Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jours tranquilles à Paris
13 juin 2020

Peter Beard

beard20

Amoureux fou de la savane kényane et de ses animaux, le photographe américain Peter Beard, décédé, fin avril, à 82 ans, laisse des clichés exceptionnels de la destruction de la vie sauvage en Afrique. L’aventurier défraya aussi la chronique pour ses images des plus belles femmes de son époque. Un beau livre, publié chez Taschen, retrace son parcours.

La Fin d’un monde, c’est sous ce titre mélancolique que le premier livre de Peter Beard était sorti en France, en 1965. Dans le style scrapbook qui caractérise ses journaux intimes depuis l’enfance, le photographe américain y révélait la destruction d’un paradis, la savane africaine qu’il avait découverte à 17 ans, lors d’un premier voyage au Kenya, avant ses études à Yale. En quelques années d’explosion démographique, « l’infinie contrée sauvage qui semblait trop vaste pour être détruite » avait transformé en mouroirs les parcs nationaux où pullulaient des éléphants affamés.

Le 19 avril, un autre monde s’est éteint lorsque Peter Beard, qui souffrait de démence sénile, a été retrouvé mort en pleine nature, dans les environs de sa maison de Montauk, sur Long Island, à 82 ans, après dix-neuf jours de disparition. Ce monde que les nécrologies des journaux américains ont décrit comme tout droit sorti d’un roman de Joseph Conrad ou de Scott Fitzgerald, quand ce n’était pas Ernest Hemingway ou Paul Bowles, peut se visiter dans un beau livre réédité en juin par Taschen, avec la veuve de l’artiste, Nejma Beard.

L’Afrique de Karen Blixen

Dans ce monde englouti, un riche héritier au physique de jeune premier achète une quinzaine d’hectares de collines à côté de l’ancienne ferme africaine de l’écrivaine Karen Blixen, qu’il photographie à Copenhague en admirateur. « Il vivait dans un campement de tentes au cœur du Beverly Hills de Nairobi. Bach ou les Rolling Stones s’échappaient toujours de son Land Rover », nous raconte son amie l’actrice et top-modèle Lauren Hutton, une autre fanatique de l’Afrique. Fréquents compagnons d’aventures, ils volent de campement en campement à la rencontre de « zoologistes et biologistes anglo-africains » : « Nous étions toujours les bienvenus, car on se sent seul dans le bush et ils aimaient bien me regarder (…), se souvient l’ex-visage de Revlon. Pete m’accompagnait en tant qu’instigateur de chaos et de joie. »

Cette Afrique qu’il mythifie est celle des expéditions scientifiques, des chasseurs, des grands mammifères, mais pas celle des Africains, comme le fera remarquer Iman, le mannequin somalien qui lui doit sa carrière. « Peter aime l’Afrique mais nous ne sommes jamais d’accord sur ce qu’est réellement l’Afrique, confiait-elle à Vanity Fair en 1996. Est-ce les animaux et le paysage ou bien les gens ? Il n’a aucun respect pour les Africains, mais c’est leur continent – pas le sien. »

« Laissez Beard seul quelques minutes et les femmes se matérialisent autour de lui comme des champignons après la pluie », une journaliste de « Vanity Fair »

Dans ce monde révolu, un play-boy impénitent faisait poser les plus célèbres beautés de son temps dans la brousse avec (et parfois comme) des animaux sauvages. Dès 1963, il devient l’un des chouchous de la presse de mode, qui envoie une ribambelle de mannequins au Kenya, à commencer par Veruschka, que Beard photographie dans un justaucorps en peau de serpent au milieu d’un baobab dévoré par des éléphants.

La beauté des femmes est l’autre grande affaire de sa vie, dont les péripéties amoureuses (trois mariages et d’innombrables conquêtes, actrices, top-modèles, socialites…) alimentent les gazettes pendant plusieurs décennies. Dans le grand portrait que lui consacrait Vanity Fair en 1996, un modèle de mise en scène de sa légende, l’artiste aventurier se vantait un jour au réveil d’avoir partagé son lit avec « quatre ou cinq » jeunes beautés indigènes. « Laissez Beard seul quelques minutes et les femmes se matérialisent autour de lui comme des champignons après la pluie », admire la journaliste. Comme chez 007, l’hédonisme assumé coexiste avec l’amour du risque : quelques mois plus tard, chargé par « un éléphant enragé qu’il taquinait sans doute pour une photo inédite » (dixit Lauren Hutton), la tête brûlée passe à deux doigts de la mort.

Une œuvre excentrique et sombre

Les hommages rendus depuis sa disparition se lisent comme un Who’s Who de la seconde moitié du XXe siècle : on y croise Jackie Kennedy, dont il gardait les enfants et fréquentait la sœur cadette, Lee Radziwill ; Andy Warhol, qui l’avait décrit comme « l’un des hommes les plus fascinants de la planète » ; Francis Bacon, qui l’a peint une trentaine de fois ; Salvador Dalí, qui était fan de ses carnets ; Truman Capote, avec qui il avait couvert la tournée des Stones en 1972 pour le magazine Rolling Stone ; Mick Jagger et Karen Blixen.

On aperçoit ce beau monde dans ses collages, une œuvre excentrique et sombre qui mêle photographies, coupures de presse, textes calligraphiés, objets trouvés, fragments de nature, écorces, plumes, cailloux et, notoirement, barbouillages de sang. Sa modernité tient dans son pessimisme. Hanté par la mort, La Fin d’un monde était un traité de collapsologie avant l’heure, les éléphants périssant de maladies cardiaques dans un paysage ravagé annonçaient, selon Peter Beard, le destin d’une humanité jetée de plein gré dans le « piège démographique ». Ce bon vivant qui n’aimait pas la tristesse était un prophète de l’effondrement.

Peter Beard, éditions Taschen, coll. « xl », 770 pages, 100 €.

beard21

beard22

beard23

beard24

beard25

beard26

Publicité
Commentaires
Publicité