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Jours tranquilles à Paris
28 mai 2020

Le Kanak Emmanuel Kasarhérou prend la tête du Quai Branly

Emmanuel Kasarhérou

Article de Roxana Azimi

L’ancien directeur du Centre culturel Tjibaou de Nouméa succède à Stéphane Martin, qui présidait le musée depuis 1998

Le processus de succession de Stéphane Martin avait été ouvert en janvier, puis retardé par le confinement. D’après nos informations, le Calédonien Emmanuel Kasarhérou devrait être nommé mercredi 27 mai, en conseil des ministres, à la présidence du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac où il occupait depuis 2014 les fonctions de responsable de la coordination scientifique des collections.

C’est une première : aucun Kanak n’avait jusqu’alors pris la responsabilité d’un grand musée métropolitain. Un symbole fort donc, comme les aime Emmanuel Macron qui, en 2018, fut le premier président de la République à se rendre à Ouvéa, trente ans après l’assaut meurtrier contre les indépendantistes qui retenaient des gendarmes en otage. Pour panser ce traumatisme, il avait alors planté un cocotier, symbole de vie dans la culture kanak et signe de réconciliation. Cet esprit de concorde, Emmanuel Kasarhérou l’incarne aussi en tant que figure centrale de l’histoire culturelle calédonienne contemporaine. « Il est diplomate tout en ayant de la poigne et de la maîtrise, vante le marchand parisien d’art océanien Anthony Meyer. Il aime trouver des solutions et travailler en équipe. »

Né en 1960 à Nouméa d’un père kanak et d’une mère métropolitaine, la linguiste spécialiste de la langue houailou Jacqueline de La Fontinelle, le jeune métis se serait bien vu en Indiana Jones du Pacifique. Passionné de préhistoire, formé par le grand archéologue océaniste José Garanger (1926-2006), il a participé à de nombreux chantiers de fouilles.

Légitimité des collections

En pleine guerre civile, en 1985, à l’âge de 25 ans, il prend la direction du Musée de Nouvelle-Calédonie, à Nouméa. Neuf ans plus tard, Emmanuel Kasarhérou est happé par un projet aussi ambitieux que politique : la mise en place du Centre culturel Tjibaou, du nom du fondateur du FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), assassiné en 1989. Inauguré en 1998 dans un bâtiment signé par l’architecte Renzo Piano, cet immense centre culturel océanien fut l’un des derniers grands gestes politiques de François Mitterrand, accompagnant l’accord de Nouméa, dix ans après ceux de Matignon. Emmanuel Kasarhérou en prendra la direction en 2006, avant de devenir, cinq ans plus tard, chargé de mission pour l’outre-mer en France.

En 2013, il fait ses premiers pas au Quai Branly en cosignant Kanak, l’art est une parole, avec Roger Boulay, une exposition à la fois pointue et grand public qui fera date. Irréprochable sur le plan esthétique, avec plus de 300 pièces, l’événement coïncide avec les quinze ans de l’accord de Nouméa, marquant la fin de la tutelle française imposée en 1853. Emmanuel Kasarhérou rappelait, à cette occasion, au Monde que les Kanaks avaient été placés dans des réserves dès 1868, « un fait unique dans l’histoire coloniale française, qui a créé une relation particulière avec le territoire ». Pour autant, l’historien n’est pas « engagé politiquement, du moins publiquement », souligne son ami Roger Boulay. Et l’ancien collaborateur de l’Agence du développement de la culture kanak de préciser : « En Nouvelle-Calédonie, Emmanuel avait la confiance de tout le monde, il consultait toujours les anciens, les représentants des grandes chefferies ou ceux qui ont joué un rôle dans le renouveau de la culture kanak. »

Le questionnement d’Emmanuel Kasarhérou sur l’histoire et la légitimité des collections sera précieux, alors que s’ouvre le grand chantier de la circulation des œuvres entre le Nord et le Sud, à la suite au rapport Sarr-Savoye (2018) sur la restitution des œuvres volées en Afrique. « Emmanuel pense qu’il est important de partager le patrimoine de l’humanité sans s’enfermer dans les mots. Il ne raconte pas de fables qui simplifieraient les choses », confie un proche, suggérant qu’il serait en phase avec la politique de Stéphane Martin, nommé conseiller culturel au Japon. Dans l’immédiat, le nouveau président devra procéder au déconfinement progressif du musée, fin juin-début juillet, selon nos informations, et trouver un successeur à Yves Le Fur, l’actuel directeur des collections, qui attteint bientôt l’âge de la retraite.

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