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Jours tranquilles à Paris
17 août 2020

A Berck-sur-Mer, un jour à la plage pour une cinquantaine de Parisiens privés de vacances

Par Isabelle Rey-Lefebvre, Berck, Pas-de-Calais, envoyée spéciale - Le Monde

En raison de l’épidémie de Covid-19, le Secours populaire multiplie, cette année, les sorties d’une journée plutôt que les séjours.

« J’ai réveillé mon fils à six heures, il m’a demandé “On va à l’école ?”, “Non, à la plage”, “Ouiiii !” », raconte Fatima Eid qui, toute à son stress, en a oublié le sac à dos avec le pique-nique pourtant soigneusement préparé la veille, ce qui l’a obligée à tout racheter dans une station-service « trois fois le prix du Lidl », se désole-t-elle. Qu’importe, l’escapade s’annonce belle sur la plage de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais) où le Secours populaire organise ce qu’il appelle une « Journée du bonheur ».

Selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), dans son enquête menée en mai, 36 % des enfants de 5 à 19 ans, soit 4,5 millions de jeunes, n’ont pas pris de vacances au cours des douze derniers mois, et même 39 % de ceux vivant dans une famille de plus de trois enfants. Ce taux stagne depuis des années, la saison 2020 s’annonçant pire encore en raison de la crise sanitaire et de ses contraintes qui viennent aggraver les problèmes financiers des familles.

Les Tiebourki et leurs trois enfants n’iront pas en Tunisie et ce moment à la plage est leur seule respiration. La famille Abdou a dû, elle, renoncer à un séjour en camping sur la Côte d’Azur : « L’an passé, on avait réussi à mettre un peu d’argent de côté, pas cette année où, en plus, le prix du camping a doublé », s’indigne Mme Abdou.

Droit aux vacances

Le Secours populaire fait du droit aux vacances un axe fort de son action et organise, depuis plus de quarante ans, la Journée des oubliés des vacances, en emmenant, chaque été, 5 000 Franciliens passer une journée à la mer. Cette année, il n’en accompagnera que deux fois 200. Les accueils d’enfants en familles sont également supprimés et les séjours de vacances très réduits : pour les seuls Parisiens, 83 sont prévus au lieu des 140 habituels.

« C’est pourquoi nous multiplions les sorties culturelles ou dans les bases de loisirs, au rythme de deux par semaine », explique Dorian Derville-Pionchon. Cet étudiant a déjà accompli un service civique au Secours populaire, qui l’a embauché tout l’été pour encadrer ces sorties.

Rendez-vous dimanche 16 août, à l’aube, place du Châtelet. Une vingtaine de familles, 49 personnes en tout, montent dans le car. Certains n’ont été prévenus que la veille car, en cas de désistement, pas question de ne pas proposer la place libre à quelqu’un d’autre. Neuf bénévoles les encadrent, souvent d’anciens bénéficiaires habitués du voyage. C’est le cas de Latifa, une fidèle qui confie que le Secours populaire l’a sauvée d’un mari violent.

Lassim, jeune Malien, joueur de football à Montfermeil et pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, est un assidu des sorties et un formidable animateur, adoré des enfants : « J’ai moi-même tellement souffert en arrivant en France, parce que j’ai été abandonné par le manager de foot qui m’avait fait venir, que ça me fait plaisir de donner le sourire aux familles. » Il a trouvé là sa vocation et envisage une formation d’animateur, plutôt qu’agent de sécurité.

« Pourquoi la mer, elle s’en va ? »

Dans le car, au fil des kilomètres, le niveau sonore monte, l’excitation avec, et les enfants s’impatientent. Quand apparaissent la mer et l’immense plage de Berck, l’étonnement est général : « Mais c’est tout plat ! », constate Yamina, adolescente ; « Pourquoi la mer, elle s’en va ? », s’interroge sa copine Malek, surprise par la marée basse…

Tout est découverte : les pieds nus dans le sable fin, le goût salé de la mer, les coquillages, les petits crabes vivants que l’on capture et voudrait ramener à Paris… Quoi ? L’Angleterre et la Belgique sont à quelques dizaines de kilomètres seulement ? Ce coin de la Manche et la jolie ville de Berck, délicieusement vintage, sont bien exotiques. A l’heure du déjeuner, on s’offre des glaces ou des cornets de frites « et ils font payer la sauce 50 centimes en plus », râle le jeune Younès.

Ce n’est pas le ciel, momentanément gris, qui découragera de se baigner. Mohammed Chowki, 9 ans, mal voyant, ne boude pas son plaisir et se jette dans l’eau à corps perdu ; moins téméraires, d’autres s’assoient sur le sable et laissent les vagues leur lécher les pieds. Izdihar Djeballa filme son mari Hocine sortant fièrement de l’eau avec, sur chaque bras, une de leurs deux filles ayant, pour l’occasion, sorti leur maillot de bain à volants à l’effigie de la petite sirène de Walt Disney.

Elles demanderont à revoir la vidéo, les jours de cafard dans la petite chambre d’hôtel où les héberge le 115 : « Le confinement puis la canicule, qui nous obligeait à nous coucher avec des serviettes mouillées, c’était dur », raconte Mme Djeballa qui, bien que diplômée en biologie, est employée par la société Lulu dans ma rue pour accomplir mille tâches domestiques, ménage, repassage, faire les courses pour des personnes âgées, promener le chien, garder le chat…

Beaucoup de ces vacanciers d’un jour vivent dans de petits logements, voire en chambres d’hôtel, et certains ne sont pas sortis de Paris depuis trois ans. Rentrés à Châtelet tard dans la soirée, certains s’enquièrent déjà de la prochaine sortie.

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