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Jours tranquilles à Paris
9 juillet 2020

Roselyne Bachelot, une ministre lyricomane

Sandrine Blanchard, Sandrine Cassini, Marie-Aude Roux

Et Le Service Culture

A la culture, cette passionnée d’opéra prend en charge un secteur gravement touché par la crise liée au Covid-19

PORTRAIT

C’était le 7 octobre 2018, au Monde Festival, lors d’une rencontre intitulée « Y a-t-il une vie après la politique ? ». A la question « Choisir de quitter une carrière politique, est-ce une décision sans retour ? », Roselyne Bachelot répond, avec un grand sourire : « Il y a un poste qui me ferait renoncer à cet engagement, c’est si on me proposait d’être ministre de la culture. Là, je pourrais craquer ! »

Alors, quand le nouveau premier ministre, Jean Castex, l’a appelée pour lui proposer la Rue de Valois, l’ancienne ministre devenue chroniqueuse a confié sur France Info avoir répondu la même chose : « Là, tu me fais craquer. » Elle arrive pourtant au pire moment à la tête de ce ministère.

Le jour de sa nomination, lundi 6 juillet, le département études et statistiques de la Rue de Valois a publié une enquête évaluant « L’impact de la crise du Covid-19 sur les secteurs culturels ». Et les données sont catastrophiques : « La baisse moyenne de chiffre d’affaires atteint 25 % par rapport à 2019 (22,3 milliards d’euros). L’effet sera le plus important sur le secteur du spectacle vivant (– 72 %), du patrimoine (− 36 %), des arts visuels (− 31 %) et de l’architecture (− 28 %). »

Forte personnalité

Est-ce justement parce que la « situation est apocalyptique », comme le résume Olivier Py, directeur du Festival d’Avignon, que le milieu culturel semble voir d’un bon œil l’arrivée d’une forte personnalité ? « Elle a des travaux d’Hercule devant elle, poursuit Olivier Py, mais c’est une lionne, une battante, une femme de convictions qui connaît la technocratie dure, et il va falloir se battre avec les technocrates de Bercy qui ne sont pas passionnés par l’art et n’ont pas encore compris qu’il est un gain et rapporte sept fois plus que l’industrie automobile. »

La nouvelle locataire de la Rue de Valois s’est rendue, dès mardi 7 juillet, au Louvre puis au Théâtre de la Ville, où Télérama organisait des débats sur l’avenir de la culture. « Elle est tout de suite dans le bain, on n’a pas besoin de lui expliquer la vie », souffle-t-on à l’Elysée. Avant l’annonce de sa nomination, Roselyne Bachelot a pris soin de prévenir Jack Lang mais aussi Stéphane Bern, le « Monsieur Patrimoine » d’Emmanuel Macron, qu’elle tutoie. Elle a aussi choisi sa directrice de cabinet : ce sera Sophie-Justine Lieber. Cette énarque, ancienne conseillère au cabinet de la ministre socialiste de la culture Aurélie Filippetti, était médiatrice du livre depuis juillet 2019.

Roselyne Bachelot a beau être de droite dans un milieu réputé de gauche, les organisations professionnelles du secteur saluent « une personnalité de premier plan », se félicitent de « son expérience des rouages de l’Etat » et rappellent, à l’image du Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP), qu’elle est « une femme éprise de musique et de culture ».

Lyricomane avertie et passionnelle, Roselyne Bachelot fait partie, depuis des décennies, des rares personnalités politiques à courir tous les soirs de première (ou pas) à l’opéra, que ce soit à Paris ou dans les grands festivals lyriques internationaux comme Glyndebourne, Salzbourg ou Bayreuth, où il n’est pas rare de la voir discuter avec Angela Merkel lors des longs entractes wagnériens. A ses premières amours verdiennes, Roselyne Bachelot a consacré un ouvrage biographique écrit à quatre mains avec le baryton français Jean-Philippe Lafont, Verdi amoureux (Flammarion, 2013).

Les trois « hommes de sa vie » se nomment Verdi, sa première et définitive idylle, puis Mozart, enfin Wagner. C’est cependant une déclaration d’amour à l’opéra français qu’elle proclame dans l’album discographique Salut à la France !, paru au printemps 2016, une playlist en forme de coups de cœur, de Bizet (Carmen) à Offenbach (La Vie parisienne), de Massenet (Manon, Le Cid) à Debussy (Pelléas et Mélisande), mêlant opéra-comique, opérette et grand opéra à la française. Et c’est avec une fidélité sans faille au monde lyrique que la future ministre a accepté, quelques semaines avant sa nomination, d’être l’un des membres d’honneur de l’association Unisson, un collectif né du désarroi des artistes lyriques face aux annulations consécutives à la pandémie de Covid-19. Pour Laurent Brunner, directeur artistique du château de Versailles, « Roselyne Bachelot est un être de passions, ce qui est fondamental quand il s’agit de culture. Elle fréquente intimement nombre de musiciens et chanteurs, et possède une profonde connaissance des réseaux et des artistes, pour lesquels elle éprouve une réelle empathie ».

