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Jours tranquilles à Paris
21 septembre 2020

Chronique - La beauté et l’attraction sexuelle vont-elles toujours de pair ?

Par Maïa Mazaurette - Le Monde

Même si l’apparence physique joue un rôle crucial, nous conservons un pouvoir d’action sur nos modes de séduction, constate Maïa Mazaurette, chroniqueuse de « La Matinale ».

LE SEXE SELON MAÏA

Lors de sa publication, le chiffre avait surpris, amusé, consterné : sur les sites de rencontre, nous recherchons des partenaires 25 % plus beaux que nous (revue Science Advances, 2018). C’est-à-dire que nous avons furieusement tendance à désirer des personnes qui ne nous désireront pas… occupées qu’elles sont à séduire des personnes encore plus attrayantes. Faut-il en conclure que l’expérience du désir humain se résume fatalement à un enchaînement de déceptions et de renoncements ? C’est plus compliqué que ça.

Contrairement à ce que nous aimons nous raconter, la beauté nous met d’accord. Ce constat se situe au cœur d’un ouvrage paru en février, Psychologie des beaux et des moches (Editions Sciences humaines), regroupant une vingtaine d’articles de vulgarisation académique. On peut y lire sous la plume de Lubomir Lamy, professeur de psychologie sociale à l’université de Paris, cette sentence sans appel : « A la lumière des données expérimentales, les différences interindividuelles et interculturelles [concernant la perception de la beauté] restent minimes, et un large consensus émerge quels que soient le milieu social, la culture, le sexe et l’âge. »

On a longtemps affirmé que seuls les hommes étaient intéressés par le physique de leurs partenaires, parce qu’ils seraient plus visuels. A ce sujet, il faut lire un article de Béatrice Damian-Gaillard, professeure en sciences de l’information et de la communication, consacré au prince charmant : « Il existe des diktats concernant la beauté des héros des romans sentimentaux Harlequin, fondés en partie sur l’impératif de jeunesse, avec des seuils plus élevés que leurs partenaires féminines. (…) L’image de la virilité s’accorde davantage avec les cheveux bruns, les yeux noirs (de braise), ou gris/bleus (regard glacial et indéchiffrable). Que ceux qui ne correspondent pas à ces attentes n’entretiennent pas d’illusion sur leurs ressources et leurs opportunités amoureuses. »

Concrètement, les standards de beauté reposent sur la combinaison de trois éléments principaux : la symétrie, la néoténie (des traits juvéniles) et la banalité (plus un visage est proche de la moyenne, plus il nous plaît). La personne la plus attirante possède des traits familiers, des sourcils fins surmontant de grands yeux, des pommettes saillantes, des lèvres charnues et un petit nez.

Association millénaire entre « le beau » et « le bon »

Quid des autres sens ? En termes d’efficacité sexuelle pure et dure, l’odorat prime : en cas d’anosmie (quand on ne sent plus rien, ce qui peut se produire lors d’une contamination au Covid-19), la libido et les érections trinquent. En 2018, une étude de l’université de Dresde a d’ailleurs démontré que les personnes à l’odorat le plus développé ressentaient plus de plaisir sexuel que les autres – les hommes y seraient particulièrement sensibles. Rien n’empêche donc d’être séduit par le nez, le goût, l’écoute, la personnalité, le contact…

Et pourtant, société du spectacle oblige, le barème du désir demeure essentiellement visuel. Il s’agit, entre autres, d’une question de primeur chronologique. Comme l’expliquent Peggy Chekroun, professeure en psychologie sociale à Paris Nanterre, et Jean-Baptiste Légal, maître de conférences à Paris Nanterre, « l’apparence physique est bien souvent la première information dont nous disposons sur autrui. A partir de ce jugement, en quelques centaines de millisecondes seulement, nous inférons spontanément les traits de personnalité d’un individu. »

Ce jugement peut aller jusqu’au coup de foudre, et déborde largement des questions purement sexuelles. En vertu d’une association millénaire entre « le beau » et « le bon » (association qui informe également notre rapport à la nourriture), nous prêtons inconsciemment aux belles et aux beaux tout un tas de valeurs enviables : d’ailleurs, quand on parle de « belles personnes », la connotation est morale. On se les représente comme plus sociables, plus sensibles, prospères, efficaces, à l’aise ; les « belles personnes » obtiennent de meilleurs salaires, des promotions plus rapides… Et elles écopent même de peines de prison plus légères.

