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Jours tranquilles à Paris
4 juillet 2020

Trump au Mont Rushmore pour un feu d’artifice de transgressions

independance day

Par Corine Lesnes, San Francisco, correspondante

A la veille de la fête nationale, le président américain a fustigé ceux qui veulent réexaminer l’histoire américaine et faire tomber les statues.

Un feu d’artifice de transgressions. Sans masques ni distanciation physique, malgré l’opposition des nations indiennes et le risque d’incendie, Donald Trump a tenu un rassemblement, vendredi 3 juillet, veille de la fête nationale américaine, au pied du Mont Rushmore, dans le Dakota du Sud. Les Etats-Unis sont « le pays le plus grand et le plus juste qui ait jamais existé sur cette Terre », a-t-il proclamé.

Le podium avait été disposé de sorte que sa silhouette s’inscrive dans le cadre iconique où sont gravés à même la roche les visages de George Washington, Thomas Jefferson, Abraham Lincoln et Teddy Roosevelt. Lisant son téléprompteur, M. Trump a mis en garde contre le « danger grandissant » posé par les jeunes Américains qui contestent l’héritage des fondateurs de la République. « Le but de la révolution culturelle de la gauche est de renverser la révolution américaine », a-t-il lancé. George Washington ne sera « jamais oublié », a-t-il promis, Jefferson « jamais abandonné ».

Quelque 7 000 spectateurs ont assisté au discours et au spectacle, serrés sur des chaises pliantes disposées sur la terrasse qui conclut la monumentale Avenue des drapeaux, au pied de ce National Memorial, commencé en 1927 et achevé en 1941.

La gouverneure républicaine du Dakota du Sud, Kristi Noem, avait décidé de ne pas tenir compte des consignes de distanciation renouvelées à la veille de la fête nationale par les autorités sanitaires. Alors que l’épidémie connaît une recrudescence record dans quatorze Etats, au point que les traditionnels pique-niques du 4-Juillet et autres excursions dans les parcs nationaux ont été découragés voire interdits, elle avait invité chacun à prendre ses responsabilités, la fête de l’indépendance étant une célébration de la liberté individuelle chère aux Américains – dont celle de ne pas porter de masque par une si belle soirée.

Visite insultante pour les Sioux

Depuis 2010, aucun feu d’artifice n’avait eu lieu au Mont Rushmore, en raison des risques d’incendie. Sur l’insistance de la Maison Blanche, le service des parcs nationaux a approuvé leur retour, assurant que le festival pyrotechnique réclamé depuis deux ans par M. Trump ne causerait pas de dommages à l’environnement. Un survol d’avions de combat pendant l’hymne national est venu renforcer l’effet patriotique, ainsi que les témoignages vidéo de militaires originaires du Dakota du Sud et désireux de souhaiter un « bon anniversaire » (le 244e) aux Etats-Unis.

La visite a été vue comme particulièrement insultante par les Sioux dont c’est la terre ancestrale. Les gouvernements des tribus lakotas avaient demandé à la Maison Blanche d’y renoncer. D’une part pour ne pas risquer de propager le coronavirus parmi les populations amérindiennes, particulièrement vulnérables. D’autre part, par respect pour les revendications historiques des Sioux.

Pour les tribus Lakotas et Oglala, les Blacks Hills, où se situe le Mont Rushmore, sont des collines sacrées. Par les traités de Fort Laramie de 1851 et 1868, le gouvernement des Etats-Unis leur en avait garanti la souveraineté. Il n’a pas tenu parole.

Après la découverte d’or, en 1874, les Sioux ont vu leur territoire de 240 000 km2 réduit à cinq réserves disséminées dans les Dakotas du Nord et du Sud. En 1980, la Cour suprême a condamné le gouvernement fédéral à indemniser les tribus, mais celles-ci continuent à refuser l’argent – estimé aujourd’hui à plus de 1 milliard de dollars (890 millions d’euros) – et à revendiquer les Black Hills.

Une centaine de membres de la tribu Lakota et des militants alliés ont réussi à empêcher pendant deux heures l’accès au monument, après avoir bloqué la route avec des camionnettes dont ils avaient retiré les pneus. « C’est comme si Trump essayait d’aller tenir un feu d’artifice au Vatican », a critiqué Julian Bear Runner, le président de la tribu Oglala, où on célèbre chaque 25 juin la victoire des Amérindiens en 1876 sur le général Custer, l’homme qui ouvrit les Black Hills aux chercheurs d’or. « Du sel dans une plaie », a comparé Ricky Gray Grass, un autre dirigeant de la tribu, dans le Washington Post : non seulement les collines ont été saisies au mépris des traités, mais y graver « les visages blancs des auteurs du génocide », a ajouté à l’humiliation.

« Effacer notre histoire »

A un moment de réexamen des épisodes les moins glorieux de l’histoire américaine, la visite de Donald Trump a eu pour effet d’enfoncer le clou sur les failles des héros nationaux. La presse a répété une fois de plus que George Washington avait 123 esclaves et que Thomas Jefferson en eut plus de 600 au cours de sa vie. Teddy Roosevelt est maintenant connu non plus seulement comme un passionné des parcs nationaux ou du canal de Panama mais aussi comme un président qui a tenu nombre de propos racistes – ce qui le menace d’être descendu de son piédestal équestre du musée d’histoire naturelle de New York.

Quant à Lincoln, s’il a prononcé l’émancipation des esclaves, il est aussi celui qui a approuvé la mort par pendaison de trente-huit Sioux en 1862 après un violent conflit avec les colons blancs.

La biographie du sculpteur des visages du Mount Rushmore – de 18 m de haut – a également été reconsidérée. Artiste célébré sans réserve par l’historiographie du parc, Gutzon Borglum, Américain d’origine danoise, il s’est révélé être membre du Ku Klux Klan dans les années 1920. Il fut même membre du Kloncilium, le cercle des dirigeants du Klan, pour qui il espérait bâtir un monument à la gloire de la Confédération sudiste.

Dans son intervention, Donald Trump a défendu les pères fondateurs et il a promis de s’opposer à la « campagne sans merci » lancée par la gauche radicale pour « effacer notre histoire ». Un discours à contre-courant : quelques heures avant sa visite, l’équipe de football américain des Redskins (« peaux rouges ») de Washington a annoncé qu’elle allait reconsidérer son nom. Une décision qui a été saluée comme une victoire dans le monde indien, qui demandait depuis des années à l’équipe de prendre en compte son sentiment à l’égard d’un nom qu’elle juge dégradant même si ce n’est pas l’avis des Blancs.

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