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Jours tranquilles à Paris
27 août 2020

Les couleurs du sexe : le vert, au risque du greenwashing

Par Maïa Mazaurette

Cet été, la chroniqueuse et illustratrice de « La Matinale » Maïa Mazaurette sort chaque dimanche son nuancier pour raconter la sexualité et prodiguer ses conseils. Aujourd’hui, le vert et les sextoys écoresponsables ou les applications de rencontres dédiées aux végans.

LE SEXE SELON MAÏA

Notre série d’été touche à sa fin : avec ce dernier épisode, nous entrons dans le domaine des couleurs délaissées par le monde de la sexualité – et en particulier le vert, surpolitisé, évocateur de plaisirs champêtres, du végétal (en opposition à l’animal), mais aussi de la maladie et de la putréfaction (moyennement sexy).

Ce désamour se repère à vue d’œil : en 2014, quand le journaliste Jon Millward (spécialiste en analyse de données) s’amusait à classer par couleurs tous les godemichés, vibromasseurs et plugs de la plate-forme LoveHoney, trois teintes brillaient par leur absence : le jaune, l’orange et le vert. Six ans plus tard, le nuancier reste tout aussi conservateur : sur Amazon, on trouve 58 résultats pour la recherche « sextoy jaune », 127 pour « sextoy orange », 137 pour « sextoy vert »… mais 376 résultats pour des jouets sexuels roses, et plus de 1 000 pour des jouets sexuels noirs !

Attention, cependant, car si le vert semble abandonné, c’est pour mieux se concentrer sur une niche en expansion : l’écolo-bio-équitable. Commençons donc par les sextoys, qui ont entamé il y a quinze ans une solide cure de greenwashing (pardon, d’écoblanchiment). Si les bonnes pratiques sont aujourd’hui largement répandues (la plupart des marques sérieuses ne risqueraient pas un potentiel bad buzz), ça n’a pas toujours été le cas.

Recycler les sextoys

Concrètement, le minimum exigé consiste à proposer des sextoys rechargeables et sans phtalates. Rechargeables pour ne pas laisser traîner des piles partout (les vibrateurs à mini-panneau solaire intégré existent), et sans perturbateurs endocriniens comme les phtalates ou le bisphénol A, aux conséquences néfastes sur la testostérone et la fertilité masculine.

Vous cherchez une solution écoresponsable pour votre prochain achat ? Il y a trois possibilités. Tout d’abord les sextoys en bois (Dee Lee Doo, Teatiamo, Idée du désir), en verre (Icicles) ou en métal (Njoy). Ensuite les sextoys 100 % silicone : ils demeurent non biodégradables, mais au moins la composititon n’est dangereuse ni pour la santé ni pour l’environnement. Vous trouverez de quoi vous amuser chez des marques spécialisées comme Leaf Vibes, Praline & Priape ou Point-Q, mais aussi chez les poids lourds européens que sont Lelo et Fun Factory. Faites particulièrement attention aux sextoys bon marché : quand un produit est beaucoup moins cher que les autres, il y a une raison.

Enfin, vous pouvez recycler ! La marque Passage du désir a lancé cette année un programme spécifique : si vous leur renvoyez vos sextoys, vous recevrez 10 euros de bon d’achat, et 1 euro sera reversé à l’association Coeur de forêt. Si cette option vous semble trop chronophage, n’oubliez pas que les sextoys font d’excellents cale-portes, et de très bons jouets pour vos animaux domestiques (je plaisante).

Laissons maintenant les sextoys de côté, car c’est du côté des produits périssables que le souci écologique prend son envol. Si les Etats-Unis ont commercialisé leur premier lubrifiant bio en 2004, la France suit le mouvement avec des marques comme Divinextases, Goliate, My Lubie, Baûbo, qui proposent des lubrifiants, crèmes et huiles méticuleusement composées. Selon les produits, vous trouverez des emballages recyclables, des formules sans paraben, colorants, parfums, alcools, etc. Pensez aussi au Green Condom Club pour les préservatifs.

