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Jours tranquilles à Paris
3 août 2020

Chronique - Mes vacances en camping-car : le mythe de la caverne roulante

Par Nicolas Santolaria - Le Monde

Roulez jeunesse !. Se rêvant seul au beau milieu de paysages vierges, le camping-cariste ne serait-il pas un Néandertal en claquettes ?, s’interroge notre chroniqueur Nicolas Santolaria entre deux bouchées de merguez.

Notre première nuit en camping-car a eu pour préalable d’intenses tractations entre les deux grands pour savoir qui aurait « le lit du haut » – c’est le doyen qui a finalement eu droit aux honneurs sommitaux. Après avoir escamoté la table du salon, les enfants ont fait descendre le lit pavillon et les deux couchettes superposées, grâce aux commandes électriques installées sous l’évier. Monter, descendre, monter, descendre : ayant épuisé un peu plus tôt les potentialités divertissantes du klaxon, ils ont trouvé là une nouvelle source de fun. « Arrêtez de jouer ! », ai-je grommelé, de peur que la batterie ne se décharge.

Dans le soleil couchant de la Roque-Gageac (Dordogne), d’énormes montgolfières multicolores ont survolé en rase-mottes notre base de vie, où chaque recoin se plie et se déplie comme dans un origami. Un des personnages du film d’animation Le vent se lève (Hayao Miyazaki), que nous avons regardé avant de dormir, a alors posé cette étrange question : « Si vous aviez le choix, vous opteriez pour un monde avec des pyramides ou sans pyramides ? » Le matin, alors que ma petite troupe était encore endormie, j’ai bu ma première Ricoré. Puis je me suis contorsionné pour aller aux toilettes.

Une sorte de Buzz Aldrin en pantacourt

L’extrême promiscuité des lieux où chaque centimètre carré est compté n’est pas sans rappeler la condition d’astronaute. D’une certaine manière, le camping-cariste est un lointain cousin de Buzz Aldrin en claquettes et pantacourt. L’analogie prend un sens particulier lorsque le véhicule est en marche. Comme dans une station spatiale où tout doit être arrimé à cause de l’apesanteur, il faut impérativement que chaque objet soit calé et chaque porte verrouillée avant le départ. Parce que les forces du cosmos semblent s’appliquer ici de manière décuplée, une simple boîte de thon giclant d’un placard mal fermé peut, dans un virage, se transformer en projectile létal.

DANS LES MAGAZINES SPÉCIALISÉS, LE CAMPING-CAR EST REPRÉSENTÉ AU CŒUR DE PAYSAGES VIERGES, AVEC L’IDÉE SOUS-JACENTE QUE CETTE IMMONDE VERRUE POURRAIT À TOUT MOMENT S’ABSTRAIRE DU PANORAMA.

« Papa, moi j’aimerais rester dans le camping-car toute ma vie ! », m’a dit mon plus jeune fils, alors que nous prenions la route en direction de la grotte de Rouffignac. Grâce à un petit train électrique, nous nous sommes enfoncés sous terre pour découvrir cette vaste cavité, fréquentée jadis par les ours et les artistes préhistoriques. Ces derniers y ont tracé il y a 15 000 ans un impressionnant bestiaire, dont une centaine de mammouths aux contours noirs et précis, témoignages d’un climat disparu. Une des caractéristiques de cet art pariétal, auquel certains théoriciens prêtent une dimension chamanique, est que l’être humain n’y est presque jamais représenté.

Tout cela rappelle à certains égards l’étrange fantasme du camping-cariste, dont l’ambition pourrait se résumer ainsi : réussir le prodige de voir le monde tel qu’il serait en l’absence de toute présence humaine. Dans les magazines spécialisés, le véhicule est donc représenté au cœur de paysages vierges, avec l’idée sous-jacente que cette immonde verrue, condensé de la société technologique, pourrait à tout moment s’abstraire du panorama sans laisser de trace. Voilà pourquoi le camping-car n’est pas qu’un loisir de plein air, mais aussi une opération psychique complexe dont l’ambition secrète est de nous donner accès à la vérité originelle du monde. Une sorte de mythe de la caverne sur quatre roues, en somme.

Etre partout chez soi

Pour autant, ces considérations philosophico-routières ne doivent pas nous empêcher d’aller acheter des merguez. Ce que nous entreprenons après avoir rallié la bastide de Monflanquin (Lot-et-Garonne). Nous nous ravitaillons au Casino du coin où, malgré mon avis contraire, les enfants achètent d’encombrantes mitraillettes en plastique. Grâce à l’appli « Park4night », nous trouvons ensuite un stationnement gratuit pour la nuit sur l’anneau de bitume qui fait le tour du village. Et là, accoudés à une table en bois offrant une vue imprenable sur un cimetière et une cuve de gaz (oui, c’est vrai, il y a aussi un château au loin), nous pique-niquons.

AFIN DE DIGÉRER NOTRE MENU DE CHASSEUR-CUEILLEUR POST-HISTORIQUE À BASE DE PRINGLES ET DE KNACKI, NOUS PARTONS EN EXCURSION JUSQU’AU CŒUR DU VILLAGE.

Afin de digérer notre menu de chasseur-cueilleur post-historique à base de Pringles et de Knacki, nous partons en excursion jusqu’au cœur du village. La place centrale ceinte d’arcades est si belle qu’elle nous inspire immédiatement une partie de foot. Voilà résumé l’un des charmes indéniables du camping-car : être partout chez soi, étirer au maximum les frontières du monde habitable. A Monflanquin, nous sympathisons avec un cafetier multicasquettes à l’allure de d’Artagnan, qui se présente comme « archéologue » et « peintre ».

Ce soir, en vertu d’une règle d’apéros tournants que nous avons établie dès le départ, il revient à mon plus jeune fils de payer son coup. « C’est combien ? », demande-t-il, en ouvrant fièrement son porte-monnaie. « 250 euros ! », lui répond le cafetier, rigolard. « Choisis la pilule bleue, et tout s’arrête. Après tu pourras faire de beaux rêves et penser ce que tu veux. Choisis la pilule rouge : tu restes au pays des merveilles. Et on descend avec le lapin blanc au fond du gouffre », propose, quelques instants plus tard, l’énigmatique Morpheus, alors que nous regardons Matrix, calfeutrés derrière les volets occultants du camping-car. Cette nuit-là, peut-être troublé par les bruits extérieurs, je fus envahi par l’étrange sensation que l’on nous siphonnait le réservoir.

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