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Jours tranquilles à Paris
6 septembre 2020

Enquête - A la recherche de l’insaisissable macronisme

Par Thomas Wieder - Le Monde

Libéral mais pragmatique avant tout, le chef de l’Etat parvient à cultiver une rhétorique antisystème tout en occupant le centre de l’échiquier politique. Trois ans et demi après l’élection présidentielle, définir sa « doctrine » semble être une gageure.

C’était le 13 avril. Ce soir-là, pour la troisième fois depuis le début de l’épidémie de Covid-19, Emmanuel Macron s’adressait aux Français depuis l’Elysée. Face à 36 millions de téléspectateurs confinés – un record d’audience absolu pour une allocution présidentielle –, le chef de l’Etat déclara notamment ceci : « Nous sommes à un moment de vérité qui impose plus d’ambition et plus d’audace. Un moment de refondation. (…) Ne cherchons pas tout de suite à y trouver la confirmation de ce en quoi nous avions toujours cru. Non. Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier. »

Se « réinventer » ? La formule, teintée d’autocritique, en rappelait d’autres. « J’ai changé, parce que j’ai eu à supporter le poids des affaires pendant sept ans », avait lancé Valéry Giscard d’Estaing, le 5 mai 1981, lors du débat d’avant second tour qui l’opposait à François Mitterrand. « Je serai différent, parce que j’ai déjà été président pendant cinq ans. Et on ne reproduit pas les erreurs qu’on a pu commettre », avait déclaré Nicolas Sarkozy à Paris Match, un mois avant la présidentielle de 2012.

Une nouvelle « révolution »

L’analogie s’arrête là. Contrairement à ses prédécesseurs, qui tinrent ces propos en pleine campagne pour leur réélection, Emmanuel Macron est encore loin de la fin de son mandat. Mais, surtout, les mots qu’il prononça le 13 avril sont bien plus forts que ceux de Valéry Giscard d’Estaing ou de Nicolas Sarkozy. En promettant ni plus ni moins de se « réinventer », l’actuel chef de l’Etat a choisi, ce soir-là, de renouer avec l’imaginaire qu’il convoqua au moment de se lancer à la conquête de l’Elysée, et que résumait le titre du livre qu’il publia à l’époque : Révolution (éditions XO, 2016).

Depuis la crise liée au Covid-19, une nouvelle « révolution » macronienne serait donc en marche. Six mois plus tard, il est sans doute prématuré de vouloir en mesurer la portée. En revanche, il n’est pas trop tôt pour évaluer la nature de la première. Après tout, c’est le président lui-même qui invite à dresser un tel bilan : en prétendant aujourd’hui se « réinventer », il s’expose logiquement à ce que l’on s’interroge sur ce qu’il a « inventé » jusqu’à présent. Telle est la question que Le Monde a posée à une douzaine d’analystes et de chercheurs de différentes disciplines, français et étrangers, et que l’on peut formuler ainsi : le « macronisme » existe-t-il ?

« AU FOND, C’EST UNE SORTE DE SYNTHÈSE ENTRE PIERRE MENDÈS FRANCE ET JACQUES CHABAN-DELMAS », L’HISTORIEN BRITANNIQUE SUDHIR HAZAREESINGH

Trois ans et demi après l’élection présidentielle, certains estiment que ce que le candidat Macron avait promis de nouveau en termes d’offre politique n’a guère résisté à l’épreuve du pouvoir. C’est le regard que porte l’historien britannique Sudhir Hazareesingh. Professeur à l’université d’Oxford, ce spécialiste de la France contemporaine estime que l’actuel chef de l’Etat est avant tout « l’héritier d’une longue tradition technocratique qui est apparue au XIXe siècle avec le saint-simonisme, mais qui ne s’est vraiment consolidée que sous la Ve République ».

