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Jours tranquilles à Paris
6 août 2020

Keiko Ogura, hantée par Hiroshima, 75 ans après

Tokyo. De notre correspondante

La voix de Keiko Ogura s’étrangle. « Nous voulons que l’arme nucléaire soit abolie avant notre mort. Je prie pour cela tous les jours depuis soixante-quinze ans. Nous le devons pour ceux qui sont morts ce jour-là… » L’octogénaire fait partie des derniers hibakusha, ces Japonais qui ont survécu aux bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, les 6 et 9 août 1945.

Sa vie, elle la décrit comme une existence rongée par la culpabilité à l’égard de « ceux qui sont morts sous nos yeux, et que l’on n’a pas pu sauver ». Elle raconte aussi l’inquiétude, au quotidien, pour la santé de sa famille et de ses deux enfants. « J’ai vécu avec cette peur chevillée au corps de leur avoir peut-être transmis quelque chose, liée aux radiations que j’ai reçues. »

Après avoir vécu le pire, les hibakusha ont été discriminés : « Personne ne voulait se marier avec quelqu’un qui avait survécu à la bombe, de peur de ne pas avoir des enfants en bonne santé. »

Keiko Ogura avait 8 ans lorsque la bombe s’est abattue sur Hiroshima, le 6 août 1945, à 8 h 15 du matin. « La veille, la nuit avait été si silencieuse. D’habitude, on entendait les avions survoler les maisons. Mon père a eu un pressentiment, il disait que ce silence n’était pas de bon augure. »

« C’était si sombre »

En lui interdisant d’aller à l’école ce matin-là, il lui a sans doute sauvé la vie. L’enfant se trouve néanmoins à 2,4 km du point d’impact. « J’étais seule, j’ai vu cette lumière aveuglante. En quelques secondes, j’ai été propulsée au sol et je suis restée inconsciente. Quand j’ai rouvert les yeux, la scène de désolation, je ne l’ai jamais oubliée. Les flammes, les débris de verre partout. C’était si sombre, sans un bruit.La ville avait été rasée en un souffle. »

En ce jour du 75e anniversaire, 136 682 hibakusha, d’une moyenne d’âge de 83 ans, sont toujours en vie. Nombreux sont ceux qui, comme Keiko Ogura, continuent de raconter leur histoire et de se battre pour l’abolition de l’arme nucléaire (lire ci-dessous). « Je suis tellement en colère que le Japon n’ait toujours pas ratifié le traité international sur l’interdiction des armes nucléaires après ce que nous avons subi. »

Aujourd’hui, du fait de la pandémie de Covid-19, le parc du Mémorial de la paix d’Hiroshima sera désert pour la commémoration. Depuis mars, aucun touriste ni écoliers en voyage scolaire ne l’ont visité, pour étudier les conséquences de la décision des États-Unis d’utiliser l’arme atomique, afin d’obtenir la capitulation du Japon et mettre fin à la Seconde Guerre mondiale. Un crève-cœur pour les survivants qui peinent à faire perdurer le devoir de mémoire.

Avec son association Hiroshima Interpreters for Peace (HIP), Keiko Ogura animera une visite virtuelle sur YouTube, en direct du parc. « Je me souviens de la peur des radiations que l’on a ressentie après la bombe. Avec le Covid-19, nous avons affaire à un autre ennemi invisible. Personne ne peut fuir. Les gens du monde entier doivent s’unir et se battre ensemble pour survivre. »

Johann FLEURY.

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