinping. «Nous établirons des systèmes juridiques et des mécanismes d’application solides pour garantir la sécurité nationale dans les deux régions administratives spéciales [Hongkong et Macao, ndlr] et veillerons à ce que les gouvernements des deux régions s’acquittent de leurs responsabilités constitutionnelles», a lancé jeudi le Premier ministre chinois, Li Keqiang, devant une assemblée composée d’environ 3 000 délégués. Contrairement aux années précédentes, il n’a fait aucune mention de la loi fondamentale, la mini-constitution qui régit l’ancienne colonie britannique.

Depuis la rétrocession de Hongkong à la Chine en 1997, Pékin entendait laisser le gouvernement local entériner par lui-même une loi de sécurité nationale. Mais les dirigeants hongkongais se sont heurtés à la résistance des opposants pro-démocratie, comme en 2003 quand un demi-million de manifestants étaient descendus dans les rues, forçant l’exécutif à retirer le projet, suspendu depuis. «Avec cette loi, le Parti communiste chinois emploie la manière forte en contournant le principe "d’un pays, deux systèmes" dans lequel les dirigeants ne croient plus», explique Wu Qiang, politologue basé à Pékin. Faisant fi de cette doctrine, qui accorde à Hongkong des libertés publiques inconnues en Chine continentale, le pouvoir communiste devrait intégrer le projet de loi dans l’annexe III de la mini-constitution qui couvre les domaines de la défense et de la diplomatie. «Il y a des doutes sur la légalité de cette manœuvre, mais l’Assemblée nationale populaire montre clairement qu’elle n’a pas l’intention de laisser la moindre place au débat sur ce sujet», confirme Sophie Richardson, de Human Rights Watch China.

Voix dissonantes

Au centre des préoccupations, l’article 4 indique que «le cas échéant, les organes de sécurité nationale compétents du gouvernement populaire central créeront des agences au sein de la région administrative spéciale de Hongkong pour s’acquitter des fonctions pertinentes de sauvegarde de la sécurité nationale conformément à la loi». Un blanc-seing pour les forces chinoises sur le territoire semi-autonome. En 2015, la Chine s’est dotée de sa propre loi de sécurité nationale et l’utilise à dessein pour réduire au silence les voix dissonantes. «Sous l’égide de cette loi, la Chine poursuit toute forme d’expression pacifiste alors même que ce principe est protégé par la justice chinoise. Pékin entend imposer cette loi arbitraire à Hongkong, et c’est très inquiétant», s’alarme Sophie Richardson. La liste de dissidents tombés sous le coup de cette loi est longue, allant du Prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, condamné à onze ans de prison pour incitation à «la subversion du pouvoir de l’Etat» et décédé en captivité, à l’intellectuel ouïgour Ilham Tohti, emprisonné à vie pour «séparatisme».

Le nouveau projet de loi devrait être examiné en début de semaine prochaine, puis soumis à un vote le 28 mai, dernier jour de session du Parlement chinois, avant de passer devant le comité permanent de l’ANP, le mois prochain. A quelques mois des élections législatives hongkongaises en septembre, cette manœuvre pourrait attiser encore plus les tensions entre Pékin et Washington. Jeudi soir, le président Donald Trump a fait savoir que les Etats-Unis pourraient répondre «de manière très forte». «Nous exhortons Pékin à honorer ses engagements et obligations» pour «préserver le statut spécial de Hongkong dans le commerce international», a renchéri le département d’Etat américain. Sous l’égide d’une loi promulguée l’an dernier, les Etats-Unis ont jusqu’à la fin du mois pour évaluer l’autonomie de l’archipel. Ils pourraient remettre en question le statut spécial de Hongkong qui lui permet d’être exempté de droits de douane punitifs dans le cadre de la guerre commerciale. A terme, c’est le statut de place mondiale financière de la région qui pourrait être menacé. Jeudi, la Bourse hongkongaise a chuté de 5,6 % en clôture. Source : Libération

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