Pour Sudhir Hazareesingh, tel est le sens profond du « et droite et gauche » promu par Emmanuel Macron en 2017 et qui, trois ans plus tard, demeurerait la véritable identité politique du président de la République. « Sur le plan idéologique, Macron reste difficile à définir : il y a en lui du libéral et du pragmatique, du modernisateur et du gestionnaire, explique l’universitaire d’Oxford. Au fond, c’est une sorte de synthèse entre Pierre Mendès France et Jacques Chaban-Delmas. Ou, si l’on pense à la génération d’après, entre Michel Rocard, dont il a dit à sa mort [en 2016] qu’il était pour lui un “exemple”, et Alain Juppé, dont il a nommé le plus proche collaborateur, Edouard Philippe, au poste de premier ministre. »

Sans totalement contester la pertinence d’une telle généalogie, la philosophe Blandine Kriegel, professeure émérite de l’université Paris-X-Nanterre, la considère toutefois comme réductrice, et estime qu’elle masque ce qui fait la singularité du macronisme. « Comme Mendès ou Rocard, Macron incarne une gauche modernisée. Mais, contrairement à eux, il n’est pas passé du socialisme au libéralisme », assure cette spécialiste de la République et de l’idée de souveraineté.

Est-ce à dire que le chef de l’Etat n’est pas « libéral » ? « Si, mais le réduire à cela, comme on le fait trop souvent, empêche de voir le reste et notamment l’intérêt qu’Emmanuel Macron – en disciple de Paul Ricœur – accorde au symbolique et au religieux », souligne Blandine Kriegel.

« Le libéralisme est pour lui une évidence »

De ce point de vue, la question générationnelle est sans doute déterminante pour situer le « macronisme » sur le plan doctrinal. Né en 1977, Emmanuel Macron est entré dans l’âge adulte après la fin de la guerre froide, autrement dit, à l’époque où le libéralisme semblait avoir définitivement triomphé du socialisme.

« Pour lui, le libéralisme est une évidence, et c’est peut-être pour cela que ce dernier lui apparaît comme insuffisant. A la différence d’un libéral classique, il pense que les hommes ne vivent pas que de pain, qu’il y a dans la vie humaine des questions qui dépassent notre finitude, et que les débats d’aujourd’hui ne sont pas seulement économiques et sociaux, mais aussi culturels et spirituels », insiste Blandine Kriegel.

Professeure de science politique à l’université Paris-II-Panthéon-Assas, Sylvie Strudel estime, elle aussi, que le qualificatif « libéral » ne convient qu’imparfaitement pour situer le chef de l’Etat sur l’échiquier politique. Plus le temps passe, plus elle en est d’ailleurs convaincue.

« Candidat, Emmanuel Macron pouvait être qualifié de social-libéral, dans sa volonté à la fois de libérer l’économie et de préserver le modèle social. Au début de sa présidence, la dimension libérale l’a très rapidement emporté, avec la suppression de l’impôt sur la fortune ou les réformes du marché du travail et de la SNCF. Mais depuis les “gilets jaunes” et, de façon encore plus spectaculaire, depuis le début de l’épidémie de Covid-19, on est entré dans une politique économique beaucoup plus interventionniste », explique Sylvie Strudel, pour qui une expression résume ce renoncement aux dogmes libéraux : le « quoi qu’il en coûte » martelé à deux reprises par Emmanuel Macron à la télévision, le 12 mars, à propos des moyens prêts à être déployés pour « protéger [les] salariés et [les] entreprises » des conséquences économiques de la crise sanitaire.

« Les références utilisées par le président depuis le début de la pandémie marquent une rupture très nette avec les précédentes », constate également Myriam Revault d’Allonnes, professeure émérite à l’Ecole pratique des hautes études.

Un exemple l’a particulièrement frappée : le choix fait par Emmanuel Macron, dans son allocution du 13 avril, de citer la deuxième phrase de l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (« Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune »). « On est là en contradiction totale avec la métaphore des “premiers de cordée”. Cette absence de cohérence est très troublante », estime la philosophe, qui vient d’achever la rédaction d’un essai intitulé L’Esprit du macronisme (à paraître en janvier 2021 aux éditions du Seuil).

« ALORS QU’HOLLANDE AVAIT LE  “EN MÊME TEMPS” HONTEUX, MACRON L’ASSUME EN LE PARANT D’UN AIR GLORIEUX », LA SÉMIOLOGUE CÉCILE ALDUY

Sous la Ve République, Emmanuel Macron n’aura pas été le premier à devoir radicalement changer, en cours de mandat, de politique économique. En 1983, François Mitterrand avait fait le chemin inverse en se convertissant à la « rigueur ». Fin 2008, le plan de relance présenté par Nicolas Sarkozy pour répondre au choc de la crise des subprimes contraignit le candidat de la « rupture » libérale à se transformer en keynésien classique.

