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Jours tranquilles à Paris
6 juillet 2020

A Rennes, le photographe Martin Parr fait rire jaune

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Par Claire Guillot, Rennes, envoyée spéciale

Une rétrospective de l’œuvre du Britannique présentée au Fonds régional d’art contemporain de Rennes donne un aperçu sombre de la marche du monde.

On ne s’attendait pas à voir au Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Bretagne, à Rennes, une exposition du photographe Martin Parr. Le bâtiment récent à la façade austère, signé par l’architecte Odile Decq, se veut dévolu à la diffusion d’un art contemporain plutôt pointu, or le photographe est célèbre dans le monde entier pour le regard acide qu’il porte sur ses contemporains. Mais le dynamique directeur, Etienne Bernard, dont c’est la deuxième exposition sur place, a voulu miser sur un artiste populaire pour remettre sur la carte son FRAC un peu excentré.

Le thème du Brexit, qui traverse l’œuvre, a convaincu ce directeur pour qui « tout art est politique ». Et puis, en ces temps de crise sanitaire et de marasme économique, et même si l’exposition a été programmée avant le Covid-19, il veut croire en l’aspect thérapeutique d’une « expo fun ».

Les amateurs de fantaisie et de légèreté, pourtant, risquent d’en être pour leurs frais. La rétrospective, version remise à jour d’une exposition concoctée par le photographe lui-même et par l’agence Magnum, qui tournera ensuite dans le monde entier, a misé sur la sobriété. A part quelques murs pastel, on évite les clins d’œil amusés qui renforcent souvent le propos de Martin Parr, plein d’humour vache. Pas de mugs ornés de têtes de dictateurs qu’il aime collectionner, pas de faux gazon, de drapeaux ou de déco à l’anglaise comme on a pu en croiser lors de la grande exposition « Only Human » consacrée au photographe par le Victoria and Albert Museum de Londres, en 2019. La rétrospective, intitulée « Parrathon », revisite de façon plutôt sage et sans grande nouveauté toute la carrière du photographe depuis les années 1970, à travers 14 séries organisées de façon thématique.

Les deux premières salles sont les plus intéressantes, qui résument l’évolution vertigineuse du photographe : on passe sans transition du noir et blanc classique à de grands formats couleur, de la photo documentaire plutôt distancée aux gros plans sur les détails crus et stridents du consumérisme triomphant. Dommage que l’exposition n’appuie pas sa démonstration à l’aide de tirages d’époque.

Immense kaléidoscope

Les débuts de Martin Parr sont encore marqués par l’influence de l’école documentaire anglaise, dont il restera l’ardent défenseur et le collectionneur (Tom Wood, Chris Killip, Tony Ray-Jones…). Comme dans sa série « Bad Weather » (1982), qui moque les rapports compliqués des Britanniques avec la météo : ses paysages anglais, saisis entre les gouttes, laissent voir les vestiges du passé industriel britannique et du monde ouvrier. Mais déjà, les coups de flash sur les trombes d’eau et les détails cocasses témoignent du coup d’œil moqueur qui va devenir sa marque de fabrique.

Dans la salle suivante, avec « Common Sense », le style Parr outré, strident, s’affiche pleinement : le photographe a aligné sur le mur, dans de simples photocopies couleur, un immense kaléidoscope de détails aux teintes criardes, soulignées par le flash : glace qui coule, peau brûlée par les coups de soleil, promotions dans les magasins, jouets en plastique fluo… Cette série toujours en cours brocarde les habitudes de la classe moyenne occidentale mondialisée, et la société de consommation dans toutes ses outrances et sa superficialité : touristes, clients dans les supermarchés, adeptes de la fast fashion…

Martin Parr dit avoir toujours voulu se focaliser sur l’ordinaire et sur le sort des gens proches de lui. Il a photographié, avant les autres et mieux que personne, ce que notre monde a de plus trivial et de plus éphémère. Dans « Small World », il égratigne les touristes qui vont en vacances en avion dans des pays du Sud, se photographient en groupe devant les pyramides après avoir semé leurs papiers gras. Plus récemment, il a consacré une série aux adorateurs de selfies – motif attendu mais pas le plus réussi.

Dans le monde entier, et jusqu’au Mexique où la Vierge vend du coca-cola, Martin Parr montre combien une sorte de pop culture basée sur la consommation détruit la planète, clone les mêmes boutiques dans les villes et les stations balnéaires, et réduit l’histoire et les traditions locales à des stands interchangeables d’un vaste parc d’attractions. Mais il a aussi épinglé la vulgarité des plus riches, passant à la moulinette les jet-setteurs de l’art, qui vont d’une foire internationale à l’autre, coupe de champagne à la main.

Peinture grinçante des temps actuels

En parallèle à son étude sur l’universalisation du mauvais goût, Martin Parr est souvent revenu, avec justesse et sévérité, sur ses racines et sur les spécificités de son pays d’origine, pour lequel il dit souvent avoir « un sentiment d’amour et de haine ». « The Last Resort », sa série mythique des années 1980 (ici en grand format), peignait avec un mélange de sourire et de mélancolie les classes populaires faisant la fête dans une station balnéaire en perte de vitesse.

Ses photos les plus récentes consacrées aux Britanniques se concentrent plutôt sur les partisans du Brexit et sur les bastions du pouvoir traditionnel (The Establishment). D’une certaine façon, elles sont comme une réponse à ses images sur la mondialisation : alors que les cultures lointaines deviennent accessibles, en un coup d’avion ou à portée de clic, parallèlement se renforcent la peur de l’autre, le repli sur soi, le conservatisme, le culte d’une identité fantasmée.

Malgré les changements, les vieilles universités qui forment l’élite anglaise sont toujours dominées par de vieux hommes blancs qui perpétuent, canne et haut-de-forme à la main, des traditions d’un autre siècle. Et l’île britannique, avec le Brexit, se coupe encore davantage du monde.

Devant cette peinture grinçante des temps actuels, il faudrait plus que les autoportraits malicieux de Martin Parr, qui aime à se faire photographier en astronaute ou poser à côté d’un faux Vladimir Poutine, pour alléger l’atmosphère. La dernière salle se veut pourtant joyeuse avec la série « Everybody Dance Now », qui montre différentes cultures et communautés à travers le monde, immergées sans peur du ridicule dans un plaisir universel : la danse. On y voit, dans des boîtes de nuit, des salles de bal, une parade de la Gay Pride, une classe de ballet, des individus heureux réunis par une activité commune.

Mais à l’heure du Covid-19, des masques et de la distanciation physique, ces manifestations d’unité collective semblent désormais appartenir à un passé révolu. Et la boule à facettes, accrochée au plafond, jette une lumière crue sur un plaisir désormais défendu.

« Parrathon », une rétrospective de Martin Parr. FRAC Bretagne, 19, avenue André-Mussat, Rennes. Jusqu’au 24 janvier 2021. Du mardi au dimanche, de 12 heures à 19 heures. Entrée : 2 et 3 euros. fracbretagne.fr

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