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Jours tranquilles à Paris
27 mai 2020

La crise fait pâlir l’étoile du site de réservation en ligne Booking.com

Par Jean-Pierre Stroobants, Bruxelles, Correspondant Le Monde

Rattrapée par la pandémie due au coronavirus, la société de réservations d’hébergements envisage pour la première fois de son histoire des licenciements.

La fête est finie : pour la première fois de son histoire, Booking.com envisage un plan social et, peut-être, des licenciements. Rattrapée par la pandémie due au coronavirus, la jeune et florissante société de réservations d’hébergements, leader mondial dans son secteur, a vu, au cours du mois dernier, son activité chuter de 85 % par rapport à la même période en 2019, année durant laquelle le site avait enregistré 850 millions de nuitées.

Les autorités publiques ont été appelées au secours aux Pays-Bas, berceau de la société créée en 1996, à Enschede (Est), par Geert-Jan Bruinsma, un entrepreneur de 28 ans.

Le 10 avril, Glenn Fogel, le PDG de l’entreprise, annonçait, dans une visioconférence, que des licenciements étaient « vraisemblables ». Une première et un choc pour une société passée en quelques années du rang de start-up à celui de multinationale. Elle regroupe aujourd’hui 17 500 collaborateurs, dont 5 500 au siège du groupe, à Amsterdam. En France, son service clients, installé à Tourcoing (Nord), devait en compter 850 d’ici à la fin de l’année.

La polémique enfle

Se vantant, jusque-là, d’être l’un des rares acteurs du secteur touristique à ne pas avoir supprimé de postes, Booking a demandé des aides afin de pouvoir maintenir le revenu de ses salariés. Aux Pays-Bas, on ignore le montant que l’Etat lui a octroyé, mais la polémique enfle : reconnue pour sa créativité et son sens de l’innovation, Booking est aussi réputée pour sa capacité à user des ficelles de l’ingénierie fiscale.

L’Etat néerlandais offre un statut très favorable aux multinationales et, en outre, aux entreprises innovantes. Selon les estimations, la société de réservations aurait bénéficié jusqu’ici de quelque 2,2 milliards d’euros d’abattements au total.

« Nous ne sommes pas ici pour des avantages fiscaux, nous sommes d’Amsterdam », a toutefois affirmé récemment M. Fogel au quotidien NRC Handelsblad, auteur d’une vaste enquête sur la situation de la compagnie. Selon le PDG, la société a payé au total 3,7 milliards d’euros d’impôts en Europe jusqu’ici, dont une grande partie aux Pays-Bas. « Plus que Shell », souligne-t-il. Pour ce dernier, il s’agirait toutefois d’étudier désormais « la forme et la taille » de la future Booking.

L’IMAGE DE LA SOCIÉTÉ « COOL », BRANCHÉE, ET TRÈS PROFITABLE RISQUE D’ÊTRE TOUT AUTRE À LA FIN DE LA CRISE

L’image de la société « cool », branchée, et très rentable – un chiffre d’affaires annuel de quelque 10 milliards d’euros et un bénéfice proche de 3,5 milliards –, risque donc d’être tout autre à la fin de la crise. Un coup dur pour ses employés, habitués à une culture d’entreprise réputée non directive, avec des primes substantielles et un bien-être évident : les « soirées Booking » et les balades sur les canaux dans le bateau siglé du nom de la société sont célèbres à Amsterdam.

Les salariés, qui se disaient généralement très fiers d’appartenir à une telle collectivité, le resteront-ils ? L’annonce de possibles mesures sociales inquiète, en tout cas, les nombreux expatriés employés aux Pays-Bas, qui s’interrogent soudain sur leurs droits. La crainte de délocalisation de certaines activités affleure. La surcharge de travail dans certaines branches, dont les centres d’appels, est évoquée. Et une pétition circule, raconte NRC Handelsblad : les signataires se demandent, pour la première fois, si certaines pratiques de la direction sont bien conformes à la charte des valeurs de la société.

Une « pépite » à la trésorerie insuffisante

Tout semble changer également aux yeux d’une partie de l’opinion : l’entrée du chantier du « Tech Campus », l’immense nouveau siège que la compagnie fait construire – coût estimé : 270 millions d’euros – sur le site de l’ancienne poste centrale d’Amsterdam, est désormais ornée d’un panneau dénonçant une société « immorale et parasitaire ».

Des militants associatifs néerlandais se demandent, en effet, comment il est possible qu’un groupe réalisant de tels profits puisse en appeler à l’aide de l’Etat. La réponse étant que Booking Holding (qui regroupe Booking.com et aussi Priceline, Kayak, Rentalcars, etc.) dispose d’une trésorerie estimée à 5,8 milliards d’euros, mais qui pourrait s’avérer insuffisante pour affronter la crise, d’autant que ses dettes et ses emprunts se chiffrent à 7,1 milliards d’euros.

LES AUTORITÉS FISCALES FRANÇAISE, ITALIENNE ET TURQUE ONT, POUR LEUR PART, ACCUSÉ BOOKING DE TENTER D’ÉLUDER LE PAIEMENT DE LA TVA ET DE L’IMPÔT

Rachetée en 2005 par l’américain Priceline Group, Booking.com a été une véritable « pépite » pour son acquéreur, qui n’a déboursé que 120 millions d’euros à l’époque. Les plaintes des hôteliers, qui ont vu la commission qu’ils reversent au site passer de 5 %, au départ, à 10 %, voire 25 %, n’ont pas entamé le crédit de l’entreprise. Pas plus que l’interdiction qui était faite à ses commerçants de proposer des chambres moins chères sur d’autres plates-formes. Et les critiques des autorités réglementant la publicité quant à certaines pratiques – dont la célèbre mention « Plus qu’une chambre sur notre site » – n’ont pas eu davantage d’effet.

Les autorités fiscales française, italienne et turque ont, pour leur part, accusé Booking de tenter d’éluder le paiement de la TVA et de l’impôt en transférant ses bénéfices vers les Pays-Bas pour être moins taxée. Les autorités de la concurrence se sont, quant à elles, souciées de clauses contractuelles jugées abusives. Et en 2019, l’entreprise était contrainte par la Commission européenne de promettre une politique de prix plus transparente.

Aujourd’hui, c’est le Covid-19 qui risque de l’obliger à un changement de cap bien plus radical.

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