En cela, le « macronisme » s’inscrit dans une longue histoire, et l’épreuve du pouvoir aura montré qu’il est bien davantage un pragmatisme qu’un dogmatisme, en dépit du goût affiché par le chef de l’Etat pour les débats théoriques. « Emmanuel Macron est un amoureux des idées mais c’est tout sauf un idéologue », estime ainsi la sémiologue Cécile Alduy, professeure à l’université Stanford (Etats-Unis).

Pour cette spécialiste de l’analyse des discours politiques, ce paradoxe est précisément l’une des forces du chef de l’Etat. « Macron s’est d’emblée affiché comme celui qui était capable de réconcilier les contraires. C’est ce qui le distingue fondamentalement de François Hollande. Dans le fond, leurs politiques ne sont pas très éloignées l’une de l’autre, mais alors qu’Hollande avait le “en même temps” honteux, Macron l’assume en le parant d’un air glorieux », explique Cécile Alduy.

Sur le plan de l’incarnation, les deux postures sont radicalement différentes. « Hollande donnait le sentiment de ne pas assumer ses contradictions. Macron, à l’inverse, les revendique pour les intégrer à une sorte de performance théâtrale dans laquelle il se voit comme un héros romantique confronté à l’histoire et à ses tournants successifs. » Vu ainsi, le macronisme aurait donc moins à voir avec une doctrine qu’avec une posture.

Correspondant du New York Times à Paris, Adam Nossiter partage lui aussi cet avis. « Macron est fondamentalement un pragmatique capable de s’adapter avec une réactivité impressionnante aux circonstances du moment, le tout sans se laisser impressionner », observe le journaliste. A ses yeux, cette souplesse idéologique ne doit toutefois pas créer l’illusion selon laquelle le macronisme serait dépourvu de tout centre de gravité.

« Pour moi, il y a chez Emmanuel Macron quelque chose de très proche des républicains américains, du moins des républicains classiques, pas des trumpistes. Comme eux, il croit d’abord à l’égalité des opportunités, autrement dit qu’il est plus important de permettre aux individus de réussir que d’aplanir les inégalités sociales existantes », affirme Adam Nossiter. Aujourd’hui encore, il reste marqué par la vidéo postée sur les réseaux sociaux, en juin 2018, où l’on voit le chef de l’Etat fulminer en bras de chemise depuis son bureau contre le « pognon de dingue » que les minima sociaux coûteraient au pays : « Ce n’était pas un accident. Macron pense fondamentalement cela, même s’il a compris, depuis, qu’il vaut mieux éviter de le dire quand on préside la France. »

L’angle de la « logique » populiste

Cette difficulté à cerner le « macronisme » sur le plan de la doctrine a conduit certains chercheurs à analyser celui-ci en recourant à une notion que la plupart des partisans du président français refusent d’associer à celui-ci : celle de populisme.

Telle est l’hypothèse qu’ont récemment défendue Charles Barthold (Open University, Londres) et Martin Fougère (Hanken Schools of Economics, Helsinki) dans un long article de la revue Organization. Les deux chercheurs ont conscience de l’incompréhension que peut susciter leur thèse si l’on envisage le populisme en tant qu’idéologie, à l’image du communisme, du fascisme ou du libéralisme. Si l’on considère en revanche le populisme comme une « logique », dans la lignée des travaux du philosophe argentin Ernesto Laclau (1935-2014), la façon dont Emmanuel Macron a conquis le pouvoir entre parfaitement dans cette catégorie.

« Pour Laclau, le populisme se caractérise par deux traits principaux : la formulation d’un discours articulant des éléments hétérogènes et la définition d’une nouvelle frontière politique, d’un nouveau clivage », rappellent ainsi les deux chercheurs. Or, c’est précisément ce qu’a réussi à faire Macron en 2017, poursuivent-ils : « D’un côté, un programme volontairement vague placé sous le mot d’ordre très général de “progressisme” ; de l’autre, la référence à un nouveau clivage impliquant la désignation d’un ennemi clairement identifié : la vieille classe dirigeante, les partis traditionnels, l’ancien monde. »

Au fond, là réside peut-être la principale singularité de la geste macronienne : une capacité à articuler une rhétorique antisystème généralement prisée par les extrêmes, en occupant un espace politique résolument centriste, à l’image des électeurs qui lui ont donné leur voix au premier tour de la présidentielle de 2017, venus tout à la fois du centre gauche et du centre droit.

