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Jours tranquilles à Paris
12 septembre 2020

Stratégie : quel plan pour le commissaire Bayrou ?

bayrouuuu

Par Lilian Alemagna - Libération

Le maire de Pau a été nommé pour mener une mission de prospective sur la politique de l’Etat, avec le «concours de France Stratégie», une structure rattachée à Matignon. Son rôle et ses objectifs demeurent toutefois flous.

De l’art de recycler ce qui existe déjà. François Bayrou a donc enfilé, la semaine dernière, son nouveau costume de «haut-commissaire au plan». Ressuscité dans une fonction créée par De Gaulle, l’ex-ministre et président du Modem devra, non pas s’assurer de la bonne marche du «plan de relance» à 100 milliards d’euros (ça, c’est pour Matignon et Bercy), mais «réfléchir» à la suite : Bayrou est, selon le décret d’attribution signé par le Premier ministre, Jean Castex, «chargé d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’Etat et d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels». Un poste (non rémunéré) de réflexion. Pas d’organisation.

On est loin, a priori, d’un Jean Monnet qui, dès 1946, prenant exemple sur les Américains durant la guerre, avait pour rôle de «planifier» les différentes étapes de la reconstruction du pays tout en «modernisant» l’appareil de production français en associant les acteurs des secteurs d’activité concernés, politiques et «experts». «Ce n’est pas une fonction exécutive. Et je n’ai pas voulu que ça le soit, assume Bayrou auprès de Libération. Je ne siège pas au Conseil des ministres. Je suis déterminé à ne jamais entrer en conflit. Car c’est au gouvernement que les décisions appartiennent. Mais ces décisions peuvent être mises en perspective.» Pour cela, ce même décret d’attribution annonce qu’il «dispose du concours de France Stratégie». Comment ? Mystère…

«Instructions»

Le brouillard règne au sein de cet organisme souvent qualifié de «think tank du gouvernement», mais qui tient à son «autonomie». «Les équipes sont assez stressées. Ils n’ont aucune information sur ce qu’il se trame», témoigne un ancien de la maison, logée dans un imposant bâtiment arts déco de l’avenue de Ségur, à Paris. L’immeuble, après d’importants travaux de modernisation, regroupe depuis 2017 plusieurs services rattachés au Premier ministre comme le Conseil d’analyse économique ou encore le Conseil d’orientation des retraites.

«C’est normal que des questions se posent, tempère Bayrou. Je vais donner des instructions, des orientations d’études. Le problème principal de France Stratégie est qu’il y a beaucoup de gens brillants, diplômés, qui produisent beaucoup d’études mais dont l’écho n’est pas proportionnel à leur valeur. Il faut de la cohérence et une capacité à faire connaître ce travail auprès des citoyens.»

«On n’a pas envie d’être vus comme un hochet, alerte un chercheur. On espère que la mission sera prise au sérieux.» Une «mission» de haut-commissaire au plan qui, sur le papier, n’a pas l’air si différente de ce qui se fait déjà à France Stratégie. Créé en 2013, le «Commissariat général à la stratégie et à la prospective» - nom officiel de France Stratégie - était déjà censé redonner vie à l’idée de «plan», disparue sous Chirac et Villepin en 2006, et alimenter en «prospective» un pouvoir accusé d’être le nez dans le guidon politicien. Le décret signé par le Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, donnait pour objectif aux près de 100 collaborateurs de France Stratégie d’aider le gouvernement dans «la détermination des grandes orientations de l’avenir de la nation et des objectifs à moyen et long terme de son développement économique, social, culturel et environnemental ainsi que pour la préparation des réformes décidées par les pouvoirs publics».

Comment ? En conduisant des «travaux de prospective» afin «d’éclairer les pouvoirs publics», en produisant des «études stratégiques permettant d’éclairer l’action du gouvernement et la préparation des réformes», ou encore en «évaluant» certaines politiques publiques. Ses axes de travail actuels : «Soutenir et financer la croissance», «les futurs du travail», «mieux protéger et donner plus de chances aux individus», «climat et territoires». Peu ou prou le nouveau job confié à François Bayrou… Problème : un homme s’occupe déjà d’« organise[r] les travaux» de France stratégie, comme le précise ce même décret de 2013. Il s’agit de Gilles de Margerie, actuel commissaire général de l’institution.

Cet énarque de 65 ans, passé par le secteur bancaire et éphémère directeur de cabinet d’Agnès Buzyn, a été nommé à ce poste en 2018 par Edouard Philippe. Il remplaçait alors l’ex-conseiller social de François Hollande, Michel Yahiel, débarqué après avoir eu l’idée (trop à gauche pour Matignon) de taxer les propriétaires en cas de nouvelle crise économique. Avant lui, le poste avait été taillé sur mesure par François Hollande pour l’économiste Jean Pisani-Ferry, l’un des architectes de ce nouveau Commissariat général puis corédacteur du programme économique d’Emmanuel Macron en 2017. Selon plusieurs sources, Margerie - muet depuis la nomination de Bayrou - n’a pas été associé à la création du nouveau poste de Bayrou. «Ils sont un peu deux sur un fauteuil. Ça va être compliqué», remarque un habitué des lieux qui rappelle notamment que les «recrutements» ou «les axes de travail» restent du domaine de Margerie tant qu’un autre décret n’est pas pris pour confier ces pouvoirs à Bayrou. «On attend avec impatience la lettre de mission signée par Macron», confie un responsable de France Stratégie. A Matignon, on assure qu’il n’existera «pas de relation hiérarchique entre le commissaire général et le haut-commissaire mais un lien fonctionnel qui lui permettra de mener à bien sa mission».

Visibilité

L’ex-ministre de l’Education et de la Justice doit d’ailleurs s’installer avenue de Ségur, de manière «provisoire», précise-t-on dans l’entourage du Premier ministre. Il aura droit, comme Jean-Paul Delevoye en son temps pour préparer la réforme des retraites, à «quelques collaborateurs» à lui et un budget propre toujours «en cours de fixation». En interne, les témoignages récoltés par Libération font état d’un personnel «mitigé» quant à la nomination d’un politique à leur tête. Autant, pointe un universitaire, «cela va donner de la visibilité à une structure qui n’en a plus depuis trois ans», autant, prévient le même, le risque est de voir le patron du principal parti allié à Emmanuel Macron transformer l’institution en «boîte à idées du gouvernement en vue de préparer la campagne présidentielle» du président sortant. «Je ne confonds en rien les domaines», a juré la semaine dernière Bayrou sur France 2.

Mais une partie des équipes de France Stratégie s’inquiète également de son «autonomie» lorsqu’il s’agira de livrer des évaluations sur des sujets économiques à très fort potentiel politique. Exemple : la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et la création d’un prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital. France Stratégie a la charge, via un «comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital» installé fin 2018, de dire si ces réformes fiscales qui ont marqué le début du quinquennat Macron ont rempli leur objectif de «réorientation» de l’argent des plus aisés vers le financement de «l’économie réelle». «Est-ce que cela va être poursuivi, on ne sait pas», s’inquiète un permanent. Bayrou jure qu’il ne bloquera aucun rapport gênant pour Macron. «J’ai toujours voué un culte à l’impartialité», dit-il à Libération. Sur la fiscalité du capital, le premier rapport, en 2019, avait conclu qu’il était trop tôt pour tirer la moindre conclusion. Le rapport 2020 est attendu pour l’automne. Un premier test.

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