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Jours tranquilles à Paris
29 août 2020

Meulière des Dupont de Ligonnès, chalet des Flactif, château de Fourniret…

Des maisons, des crimes, et des déboires immobiliers

Par Isabelle Rey-Lefebvre

Les faits divers sanglants collent souvent aux murs des maisons dont ils ont percuté l’histoire. Ces décors de crimes célèbres peuvent devenir de lourds fardeaux pour leurs propriétaires.

Maison des Dupont de Ligonnès à Nantes, chalet de la famille Flactif au Grand-Bornand (Haute-Savoie), château de Michel Fourniret dans les Ardennes… Les faits divers sanglants ont souvent une adresse.

Appartement, maison, rue, village conservent, avant que le temps ait mis le traumatisme à distance, le souvenir des drames. Les demeures qui ont été le décor d’un crime peuvent devenir d’encombrants fardeaux dont les propriétaires subissent la célébrité malsaine, quand elles ne sont pas, en plus, otages d’une procédure judiciaire sans fin.

« Les maisons ont une âme, en général belle, que l’on met en valeur en conservant, par exemple, des éléments d’architecture, des ornements du passé, témoins de la vie qu’elles ont abritée », estime Chantal Lenoan, conseillère en immobilier à Nantes, installée à quelques rues de la maison où résidait la famille Dupont de Ligonnès – le père, Xavier, est soupçonné d’avoir froidement assassiné sa femme et ses quatre enfants, début avril 2011, avant de les ensevelir sous la terrasse. « Il est évident que cette adresse a un gros passif. Moi, je ne pourrais pas y vivre… », ajoute-t-elle.

« Devoir de transparence »

La maison nantaise, d’allure classique, en meulière, de 100 m2 sur jardin, dans un quartier sagement bourgeois avec écoles privées et près du centre-ville, a été louée par la famille Dupont de Ligonnès jusqu’au drame. Restée inhabitée durant quatre ans, elle a été cédée une première fois en 2015 par ses propriétaires, au prix de 260 000 euros, bien inférieur au prix du marché, plus proche de 450 000 euros.

Remise en vente début 2019 après une rénovation complète, elle n’a pas tout de suite trouvé preneur, provoquant des désistements en série. « Un jeune couple avec un enfant s’était positionné pour l’acheter mais, ne se voyant pas lui expliquer toute l’histoire, dont forcément il aurait entendu parler à l’école par ses petits copains, ce couple a renoncé », se souvient Nicolas Retiere, conseiller du réseau Safti Immobilier, installé à proximité.

Et d’ajouter, amer : « De notre côté, nous devons dévoiler l’histoire aux clients, envers qui nous avons un devoir de transparence, a fortiori s’ils nous posent la question. Mais, selon moi, les journalistes, en médiatisant indéfiniment les affaires, notamment celle-ci, en se plantant devant la maison pour la photographier, harceler les voisins, sont aussi responsables de la persistance de sa mauvaise réputation. »

Cette affaire, loin d’être close, puisque le principal suspect n’a pas été retrouvé, revient en effet souvent sous le feu de l’actualité, suscite des émissions de télévision ou, plus récemment, une enquête remarquée du magazine Society, objet de plusieurs tirages cet été.

La vente du logement occupé par les Dupont de Ligonnès, proposé à 479 000 euros, a finalement été conclue, en juin 2019, au prix de 413 350 euros, selon les données publiques. « Ce type de maison bourgeoise avec jardin, dans ce secteur de Nantes, part d’habitude beaucoup plus vite, en quelques jours, et pour plus cher. Ce bien est compliqué à vendre… », résume Thomas Le Masson, agent immobilier basé dans le quartier.

« Ce n’est pas notre histoire »

Diane Floch, 59 ans, habite depuis 2004 la maison de Prévessin-Moëns (Ain) où Jean-Claude Romand, faux médecin prétendant être employé par l’Organisation mondiale de la santé à Genève a, le 9 janvier 1993, tué sa femme et ses deux enfants – il a également assassiné ses parents, à environ 80 kilomètres de là, et tenté de tuer sa maîtresse, en région parisienne – puis déclenché un incendie.

« Cette ancienne fermette est dans ma famille depuis 1798, explique Mme Floch. Ma grand-mère y a vécu, mes arrière-grands-parents y tenaient un café à l’époque où Prévessin n’était qu’un petit village de 400 habitants. » Prévessin-Moëns en compte aujourd’hui 8 300 et est devenue une banlieue résidentielle de Genève, où se pressent travailleurs frontaliers et fonctionnaires internationaux – ce que prétendait être Jean-Claude Romand.

« C’est une population de passage, qui se renouvelle tous les trois ans et n’est guère attachée au pays de Gex, souligne Mme Floch, conseillère municipale très investie dans la vie de sa commune, dont elle connaît bien l’histoire. Je l’ai aussi habitée, cette maison, lorsque j’étais étudiante aux Beaux-Arts, avant que mon oncle la loue, brièvement et sans formalités, entre 1991 et 1993, à la famille Romand. Donc Romand, ce n’est pas notre histoire et j’en ai d’ailleurs ras-le-bol d’en entendre parler. »

Après le drame et l’incendie, le temps que la lente procédure s’achève par la condamnation de Jean-Claude Romand et sa mise en détention, en 1996, la maison est restée vide, mal bâchée, prenant l’eau. Diane Floch l’a rachetée en l’état à sa tante, en 1998.