Les œufs en jade de Gwyneth Paltrow

Ce marché de la consommation sexoresponsable est essentiellement dirigé vers un public féminin : les femmes ont en effet tendance à faire plus attention à l’environnement que les hommes, au point qu’on parle d’un eco-gender gap – un fossé des genres en termes de conscience écologique. La même inflexion green s’observe et se prolonge dans le monde des cosmétiques en général, mais aussi des produits intimes comme les cups menstruelles et les protections périodiques lavables.

Bien sûr, la tendance peut aussi prendre des formes extrêmes : on s’était amusé en 2017 quand Gwyneth Paltrow avait lancé ses œufs vaginaux en jade qui coûtaient un bras (et qui sont toujours en vente pour 66 dollars l’unité), mais il existe de nombreuses marques proposant des godemichés en cristal ou pierres semi-précieuses, destinés à ouvrir vos chakras (et pas que). Chez Chakrubs, vous pouvez ainsi acquérir un dildo en quartz rose pour la modique somme de 160 dollars. Entre autres promesses, cette pierre permet apparemment de « guérir les blessures d’enfance et de reprogrammer son cœur pour l’amour » (quel programme !).

Tout cela vous semble trop bon enfant ? Très bien, passons à la pornographie, grosse consommatrice de stockage de données, donc grosse émettrice d’empreinte carbone (82 millions de tonnes de gaz à effet de serre en 2018, selon un rapport du think tank The Shift Project en 2019). De ce côté-là, c’est simple, non seulement rien ne bouge, mais la situation a tendance à s’aggraver à mesure que les audiences s’envolent.

Même les militants jettent l’éponge ! L’association norvégienne Fuck for Forest, fondée en 2003 et dévolue à l’éco-porn, a mis la clé sous la porte en 2016. La cultissime performeuse féministe Annie Sprinkle, qui se définit comme écosexuelle, semble sur Twitter avoir diversifié ses activités (par curiosité, vous pouvez toujours parcourir son site SexEcology ou lire son Ecosex Manifesto).

GreenLovers, Tendrils... Des sites de rencontres pour végans

Pour les écolos convertis, mieux vaut donc renoncer au porno pour se tourner du côté des applis de rencontres dédiées : Veggly, Vegandr ou Tendrils pour les végans (les plaisirs de la chair peuvent bien se passer de la chair animale), GreenLovers, Amours Bio ou Ecolo Rencontre pour les autres (sachant que l’offre est pléthorique). On remplacera alors le premier rendez-vous au zoo par un verre de vin biodynamique ou un atelier compost. Avant d’organiser, en temps voulu, un mariage bio (comme le propose Marc Dannam dans Osez… le sexe écolo, réédité l’an dernier aux éditions La Musardine).

Pas glamour ? Le monde de l’érotisme entretient en effet un rapport contrarié à l’écologie. Côté face, le sexe est présenté comme absolument naturel – un loisir gratuit, échappant aux flux capitalistiques mondiaux, donc résolument vert. Côté pile, notre liberté de parole repose essentiellement sur les géants d’Internet et leurs data centers, l’indépendance des femmes serait compliquée sans les supports chimiques nécessaires à la contraception… et nous sommes bien contents quand le commerce global nous donne accès aux préservatifs et au lubrifiant.

Faut-il abandonner tout espoir de concilier planète et galipettes ? Certainement pas. Déjà parce que, comme le montre l’exemple des sextoys, nous pouvons faire bouger les lignes. Ensuite parce que la créativité humaine ne connaît aucune limite : nous pourrions par exemple profiter de l’occasion pour mettre au goût du jour la dendrophilie, soit l’attraction pour le sexe avec les arbres. Bien sûr, ce n’est pas précisément la paraphilie la plus répandue au monde… mais pour sauver la Terre, pourquoi ne pas, effectivement, tenter le sexe vraiment nature ?

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