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Jours tranquilles à Paris
6 juillet 2020

Les couleurs du sexe : les ambiguïtés du blanc

Par Maïa Mazaurette

Episode 1. Gris, pourpre, noir… Cet été, la chroniqueuse et illustratrice de « La Matinale » Maïa Mazaurette sort son nuancier chaque dimanche pour raconter la sexualité et prodiguer ses conseils. Aujourd’hui, zoom sur la zone blanche.

LE SEXE SELON MAÏA

Le blanc est-il une couleur ? La réponse dépend des experts à qui vous posez la question. Cette ambivalence se prolonge dans le monde du sexe : existe-t-il une sexualité blanche, alors même que cette teinte symbolise la virginité ?

Nous savons que le sexe n’est pas sale, mais peut-il pour autant être pur ? Nous voici plongés dans le vif du sujet : pour lancer cette série d’été consacrée au nuancier sexuel – nous nous promènerons de la zone grise au piment rouge, en passant par l’arc-en-ciel, le duo rose-bleu ou encore les teintes de la chair –, commençons donc par le blanc.

On ne surprendra personne en rappelant que dans la culture occidentale et notamment dans notre rapport au sacré, le blanc s’oppose à la souillure matérielle ou morale. Le mot lui-même vient du germanique blank, qui signifiait « brillant, clair, sans tache » ou « nu ».

Le blanc est également associé à la lumière, et se conçoit dans un double antagonisme au noir de la nuit (le quand de la sexualité) et au rouge de la luxure (le comment de la sexualité). Par extension, le blanc symbolise le bien, l’innocence, la chasteté (mais aussi la vieillesse, la peur, le froid, etc.).

Imaginaire de l’innocence

Faut-il en déduire qu’une sexualité blanche serait réservée aux oies blanches ? C’est plus compliqué que ça. Au départ, la symbolique s’exprime de la manière la plus prévisible qui soit : le blanc de la pureté donne sa teinte à la robe de mariée, supposément vierge. Cet imaginaire de l’innocence est régulièrement utilisé par les marques de sextoys pour rassurer les acheteuses : on trouve des lignes entières de vibromasseurs blancs, dont certains reprennent les codes visuels des iPhone et du monde médical. Le blanc est bon, le blanc est tech, le blanc est sérieux.

Là où les choses commencent à se corser, c’est quand ces associations d’idées contaminent les corps eux-mêmes : telle couleur de peau entraîne telles qualités morales, telle couleur de peau est considérée comme plus ou moins esthétique.

Alors que L’Oréal a retiré cette semaine les mots « clair » et « blanchiment » de ses produits cosmétiques, l’industrie de la beauté du sexe continue de proposer des blanchiments de la vulve, mais aussi du pénis, de l’anus et des tétons. L’argument est double : raccorder la couleur de la carnation (caucasienne) à la couleur de ces zones hautement sexualisées, mais aussi « nettoyer » symboliquement la zone.

C’est particulièrement le cas du blanchiment de l’anus, qui permet de désamorcer certains complexes : si c’est clair, c’est propre, et si c’est propre, alors on peut l’utiliser sexuellement. (Précisons qu’il existe à l’inverse des crèmes pigmentées qui « rajeunissent » le vagin à coups de gammes de rose, mais elles sont moins utilisées.)

Pour autant, limiter le blanc à la pureté serait un peu court : il est aussi la couleur du sperme (considéré comme une souillure), des pertes blanches (idem, même si elles servent à nettoyer le vagin de ses bactéries) et du lait maternel (or pour être mère, le plus souvent, on est passée par des rapports sexuels). Se dessinent, alors, les contours d’un blanc plus ambigu : rien n’est plus délicieux à saccager qu’une surface immaculée. Nous ne sommes plus très loin du fétichisme médical, ou de la salirophilie, qui n’aime rien tant que tacher les draps et souiller ses adeptes.

Consensus et consentement

Tout est dit ? Non, bien sûr que non. Car la sexualité elle-même comporte des pratiques blanches : on parle alors de sexualité « vanille ». Ce vocable, apparu dans les années 1960 mais popularisé dans le jargon sexuel depuis une vingtaine d’années, décrit les rapports conventionnels, conjugaux, consentis, sans fantaisie.

La vanille érotique serait au sexe ce que la vanille alimentaire est à la gastronomie : un parfum sans intérêt, mais largement apprécié par les personnes dénuées de bon goût et/ou d’imagination (snobisme, bonjour). Le mot comporte donc souvent une connotation méprisante – sauf chez ses défenseurs et défenseuses (dont votre humble servitrice dominicale fait partie).

Pourquoi tant de haine ? Parce que le sexe vanille a été conceptualisé en opposition aux sexualités « noires » du BDSM (bondage, domination, sado-masochisme) et au vaste champ chromatique du queer (c’est-à-dire littéralement, le bizarre). On y reviendra dans les prochains épisodes de cette série d’été.

Cette réputation d’ennui associée à la vanille déborde sur ce que nous appelons depuis le mouvement #metoo la zone blanche : celle du consensus et du consentement. Côté face, le licite rassure. Côté pile, si on s’en tient aux pratiques strictement permises par la religion et le code pénal, il ne reste que le missionnaire.

« 50 Nuances de Blanc » ?

Et pourtant ! On pourrait réhabiliter la zone blanche. Respecter radicalement ses partenaires n’entraîne pas nécessairement moins d’humour, moins de diversité et moins de pratiques exaltantes : si vous voulez mon avis, c’est même précisément l’inverse qui se passe. Avec la sexualité vanille, on peut se donner carte blanche !

Du « bon » côté de la zone grise, les possibles s’étendent à l’infini… A condition de renoncer à certains clichés (par exemple cette curieuse idée voulant qu’un bon amant soit forcément un « bad boy », alors que de nombreuses transgressions sexuelles sont justement dues à un manque de compétences, d’imagination et de savoirs). Qui sait, peut-être lira-t-on un jour un best-seller incroyablement érotique, appelé « 50 Nuances de Blanc » ?

En attendant, le blanc-vanille dispose d’un ultime tour dans son sac : il est intrinsèquement sexuel – jusqu’aux origines de notre langue, donc de notre système de représentation. Car étymologiquement, « vanille » vient du latin vagina, « la gaine », qui donnera « vagin »… seulement au XVIIe siècle. Pour une zone encore régulièrement qualifiée de trou noir, c’est un comble, non ?

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