« Nous avons, avec mon compagnon d’alors, réalisé les travaux à deux, triplé la surface en rendant les granges habitables. On a tout fait de nos mains, sauf le toit et l’électricité, et nous avons pu emménager en 2004, avec nos quatre enfants. Moi, je la défends cette maison, on s’y sent bien, je la trouve joyeuse. On a un grand jardin, dont 800 m2 accueillent un potager collectif ouvert aux gens du village », raconte-t-elle.

« ON EST ENQUIQUINÉ PAR DES JOURNALISTES OU PAR DES FOUFOUS QUI VEULENT BRÛLER LA MAISON, DES TOURISTES QUI VEULENT LA VISITER », S’AGACE MME FLOCH.

La sortie de prison, en juin 2019, de M. Romand a – tout comme le récit L’Adversaire d’Emmanuel Carrère paru en janvier 2000, aux éditions P.O.L, puis l’adaptation cinématographique de Nicole Garcia, sortie en 2002 – remis ce fait divers dans l’actualité et ravivé la curiosité. « A chaque fois, on est enquiquiné par des journalistes ou par des foufous qui veulent brûler la maison, des touristes qui veulent la visiter, voir si le cerisier qu’ils ont vu dans le film L’Adversaire est toujours là… Quand ce n’est pas un présentateur télé qui veut envoyer un médium ! », s’agace Mme Floch.

Les désagréments ne s’arrêtent pas là : « Les enfants aussi ont été questionnés par leurs copains d’école, certains ne voulaient pas venir dans cette “maison pleine de fantômes”… Moi, les fantômes, je les sens bienveillants, je vis en bonne intelligence avec eux. Dans toutes les maisons anciennes, forcément, il y a eu des morts ! »

Pour rassurer son entourage, Mme Floch a, pratique habituelle dans le pays, fait appel lors de son emménagement à un « guérisseur du Jura, un coupeur de feu qui a nettoyé la maison à la sauge et l’a déclarée saine », se rappelle-t-elle.

Déprécié de 25 %

A une heure et demie de route de là, dans les montagnes des Aravis, d’autres fantômes rodent. « Cet établissement n’est généralement pas disponible. Vous avez de la chance ! », indique le site de réservation touristique en ligne Booking.com, en réponse à une requête pour louer, à la dernière minute du 15 au 22 août, le chalet Les Laurencières, au Grand-Bornand (Haute-Savoie)

Tout de bois clair, luxueusement aménagé pour accueillir, dans ses 230 m2 et ses sept chambres, jusqu’à dix-huit personnes à la fois, avec sa grande terrasse et les vues sur la chaîne de montagnes des Aravis, la maison a vu le massacre, en avril 2003, de la famille Flactif, les parents et leurs trois jeunes enfants, par des voisins jaloux, rapidement identifiés et condamnés.

L’enquête close, les parents et héritiers de Xavier Flactif, promoteur qui avait fait construire ce chalet, l’ont récupéré et mis aux enchères, le 11 juin 2009. Expertisé 825 000 euros en 2006, puis déprécié de 25 % pour « faits criminels », il a été emporté à 315 000 euros par un couple de retraités belges.

« Nous prévenons bien sûr les locataires de ce qui s’est passé ici, mais ce beau chalet, qui a fait l’objet d’une rénovation complète, se loue très bien, 2 500 euros la semaine en été, 5 000 euros en hiver, plutôt à une clientèle internationale », rassure David Gidet, d’Aravis Holidays Immobilier, agence spécialiste des grands chalets, chargée de la gestion de celui des Laurencières.

Est-ce cependant une bonne affaire ? A consulter les plates-formes de réservation, Airbnb, Expedia, Abritel et le site d’Aravis Holidays, le gîte, bien que loué depuis 2011, suscite peu de commentaires de vacanciers, voire quelques réflexions dissuasives de personnes qui n’y ont pas séjourné : « Même gratuitement, on ne dort pas dans le chalet où une famille a été massacrée », lance une internaute.

