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Jours tranquilles à Paris
22 juin 2020

Tribune - « Colbert n’est pas l’auteur principal du Code noir, ni le maître-penseur de l’esclavage français »

Par Jacob Soll, Historien pour Le Monde

Jean-Baptiste Colbert, ministre de Louis XIV et bâtisseur de l’Etat centralisé, n’a ni créé la traite française, ni les plantations rappelle, dans une tribune au « Monde », l’historien américain Jacob Soll, un de ses plus grands spécialistes.

Au moment où les statues de commerçants d’esclaves tombent à Bristol (Royaume-Uni), il est difficile de ne pas ressentir des frissons d’émotion devant une justice en retard de presque trois cents ans.

Comment se fait-il que l’on ait pu vivre à l’ombre de ces monuments de l’horreur de l’esclavage parmi nous sans agir, sans réaction populaire depuis tant de siècles ?

Dans la foulée, pour les mêmes raisons, certains appellent maintenant au démantèlement des statues du grand ministre de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert (1619-1683).

Colbert, synonyme du Grand Siècle de la science, de l’art, et de l’érudition, maître policier et espion, père de la marine française et du ministère des affaires étrangères, créateur de Versailles, ennemi d’une noblesse libre, fondateur des Compagnies du Sénégal, des Indes et du Nord, et donc oui, l’homme qui a fait l’expansion du système colonial français et de sa mécanique mortelle, violente : l’esclavage.

Comment faire avec ce géant de l’histoire française, si clairement, responsable du marché transatlantique de la traite d’hommes ? Colbert suit la politique coloniale et esclavagiste commencée par Henri IV et par le cardinal de Richelieu. En 1626, Richelieu crée la Compagnie de Saint-Christophe et des îles adjacentes.

Soutenir l’industrie

C’est le rival de Colbert, Nicolas Fouquet, qui fonde en 1660 à la Martinique la plantation des Trois-Rivières (toujours grande productrice de rhum sous l’égide de Campari, et avec un hôtel de luxe !). Arrivant au pouvoir en 1661, Colbert n’a créé ni la traite française, ni les plantations. Il veut faire de la France un pays de commerce, riche de manufactures et d’or pour concurrencer les Hollandais et les Anglais qui ont un avantage sur les Français.

Dans une tradition classique romaine et machiavélienne, reprise par Jean Bodin (1529-1596), dans ses Six Livres de la République (1576), la survie de l’Etat et l’expansion de sa richesse passent par des colonies. Et dans le droit romain, l’esclavage est légal.

Du temps de Colbert, la brutalité est interne à la société féodale. Les esclaves, comme les paysans et les forçats, sont, dans la cosmologie catholique et aristotélicienne du temps, tous des êtres humains, avec des droits restreints.

Colbert est un homme dur et même cruel. Mais ni sa cruauté ni son attention ne sont portées vers les esclaves. L’idée des colonies c’est de prendre la richesse des pays concurrents et d’enrichir la France, ses villes et surtout son industrie.

Colbert donne le statut d’être humain aux esclaves

Colbert commence le Code noir en 1682 sous l’instruction de Louis XIV, avec l’aide des intendants et des gouverneurs des îles. Il est le premier des grands faiseurs de lois modernes en France. Il fait des ordonnances sur le commerce, la marine, les forêts, les poids et mesures, les chemins, les canaux, la police, les impôts, le droit et même des ordonnances sur les ordonnances ! Tout doit être codifié, aussi bien en France, qu’aux colonies.

Le Code noir, promulgué en 1685, est plutôt tardif dans cet important corpus légal. La France n’ayant pas d’ordonnances sur l’esclavage, Louis XIV et Colbert voulaient mettre les pratiques locales, souvent considérées comme trop brutales, sous le contrôle du gouvernement.

Suivant la lignée romaine et scolastique, Colbert donne le statut d’être humain aux esclaves mais leur donne peu de droits, à part ceux de se marier sans force, de pouvoir être affranchis et de ne pas être tués par leurs maîtres. Le pouvoir royal n’a pas ajouté de la cruauté, ni de nouvelles pratiques à l’esclavage. Colbert voulait des règles claires. Ces règles sont d’ailleurs plus douces que les pratiques en vigueur dans les îles anglaises et hollandaises.

Le Code noir n’est en fait qu’une continuation de la centralisation de l’administration sous Louis XIV. Comme les Espagnols, les Français ont essayé de mettre un minimum de contrôle juridique dans la traite, là où les Anglais n’avaient que des usages et pas de loi.

La rédaction du Code noir ne se termine que deux ans après la mort de Colbert en 1683. C’est son fils, le marquis de Seignelay (1651-1690), qui est chargé par le roi de finir et même de refaire le Code. Louis XIV voulait alors briser le pouvoir de la famille Colbert, en le partageant avec celle des Le Tellier dont la figure centrale est le marquis de Louvois (1641-1691). Le Code noir fut donc clairement modifié sous le contrôle de Louis XIV, notamment en ce qui concerne les pratiques de police. La même année, en 1685, le roi oblige aussi Seignelay à rédiger la révocation de l’édit de Nantes qui bannit les protestants de France.

Trente-neuf ans plus tard, en 1724, alors que la guerre commerciale faisait rage entre la France et l’Angleterre, un nouveau Code noir apparaît en Louisiane, bien plus dur et cruel que le code de Colbert et inspiré, comme en Angleterre, par les pratiques locales. Il permettait des punitions telles que le fouet et le démembrement, le marquage au fer et des contrôles stricts sur tous les aspects de la vie des esclaves.

Créateur de l’Etat moderne et centralisé

Mettre à bas les statues de Colbert n’a donc pas de sens. Il n’est pas l’auteur principal du Code noir, ni le maître-penseur de l’esclavage français. Il est plutôt créateur de l’Etat moderne et centralisé.

En tant que tel, il représente souvent l’antithèse du néolibéralisme économique. Et s’il faut se demander pourquoi il y a une salle Colbert à l’Assemblée nationale, l’idée est peut-être que mettre Colbert dans le palais des représentants du peuple, c’est signifier que ce sont eux et non plus le roi ou l’empereur qui ont la main sur le gouvernement.

Retirer Colbert de l’Assemblée serait donc en finir avec le symbole que l’Etat moderne doit se soumettre à la démocratie. Ce serait donner satisfaction à Bonaparte qui avec tant de force avait repris le gouvernement des mains du peuple et de la République. S’il y a une figure qui sans équivoque soutint l’esclavage et fit abattre les droits des anciens esclaves français, ce fut Bonaparte.

Jacob Soll est professeur de philosophie, d’histoire et comptabilité à l’université de Californie du Sud (Los Angeles), ancien élève de l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur notamment de « The Information Master : Jean-Baptiste Colbert’s Secret State Intelligence System » (The University of Michigan Press, 2009).

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