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Jours tranquilles à Paris
9 septembre 2020

Pourquoi les négociations sur la relation « post-Brexit » entre l’UE et le Royaume-Uni patinent

Par Virginie Malingre, Bruxelles, bureau européen, Cécile Ducourtieux, Londres, correspondante

Un premier cycle de négociations commence mardi, et les négociations butent sur les deux mêmes sujets : la pêche et les conditions de concurrence.

« Cela ne va nulle part » : c’est une source européenne très au fait du sujet, qui qualifie ainsi les négociations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) sur la nature de leur relation future « post-Brexit » à compter du 1er janvier 2021. Et « cela n’ira nulle part en septembre », poursuit cet interlocuteur, alors que deux cycles de négociations sont prévus ce mois-ci – le premier commence mardi 8 septembre – entre les équipes de Michel Barnier, côté bruxellois, et de David Frost, côté britannique. « Le Royaume-Uni n’a pas bougé, ils n’ont pas négocié. Il ne se passera rien avant octobre », poursuit un diplomate.

Des deux côtés de la Manche, on a surtout été occupés par la gestion de la crise due au nouveau coronavirus et cela n’est pas terminé. Qui plus est, Boris Johnson souhaite sans doute laisser passer le congrès du Parti conservateur, en octobre, avant de se saisir plus activement du sujet Brexit.

Les négociations entre Londres et Bruxelles butent toujours sur les deux mêmes sujets. La pêche, d’abord : les Européens réclament pour leurs pêcheurs un accès inchangé aux eaux britanniques alors que les Britanniques souhaitent au moins voir doubler leurs droits de pêche dans leurs eaux territoriales. Seuls huit Etats membres – dont la France – sont concernés par ce sujet, mais, pour l’instant, les Vingt-Sept sont restés solidaires.

« Barnier a tenté une ouverture, mais les huit ministres européens de la pêche l’ont rappelé à l’ordre », confie un diplomate. Depuis, le négociateur en chef européen n’a plus rien lâché : « Sans une solution de long terme équilibrée et soutenable sur la pêche, il n’y aura tout simplement pas de partenariat économique », a-t-il répété le 2 septembre.

LES NÉGOCIATIONS BUTENT TOUJOURS SUR LES DEUX MÊMES SUJETS : LA PÊCHE ET LES CONDITIONS DE CONCURRENCE

Second dossier sur lequel les positions semblent inconciliables : les conditions de concurrence. Pour donner un accès privilégié aux Britanniques sur le marché intérieur – zéro quota, zéro droit de douane –, les Vingt-Sept veulent des assurances que Londres restera aligné sur les normes communautaires, notamment en matière d’aides d’Etat.

« Comment pouvons-nous conclure un accord sur notre partenariat économique à long terme sans savoir quel système d’aides ou de subventions publiques sera mis en place, sans assurance que le Royaume-Uni n’utilisera pas sa nouvelle autonomie pour créer des distorsions de concurrence à l’avenir ? », a interrogé Michel Barnier.

« Pays souverain »

« Sur la pêche, les Britanniques finiront par bouger. Sur les conditions de concurrence, c’est autre chose », confie un haut fonctionnaire. Londres le martèle depuis des mois : la promesse du Brexit, ce n’est pas de rester soumis aux règles européennes, alors même que le Royaume-Uni ne participera plus à leur élaboration. « L’UE doit admettre que nous sommes désormais un pays souverain », insiste-t-on à Downing Street.

A Bruxelles, on répète que le Royaume-Uni est un pays voisin et que le laisser diverger des règles communautaires représenterait un risque majeur de dumping pour les économies continentales. Comme l’avait dit la chancelière allemande, Angela Merkel, « après le Brexit, nous aurons un concurrent à notre porte ».

Preuve que les tensions s’exacerbent entre les parties à mesure que l’échéance approche : le ton ne cesse de monter, surtout du côté britannique, et les révélations (ou supposées telles) se succèdent dans les médias proches du gouvernement conservateur. « Cette fois-ci, nous ne céderons pas », titre le Mail on Sunday dimanche 6 septembre. Dans les colonnes du tabloïd, David Frost insiste, martial : le Royaume-Uni ne sera pas un état « vassal » de l’Europe.

« Exclusif : Barnier sur le point d’être évincé par les leaders européens », assure de son côté le Daily Telegraph le 4 septembre. Une information totalement infondée, réplique le secrétaire d’Etat français chargé des affaires européennes, Clément Beaune, qui tweete ironiquement : « Keep calm and support Michel Barnier. »

Le Spectator et le Times prétendent, pour leur part, que Boris Johnson ne cédera sous aucun prétexte à Bruxelles sur les aides d’Etat. Et que les chances d’un « deal » dans les temps sont donc tombées à entre « 30 % et 40 % ». A en croire le Sunday Times du 6 septembre, qui cite des « personnes clés du gouvernement », elles seraient même passées sous la barre des 20 %.

Dimanche soir, une partie de la presse nationale – Financial Times en tête – révèle que le gouvernement Johnson s’apprête à publier un projet de loi qui reviendrait sur des pans entiers de l’accord de divorce signé en 2019, notamment sur les très sensibles arrangements douaniers en Irlande du Nord. « Tout ce qui a été signé doit être respecté », a rétorqué Michel Barnier, lundi matin.

Faire diversion

Le jour même, Boris Johnson déclare pour sa part dans un communiqué : « Le Royaume-Uni peut prospérer même en l’absence d’accord. Un accord doit être trouvé pour le Conseil européen du 15 octobre (…) Si nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord d’ici là, il n’y aura pas d’accord commercial entre nous (…) Nous aurons alors un accord commercial du type “australien” [selon les conditions de l’Organisation mondiale du commerce]. Je veux être très clair : ce serait un bon résultat pour le Royaume-Uni (…) Si l’UE est prête à revoir ses positions, je serais ravi. Mais nous ne pouvons ni ne voulons accepter de compromis sur les conditions de notre indépendance nationale. »

Il y a un an tout juste, les médias et le gouvernement britanniques usaient du même type de déclarations définitives. Il s’agissait alors de boucler d’interminables discussions sur les termes du divorce entre le Royaume-Uni et l’UE – à l’époque, elles bloquaient sur la question d’une éventuelle frontière douanière en Irlande – et Downing Street prétendait préférer un « no deal » plutôt qu’un mauvais accord. Mi-octobre 2019, après des semaines de rhétorique et de refus ostensible de négocier, Boris Johnson avait quand même fini par signer un accord de divorce avec les Vingt-Sept.

Bis repetita en 2020 ? Doit-on s’attendre à davantage de déclarations bravaches côté britannique et à d’autres confidences côté européen sur le « pessimisme » des diplomates bruxellois désespérés de la supposée absence de « propositions britanniques » ?

A Londres, certains commentateurs insistent sur les dangers d’un « no deal », qui donnerait du grain à moudre aux indépendantistes écossais, déjà au plus haut dans les sondages. Ce risque est pris très au sérieux à Downing Street.

Mais pester sur Bruxelles permet de faire diversion par rapport à une actualité nationale : Boris Johnson est très critiqué pour sa gestion jusqu’à présent ratée de la crise du Covid-19, y compris au sein du Parti conservateur, où de plus en plus de voix s’inquiètent de son absence manifeste de vision et de leadership.

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