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Jours tranquilles à Paris
7 juillet 2020

Portrait - Le retour surprise en politique de Roselyne Bachelot

Par Fabrice Lhomme, Gérard Davet

Lancienne ministre de la santé de Nicolas Sarkozy avait quitté la politique pour les plateaux de télévision en 2012, jurant de ne plus y retourner. A 73 ans, cette passionnée d’opéra devient ministre de la culture.

Toujours là. Inoxydable. 73 ans, et un enthousiasme probablement intact. Roselyne Bachelot, nommée ministre de la culture ? Pourtant, elle avait juré qu’on ne l’y prendrait plus. La politique, c’était fini pour Roselyne Bachelot, parfaitement assumé devant les caméras. Elle avait assez donné. Ministre de l’écologie en 2002, sous Jacques Chirac, puis ministre de la santé sous Nicolas Sarkozy en 2007, puis ministre des solidarités en 2010… Des gaffes en pagaille, une bonne humeur inaltérable, un franc-parler plaisant.

On l’avait ainsi croisée en Afrique du Sud, en 2010, appelée en catastrophe au chevet d’une équipe de France de football proche du ridicule, avec ses piètres leaders qualifiés par elle de « caïds ». Puis revue, à son domicile parisien, neuf ans plus tard, à deux pas du siège du parti Les Républicains (LR), pour parler de « son » François Fillon, cet étrange homme politique qu’elle connaît mieux que personne. Là encore, avec une sincérité peu courante, elle l’étrillait tout en le couvant de son affection, ce qui lui avait valu le courroux de l’ancien premier ministre, avec ensuite des échanges par SMS aigre-doux. Elle n’avait rien lâché, quand c’est dit, c’est dit.

Ce jour-là, dans le 15e arrondissement, elle était pressée, elle devait se rendre à l’opéra, et finir un article sur le sujet. Son grand amour, c’est vraiment la musique, on l’avait compris. Avant la politique, avant même son premier métier, docteur en pharmacie. Cinquante opéras par an, des voyages initiatiques à Bayreuth ou Salzbourg, des livres dans ses étagères, par dizaines, sur Wagner, et surtout son cher Verdi ; d’ailleurs, Roselyne Bachelot arrive toujours une demi-heure en avance au spectacle, au bas mot, pour s’imprégner. Le « dépucelage opératique », elle le conseille avec Verdi, à qui elle a consacré un livre.

Animatrice d’une chronique sur France Musique, où elle avoue aimer l’art lyrique comme le rappeur Youssoupha, elle peut vous dégainer un grand air à tout moment, comme ça, sans prévenir. Tout en conservant pour elle ses grandes peines. Un enfant en souffrance, sur le plan médical. Des douleurs personnelles qu’elle sait taire.

Retour en grâce médiatique

Ce sont ses avanies professionnelles qui l’ont, peut-être, propulsée rue de Valois. Parce que le retour de Bachelot, c’est quand même du jamais-vu, personne n’y croyait, et pas sûr que quiconque l’espérait vraiment.

Elle avait disparu de l’espace politique pour s’amuser sérieusement sur les plateaux de télévision, de C8 à LCI, rigoureuse, toujours, bossant ses sujets. C’est d’ailleurs à LCI, dans des studios de maquillage déserts, qu’on l’avait revue. Pour raconter son retour en grâce médiatique, en plein déconfinement, alors que la France cherchait des masques et du matériel médical. Elle qui avait tant peiné, en 2009, à promouvoir le principe de prévention, quoi qu’il en coûte, déjà.

Souvenez-vous : dès le 4 juillet 2009, Roselyne Bachelot, soutenue par Nicolas Sarkozy et son premier ministre, François Fillon, passe commande de 94 millions de doses de vaccins pour lutter contre la grippe A, tandis que 195 millions d’euros sont prévus pour l’acquisition de masques, chirurgicaux et FFP2. Tant et si bien qu’à l’automne 2009, la France compte un stock de 1,7 milliard de masques. Au final, au moins 662 millions d’euros dépensés, et des tonnes de critiques, pour, « seulement », 342 décès.

A l’époque, elle admoneste les députés qui s’en prennent à sa gestion de la crise : « Les masques sont un stock de précaution – excusez-moi si ce mot devient un gros mot ici. Et ce n’est pas évidemment au moment où une pandémie surviendra qu’il s’agira de constituer les stocks. Un stock, par définition, il est déjà constitué pour pouvoir protéger. » Sacrément divinatoire.

Roselyne Bachelot est écartée de l’avenue de Ségur, en 2010, puis quitte la vie politique, en 2012. Amère. Elle a au moins une certitude, nous confie-t-elle ensuite : « Je ne me suis jamais dit : “J’ai déconné !” Il y a bien des proches qui m’ont conseillé de m’excuser, de dire que je m’étais trompée… Non ! J’ai fait des choix, je les ai assumés, et je n’ai pas rejeté la faute sur Sarkozy ou d’autres. »

Celle qui avait su, avant tout le monde

Ce qui la tourmente, encore, en mars 2020, quand la France se calfeutre, et que l’on est encore bien loin des 30 000 décès imputables au coronavirus ? « J’éprouve un sentiment de culpabilité : si nous avions été devant une pandémie très grave, est-ce que je n’aurais pas dû en faire plus, n’aurais-je pas dû mieux convaincre ? Mon affaire a amené un désarmement général, cela a décrédibilisé la parole politique. Les gens se sont dit : “On en fait trop.” Et pour nous, politiques, le risque d’en faire trop est devenu plus grand que de ne pas en faire assez. »

Reste qu’après cet épisode, elle avait pu arpenter à nouveau les plateaux, toute requinquée, devinant dans le regard de ses interlocuteurs un respect nouveau : elle n’était plus la Roselyne Bachelot étrangement vêtue et friande de bons mots, elle était celle qui avait su, avant tout le monde.

Quatre mois plus tard, en juillet 2020, la voici d’ailleurs devant la commission d’enquête parlementaire, convoquée pour donner son opinion sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement. On l’espère peut-être sanglante ? Elle se montre magnanime, épargnant les errances du pouvoir exécutif, là où elle aurait pu jouer les revanchardes : « Il faut se méfier des leçons du passé et des retours d’expériences dont nous sommes si friands », lance-t-elle aux députés. En pensant, peut-être, à cette correspondance de son Giuseppe Verdi vénéré : « Laissons cela, écrivait-il en 1873, et ne parlons plus de ces gens qui un jour ou l’autre nous anéantiront. » L’avantage de l’expérience : plus besoin de sortir les dagues d’opéra, de se cacher dans les décors. Sur scène, c’est définitivement là que ça se joue.

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