Ces stéréotypes fonctionnent, par renforcement positif, comme des prophéties autoréalisatrices : si vous traitez quelqu’un avec des égards, si vous l’encouragez à longueur de temps tout en lui pardonnant ses erreurs, alors, effectivement, ses chances de réussir sont plus élevées. Les gagnant(e)s à la loterie génétique ont donc tendance à gagner à toutes les autres loteries. Y compris amoureuses et sexuelles.

Préférences culturelles

Chekroun et Légal rappellent à ce sujet que « les personnes n’ayant pas un physique jugé agréable font davantage l’objet de comportements d’évitement, et sont globalement moins choisies ou désirées. Dans le cadre des relations intimes, il existe un lien entre le degré d’attractivité physique des femmes et leur probabilité de trouver un mari ayant un degré d’éducation et des revenus élevés ».

Faut-il en déduire que nous autres simples mortels, dotés d’un grand nez et d’une petite bouche, sommes fichus pour la grande aventure érotique ? Pas si vite, camarades. En effet, parler de « la » rencontre au singulier constitue un raccourci injuste. Comme l’explique Jean-François Marmion, sous la direction duquel Psychologie des beaux et des moches a été publié, « c’est une deuxième rencontre qui prend place par la conversation, l’émotion, l’attention. Une deuxième chance. Et là, tout est possible ».

Cette deuxième rencontre permet de passer du tout-visuel à d’autres formes de cristallisations sexuelles (par exemple, sont qualifiées de « sapiosexuelles » les personnes pour lesquelles l’intelligence prime sur l’apparence). Notons par ailleurs que les beaux gosses et les sublimes princesses subissent leurs propres discriminations. On les suspecte volontiers d’être stupides. Et puis, sexuellement, leur privilège peut se retourner en fiasco : il y a des physiques tellement intimidants que les érections ne tiennent pas du tout, ou pas longtemps.

Par ailleurs, la situation n’est pas aussi manichéenne que les grandes études sur l’attractivité le laissent entendre. La beauté résulte peut-être de facteurs évolutionnaires (la symétrie et la néoténie expriment le potentiel reproducteur), mais elle n’est pas pour autant étanche à nos préférences culturelles. Si vous êtes bon chic bon genre, le charme des punks à chiens vous laissera de marbre. Si vous vivez en communauté dans le Larzac, les codes kitsch de la beauté Instagram (avec ses poses, ses filtres) vous révulseront sans doute.

« Body positive »

L’attraction repose également sur une habituation : un visage « moyen » l’est nécessairement dans un contexte donné. Ce qui signifie qu’en plaçant sur le devant de la scène des personnes pour l’instant exclues des représentations (parce qu’elles sont grosses, vieilles, en situation de handicap, etc.) nous pouvons faire bouger certaines lignes.

Il ne s’agit pas de déplacer les codes esthétiques (donc de remplacer de l’arbitraire par de l’arbitraire), mais de les étendre. C’est cette petite révolution qu’essaie de produire le mouvement « body positive ».

Que conclure de tout cela ? Que l’apparence est cruciale, mais que nous conservons un pouvoir d’action sur nos modes de séduction, autant que sur la manière de limiter les discriminations. A une condition : laisser tomber le déni et les bonnes intentions. Renoncer, donc, à la pirouette poétique voulant que « la beauté n’existe que dans l’œil de celui qui l’observe »…

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