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Jours tranquilles à Paris
5 juillet 2020

Analyse - « Macron acte, en partie, l’effacement symbolique de la fonction de premier ministre »

Par Solenn de Royer

En nommant Jean Castex, un haut fonctionnaire inconnu du grand public et sans existence politique, le président réduit le chef du gouvernement au rang de simple « collaborateur ».

Une fois n’est pas coutume. Emmanuel Macron, qui a consulté la semaine dernière ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et François Hollande, s’est inspiré des deux. Au premier, il a « emprunté » son ex-collaborateur, Jean Castex, qui fut secrétaire général adjoint de l’Elysée entre 2011 et 2012, et l’a nommé à Matignon, en remplacement d’Edouard Philippe. Du second, qui plaidait dans un livre (Répondre à la crise démocratique, Fayard, 2019) pour la mise en place d’un véritable régime présidentiel, avec la suppression de la fonction de premier ministre, il a repris, au moins dans l’esprit, les préconisations institutionnelles.

Car c’est un peu de cela qu’il s’agit avec le remaniement, intervenu vendredi 3 juillet : en nommant un haut fonctionnaire totalement inconnu du grand public et sans existence politique, même si c’est un fin connaisseur de l’Etat et qu’il a une expérience d’élu local, Emmanuel Macron acte, du moins en partie, l’effacement symbolique de la fonction de premier ministre, réduit au rang de chef d’état-major, voire de simple « collaborateur », pour reprendre le mot qu’avait eu Nicolas Sarkozy pour désigner François Fillon.

« Sans préjuger des qualités du nouveau premier ministre, on peut se demander si l’on ne vient pas de supprimer de fait cette fonction, a ainsi tweeté l’ancien ministre de François Hollande, Thierry Mandon. L’article 20 de la Constitution (« le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ») devient un article vain. »

A sa nomination, il y a trois ans, Edouard Philippe était certes peu connu des Français mais pour le président élu, issu de la gauche, le maire (LR) du Havre apparaissait comme une belle prise de guerre à droite. M. Philippe permettait en outre à M. Macron de mettre en scène sa promesse du « en même temps », une politique « et de droite et de gauche ».

L’ancien collaborateur d’Alain Juppé montait surtout à bord avec de précieuses troupes LR, contribuant ensuite à structurer l’un des pôles de la majorité. Rien de tel avec Jean Castex, même si cet ancien collaborateur de Nicolas Sarkozy et de Xavier Bertrand vient, lui aussi, des rangs de LR.

« OPA » de l’Elysée sur Matignon

Téléguidée par l’Elysée, qui avait échoué à imposer ce choix à Edouard Philippe en 2017, la nomination d’un très proche d’Emmanuel Macron, Nicolas Revel, comme directeur du cabinet de Jean Castex, renforce encore cette impression d’« OPA » de l’Elysée sur Matignon. « Macron vient de se nommer à Matignon », sourit un ancien conseiller élyséen, qui a fréquenté l’« inséparable » binôme Macron-Revel, quand les deux hommes étaient secrétaires généraux adjoints de la présidence, pendant le quinquennat de François Hollande.

Pour le sondeur et politologue Jérôme Fourquet, la nomination d’un « techno sans surface politique » contribue à la « dépolitisation de Matignon ». « Macron ne veut pas d’un premier ministre qui lui fasse de l’ombre, poursuit-il. Il fait de Matignon un rouage fonctionnel qu’il espère le plus performant possible, afin qu’entre la volonté présidentielle et l’application de celle-ci sur le terrain, le délai soit le plus court possible. Il jugeait que dans certains dossiers, Edouard Philippe avait le pied sur le frein ».

Une dépolitisation logique aux yeux de l’ancien conseiller élyséen Julien Vaulpré, devenu directeur général du cabinet de conseil Taddeo. « Avec l’atomisation du monde politique, le choix du premier ministre ne résulte plus d’un rapport de force politique, comme avant, mais d’un climat d’opinion, d’un état d’esprit du pays », souligne-t-il.

Certes, plusieurs nominations à Matignon de techniciens, comme le diplomate Maurice Couve de Murville, l’administrateur colonial Pierre Messmer ou le professeur d’économie Raymond Barre, ont émaillé l’histoire de la Ve République. « Messmer succède à Chaban-Delmas qui commençait à faire de l’ombre à Pompidou, rappelle le spécialiste de l’opinion, Jérôme Sainte-Marie. Même chose pour Raymond Barre, un pur technicien, qui prend la suite de l’ambitieux Jacques Chirac auprès de Giscard. » Mais « Couve », Messmer ou Barre avaient été longuement ministres avant d’accéder à Matignon, ce qui n’est pas le cas de Castex, missionné par le gouvernement quelques semaines seulement, début avril, pour organiser le déconfinement.

Par ailleurs, l’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont encore renforcé l’affaiblissement du premier ministre, chargé d’animer une majorité parlementaire élue dans le sillage du président et grâce à lui. « Avec la nomination de Castex, Macron ne fait qu’acter une disparition du premier ministre découlant de la logique institutionnelle, analyse la chercheuse associée à la Fondation Jean-Jaurès Chloé Morin. L’opinion a compris que tout était entre les mains du président. La majorité parlementaire lui est soumise, il n’y a plus de cohabitation, et le premier ministre n’est plus qu’un exécutant. »

« Hyperrégime présidentiel »

Bien souvent, désormais, plus populaire que le président, le premier ministre ne protège plus ce dernier. Il ne peut plus être un fusible. En nommant à Matignon un grand commis de l’Etat, apprécié dans les cercles du pouvoir mais totalement inconnu des Français, Macron pousse cette logique à l’extrême.

Mais c’est un pari politiquement périlleux. Alors que se profile une crise économique et sociale majeure, le chef de l’Etat, déjà impopulaire, prend le risque de concentrer encore davantage les critiques et les tirs contre lui. « Il surexpose encore davantage la fonction suprême, conçue comme étant garante de l’équilibre, du rassemblement et de l’apaisement », observe l’ancien député socialiste Gilles Savary.

Consacrer symboliquement l’effacement du premier ministre sans pour autant changer les institutions – en renforçant, par exemple, le rôle et les pouvoirs du Parlement, ou en instaurant une procédure d’empêchement à l’américaine – risque en outre de faire glisser encore un peu la Ve République vers un « hyperrégime présidentiel, sans contrepoids », poursuit-il, en contradiction avec les promesses d’introduire plus de démocratie participative. Ce qui pourrait frustrer l’opinion, tout en contribuant à resserrer, encore un peu plus, l’étau autour du président.

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