« Les crimes, surtout de sang, suscitent dans un premier temps une émotion collective, des attroupements, une fascination liée à la violence, notamment s’ils se sont déroulés dans une maison, lieu d’intimité et de sécurité », observe Dominique Kalifa, historien. Cet auteur de nombreux ouvrages, dont Atlas du crime à Paris. Du Moyen Age à nos jours (avec Jean-Claude Farcy, Parigramme, 2015), voit cela comme un rite nécessaire : « Depuis le XIXe siècle et le développement de la presse grand public, les journaux parlent de “drame”, de “scandale”, retraçant en détail le parcours de l’assassin, croquis, dessins puis photos à l’appui. Cette médiatisation est nécessaire pour que le crime existe, et l’émotion peut durer longtemps, marquer les lieux comme lorsque Balzac, dans [son roman] Ferragus, désigne des “rues assassines”. »

« Un aléa de la vie »

Pour arriver au château du Sautou, il faut, depuis Donchery (Ardennes), parcourir des kilomètres de forêt avant de s’engager dans une longue allée privée de plus de 600 mètres. La bâtisse, flanquée de deux tourelles, a été érigée en 1871 par le maire et député radical-socialiste de Charleville-Mézières, Georges Corneau, qui en fit un rendez-vous de chasse au milieu de quinze hectares de forêt. C’est une des demeures du tueur en série Michel Fourniret, isolée à souhait pour y enterrer des victimes – au moins deux y ont été identifiées.

Voir débarquer une armada de gendarmes et d’experts venus, sur réquisition judiciaire, retourner le parc et la forêt alentour ne doit pas être un moment très joyeux pour les propriétaires », admet Didier Seban, avocat de plusieurs victimes du tueur. Il est, notamment, le conseil des parents de la jeune Estelle Mouzin, disparue depuis le 9 janvier 2003. Monique Olivier, l’ex-femme de Michel Fourniret, vient récemment de le désigner devant la justice comme le tueur.

Fourniret avait acheté la propriété en 1989 pour 1,2 million de francs (soit environ 292 000 euros, en tenant compte de l’inflation), payés en liquide avec une partie du trésor du « gang des postiches », dont il avait découvert la cachette grâce à la confidence d’un codétenu. Il l’a occupée peu de temps, redoutant, non pas la police qui n’était pas encore à ses trousses, mais les représailles des membres de ce gang. Elle fut revendue, dès 1991, à un couple d’Ardennais qui en a fait un gîte de luxe.

En 2003, le château est à nouveau cédé, pour 500 000 euros, à la société civile immobilière familiale d’un couple de pharmaciens belges habitant tout près, de l’autre côté de la frontière, près de Namur. A cette époque, nul ne se doute du parcours criminel de Fourniret ni n’imagine que ce coin de forêt des Ardennes recèle tant de secrets. « C’est un aléa de la vie qui nous est tombé dessus », confie, philosophe, la pharmacienne belge, qui ne veut pas en dire plus. Même discrétion à la mairie de Donchery et chez les agents immobiliers du cru.

Imbroglio juridique

Nul crime de sang, en revanche, au château Martel, près du joli village classé de Monflanquin (Lot-et-Garonne), mais un fait divers glaçant qui a marqué la mémoire collective. Un huis clos infernal où onze personnes d’une même grande famille de l’aristocratie bordelaise, les de Védrines, ont été, entre juin 2001 et octobre 2009, soumis, dans cette demeure puis dans une autre propriété familiale à Oxford (Angleterre), à l’emprise d’un gourou, Thierry Tilly. Ce dernier les a manipulés et spoliés, leur faisant vendre tous leurs biens pour un total estimé de 4,5 millions d’euros, dont ce château de 1 000 m2 et son parc d’agrément de 1,7 hectare.

Le tourmenteur a été condamné, le 4 juin 2013, à dix ans de prison ferme par la cour d’appel de Bordeaux et les de Védrines, rétablis, ont voulu racheter le château Martel, « berceau de la famille depuis 1732, précise leur avocat, Daniel Picotin. Le récupérer est donc une affaire d’honneur plus que d’argent ».

Mais la bâtisse est depuis dix ans au cœur d’un imbroglio juridique toujours pas dénoué. Estimée à 850 000 euros, elle a été vendue une première fois, en janvier 2008, au prix décoté de 460 000 euros, du fait de son occupation passée par la famille, à la SCI YIFE de Soufiane Besbes, sur ordre du gourou et selon « un montage juridique particulièrement déséquilibré, à la défaveur des consorts de Védrines », précisent les magistrats de la cour d’appel d’Agen dans leur arrêt du 17 décembre 2015, qui annule cette vente.

Mais entre-temps, le 20 juin 2009, le château a été cédé une seconde fois, pour 540 000 euros, à une jeune femme venue du Calvados et souhaitant s’installer à Monflanquin avec conjoint et enfant. Or, dans le même arrêt, la cour d’appel d’Agen non seulement n’annule pas cette seconde vente, mais la conforte, considérant la nouvelle propriétaire « de bonne foi », exonérant au passage de toute faute professionnelle le notaire des deux ventes, Me Jean-Jacques Boué.

Les de Védrines se sont donc pourvus en cassation. La décision est attendue en septembre. « Ma cliente, la propriétaire et occupante actuelle, regrette évidemment cet achat, explique son avocat, Basile Mery-Larroche, car elle est, depuis plus de dix ans, non seulement importunée par des journalistes, des touristes, des curieux, mais surtout bloquée dans ses projets, ne pouvant ni se lancer dans des travaux, ni revendre en raison de la procédure même, signalée aux hypothèques et qui risque de remettre en cause son statut de propriétaire. »

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