« MACRON, COMME OBAMA ET RENZI, INCARNE UN “POPULISME BLANC”, HUMANISTE ET INCLUSIF, DANS LE DROIT-FIL DE LA PHILOSOPHIE DES LUMIÈRES », STEFAN SEIDENDORF, POLITISTE ALLEMAND

Pour l’historien et politiste allemand Stefan Seidendorf, directeur adjoint de l’institut franco-allemand de Ludwigsburg (Bade-Wurtemberg), la démarche en rappelle d’autres. « Barack Obama, aux Etats-Unis, ou Matteo Renzi, en Italie, sont arrivés au pouvoir de façon très comparable. Eux aussi voulaient secouer le vieux système politique, eux aussi sont allés très loin dans la critique de l’establishment », explique-t-il.

De là à parler de populisme ? « Oui, mais à condition de bien faire la différence entre deux types de populisme, précise Stefan Seidendorf. Macron, comme Obama et Renzi, incarne ce qu’on peut appeler un “populisme blanc”, humaniste, inclusif, dans le droit-fil de la philosophie des Lumières et ouvert au reste du monde, ce dont témoigne son engagement européen, sur lequel il a eu l’audace assez forte de faire campagne en 2017. Tout l’inverse de ce qu’on peut qualifier de “populistes noirs”, comme Donald Trump ou Marine Le Pen, qui défendent une société fermée, articulée autour des valeurs traditionnelles, et repliée derrière les frontières nationales. »

Cette promesse de s’attaquer aux scléroses de la vie démocratique a-t-elle été tenue ? Sur ce point aussi, les avis des chercheurs sont partagés. Pour certains, le chef de l’Etat n’est pas resté inactif dans ce domaine. « On ne peut pas juste dire qu’Emmanuel Macron, une fois au pouvoir, a tout oublié. Certes, sa façon de gouverner a été d’emblée très verticale et assez autoritaire, mais il a tenté au moins à deux reprises de répondre au malaise de la démocratie représentative en inventant de nouvelles façons d’associer les citoyens », explique ainsi Stefan Seidendorf, qui cite le « grand débat » consécutif à la révolte des « gilets jaunes » et, plus récemment, la convention citoyenne pour le climat.

D’autres, à l’inverse, sont plus sceptiques. C’est le cas d’Alexandre Viala, professeur de droit public à l’université de Montpellier. « Sur le plan de la pratique du pouvoir, Macron s’inscrit dans la longue tradition du “révisionnisme constitutionnel” des années 1930, incarnée par des personnalités comme Raymond Carré de Malberg, René Capitant ou André Tardieu, pour qui la réponse à la crise du système politique reposait avant tout sur un renforcement du pouvoir exécutif. C’est cette matrice qu’on retrouve en 1958, au moment où Charles de Gaulle fonde la Ve République », explique l’universitaire.

Le Covid-19 et le triomphe de « l’Etat rationnel »

Pour ces raisons, Alexandre Viala estime qu’il ne faut pas surestimer la portée du grand débat ou de la convention citoyenne pour le climat, qu’il voit avant tout comme des « concessions imposées par les circonstances ».

A l’inverse, une évolution lui semble plus notable, et démocratiquement plus problématique : le renforcement de l’épistocratie, autrement dit du pouvoir des experts et des savants. « En 2017, la tendance était déjà là, avec la nomination de nombreux ministres au profil de techniciens, très en phase avec l’idéal saint-simonien d’un pouvoir convaincu d’être guidé par la seule raison, au risque de disqualifier par avance toute alternative », explique l’universitaire. Or, trois ans plus tard, la crise due au Covid-19 ne ferait au fond qu’accélérer ce processus : « Le coronavirus constitue une sorte de divine surprise pour ceux qui défendent un tel système : il donne un pouvoir sans précédent aux scientifiques, et le débat public est réduit à des arbitrages de nature technique. C’est le triomphe de l’Etat rationnel et au fond la négation même de la politique », estime le chercheur.