Franc-parler

Durant le long entracte de sa vie politique, la pasionaria s’est adonnée aux plaisirs d’autres joutes. Sa verve et son sens de la formule en font une chroniqueuse recherchée, comme en témoignent les critiques et éditos publiés depuis 2012 sur le site Forum Opéra, cofondé par Sylvain Fort, un autre amateur d’art lyrique proche d’Emmanuel Macron, et dont elle est présidente d’honneur. A la radio, elle participe au « Club des critiques » animé par le producteur Lionel Esparza, sur France Musique. « La direction de l’époque comprenait mal que je fasse appel à elle, pourtant elle aime réellement la musique, et son franc-parler apportait un point de vue différent », se souvient Lionel Esparza.

D’ailleurs, c’est vers elle que se tourne Marc Voinchet, nouveau patron de France Musique, qui entend dépoussiérer la radio publique. Quand il lui propose, en 2016, de tenir une chronique hebdomadaire, Roselyne Bachelot accepte avec enthousiasme. « En revanche, s’il vous plaît, ne me payez pas, c’est tellement compliqué à Radio France pour une très petite rémunération », dit-elle en substance, à son interlocuteur estomaqué. « Evidemment, je lui ai dit qu’on continuerait à la payer ! Elle est naturelle, provocatrice, elle a des formules. Elle n’a pas ce surplomb qu’il peut y avoir – de moins en moins, et c’est heureux – dans la musique classique », se réjouit-il. Clin d’œil appuyé à son passage sur France Musique, la ministre fraîchement nommée a choisi Radio France pour sa première sortie publique et loué un « audiovisuel public d’une qualité formidable ».

Mais c’est Laurence Ferrari qui a été la première à repérer son potentiel télévisuel. En 2012, l’ex-présentatrice du 20 Heures de TF1 concocte « Le Grand 8 » sur D8, une émission de femmes inspirée de « The View » aux Etats-Unis, où officie Whoopi Goldberg. « Je voulais faire de Roselyne Bachelot la pierre angulaire de l’émission. Pour rigoler, on disait qu’elle était l’Encyclopedia Universalis. Tout-terrain, elle pouvait vraiment parler de tout », se remémore celle qui officie désormais sur CNews. « Aux Etats-Unis, de nombreux anciens politiques font des talk-shows. Roselyne Bachelot a cette façon d’intégrer du spectaculaire dans ce qu’elle dit. C’est une femme d’opinion qui veut convaincre », raconte Frank Lanoux, l’ancien patron de RMC qui l’avait recrutée pour piloter l’émission « 100 % Bachelot ».

Elle est comme ça, Roselyne Bachelot : ainsi bien sociétaire des « Grosses Têtes » sur RTL que chroniqueuse sur France Musique. Ce grand écart qui a fait sa popularité est déploré, en off, par certaines personnalités de la culture, mais applaudi par d’autres. « Elle a gardé la capacité d’avoir de l’esprit, j’attends d’elle qu’elle envoie au placard, dans l’élan et la joie, les habits rigides d’une culture formatée », s’emballe Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point.

Pour l’heure, Roselyne Bachelot dit vouloir « mettre la culture au cœur du plan de reconstruction de notre pays », organiser « dans les prochains jours » des « états généraux des festivals » et être « la ministre des artistes et la ministre des territoires ». Une manière de faire la synthèse entre ses deux prédécesseurs, Franck Riester (qui entendait « mettre les artistes au cœur des politiques culturelles ») et Françoise Nyssen (qui défendait la « culture près de chez vous »).

Mais elle n’a que six cents jours pour être l’« infirmière en chef » du déconfinement culturel et remettre la culture au cœur de la politique gouvernementale. « Pour remporter les arbitrages, elle va devoir mettre les pieds dans le plat et bousculer l’administration », prévoit Stéphane Bern, qui compte sur le caractère bien trempé de son amie. « Roselyne Bachelot aura à défendre des budgets dans un contexte très difficile, rappelle Olivier Mantei, patron de l’Opéra-Comique à Paris. C’est là que la pratique qu’elle a acquise au sein de gouvernements précédents sera la plus utile et efficace, surtout si elle a, comme certains le suggèrent, l’oreille du président. »

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