Auteur d’un essai intitulé Le Moment Macron (Seuil), paru cinq mois après l’élection présidentielle de 2017, l’historien Jean-Noël Jeanneney partage cette analyse jusqu’à un certain point. Oui, estime-t-il, il y a chez l’actuel président une forme de saint-simonisme dans l’idée qu’il faut « libérer les énergies » et donner le pouvoir aux techniciens. Mais, à ses yeux, la filiation s’arrête là. « Saint-Simon voulait certes aider les talents neufs à surgir, en les libérant des entraves de la tradition, mais son école n’a cessé de dire que cela ne devait pas se faire aux dépens des plus fragiles. Macron, lui, a semblé souvent avoir oublié la deuxième partie du programme. »

Avec le recul, l’historien a lui aussi le sentiment que la promesse initiale de dépassement des vieux clivages n’a pas résisté à l’épreuve du pouvoir. En cela, le « moment Macron » apparaît moins comme une innovation que comme une nouvelle tentative de gouverner au centre dans un contexte de grave crise politique. A l’instar de Pierre Waldeck-Rousseau qui, en 1899, en pleine affaire Dreyfus, prit dans son gouvernement à la fois le général de Galliffet, le fusilleur des communards, et le socialiste Alexandre Millerand. Ou du général de Gaulle qui, en 1958, pendant la guerre d’Algérie, nomma ministres le socialiste Guy Mollet et l’homme de droite Antoine Pinay.

« Basculement progressif vers la droite »

Or, pas plus que ces expériences passées, la tentative macronienne n’a tenu dans la durée, estime Jean-Noël Jeanneney. « Cette idée de dépasser le clivage droite-gauche a pu apparaître conjoncturellement féconde, mais elle s’est révélée toujours illusoire dans la durée », estime l’historien, pour qui « le macronisme au pouvoir est l’histoire d’un basculement progressif vers la droite ».

A l’appui de cette thèse, l’historien cite d’abord l’évolution de la composition des gouvernements : « Edouard Philippe était le bras droit d’Alain Juppé, Jean Castex était le secrétaire général adjoint de Sarkozy, à qui on a fait mille grâces. On est passé d’une droite centriste à une droite plus affirmée, ce que soulignent encore davantage les récents appels du pied à Philippe de Villiers. Tandis que l’intérieur vient d’être livré, avec éclat, à la droite dure. »

Pour l’historien, Emmanuel Macron aurait pu choisir une autre stratégie : « Il pouvait décider de tout faire pour garder le soutien du centre gauche, par exemple en veillant à se concilier la CFDT au moment de la réforme des retraites. Or c’est le choix contraire qu’il a fait. »

« LE MACRONISME EST SANS DOUTE LE PHÉNOMÈNE POLITIQUE LE PLUS INTÉRESSANT EN FRANCE, AU COURS DES TRENTE DERNIÈRES ANNÉES, ET EN MÊME TEMPS LE PLUS ÉNIGMATIQUE », NICOLAS ROUSSELLIER, POLITISTE

Ce retour à du « connu » épuise-t-il pour autant la singularité du macronisme ? Bien qu’historien lui aussi, et donc enclin à tisser des généalogies et à ne pas prendre pour argent comptant ce qui se prétend inédit, Nicolas Roussellier met en garde contre une telle tentation. Selon ce maître de conférences à Sciences Po, « le macronisme bouscule les spécialistes de science politique autant que les dirigeants politiques eux-mêmes ».

Contrairement à d’autres mouvements, comme le gaullisme, qui sont apparus sur une scène politique déjà structurée par des partis traditionnels, le « macronisme » est à l’image du champ politique dans son ensemble : « On dit à juste titre qu’il manque de clarté doctrinale et qu’il s’appuie sur un parti – La République en marche – peu organisé et qui ne produit aucune idée nouvelle. C’est sans doute vrai, mais on peut dire à peu près la même chose de toutes les familles politiques, toutes en état de recomposition et de crise existentielle face à l’émergence de nouveaux types de mobilisation leur échappant totalement, à l’image des “gilets jaunes”. »

Auteur d’une étude de référence sur l’histoire du pouvoir exécutif en France (La Force de gouverner, Gallimard, 2015), Nicolas Roussellier n’hésite pas à le dire : « Le macronisme est sans doute le phénomène politique le plus intéressant qui a émergé en France au cours des trente dernières années, et en même temps le plus énigmatique. »

D’où, sans doute, le sens profond de la promesse de « réinvention » faite par Emmanuel Macron, le 13 avril, à la télévision. Une promesse qui correspond à l’essence même du macronisme, fondée sur sa capacité d’adaptation perpétuelle aux circonstances. Ce que Nicolas Roussellier définit comme le pari fondamental du président de la République : « Apparaître comme celui qui est le mieux à même de tenir le gouvernail et de faire avancer le bateau dans la tempête. »

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